Samir Majoul : Ce qui l’attend à l’Utica
Transition en douceur qui montre la voie à d’autres organisations et partis politiques. Ouided Bouchamaoui a passé le relais à Samir Majoul, s’aménageant une sortie par la grande porte. Comme à l’Ugtt, l’année dernière, avec la succession de Hassine Abbassi par Noureddine Taboubi, et en attendant ce qui se passera dans quelques mois à l’Utap pour les agriculteurs, la relève est au rendez-vous. Des quatre colauréats du prix Nobel de la paix 2015 —Abbassi, Bouchamaoui, Ben Moussa et Mahfoudh—, personne n’est plus aux commandes de son organisation ou corporation. Mission accomplie à l’Utica? Impératif de renouveau ? Nécessaire transition ? Une autre ambition d’avenir ? Tout à la fois pour certains. «Choix personnel», affirme Ouided Bouchamaoui.
«Se hisser à la présidence de l’Utica n’était pas le plus difficile à faire, pour Samir Majoul. Préserver sa cohésion et reconstruire la centrale patronale pour lui donner sa pleine dimension en ces temps nouveaux lui feront poser sur les épaules une lourde responsabilité. Il ne manque pas d’atouts pour y réussir, à condition de savoir les utiliser à bon escient ! » Ce jugement perspicace d’un vétéran de l’Utica, qui préfère garder l’anonymat, résume parfaitement la transition en douceur qui vient de s’accomplir à la tête de la puissante centrale patronale.
Un large boulevard
La renonciation de Mme Bouchamaoui à rempiler pour un dernier mandat a ouvert devant Samir Majoul, 62 ans (né à Tunis le 28 novembre 1955), un large boulevard. Ses chances se sont multipliées davantage avec la décision de Hichem Elloumi de ne pas se lancer dans la course. Il ne lui restait plus qu’à affronter un compétiteur de poids, Khalil Ghariani. Très feutrée, la bataille sera gagnée par Majoul. Le soir même, il prendra ses fonctions.
Dans le milieu des affaires en Tunisie, comme au sein de la centrale patronale, la famille Majoul a toujours marqué de son empreinte des générations successives. Le souvenir de l’ancien vice-président Habib Majoul (94 ans et chaque matin à l’usine jusqu’à aujourd’hui), longtemps N°2 aux côtés de Ferjani Belhaj Ammar, depuis 1956, reste vivace. Il avait en outre donné son nom jadis à une célèbre marque de chaussures et d’espadrilles, avait été rapporteur du budget de l’Etat à l’Assemblée nationale et conduit les négociations sociales face à Habib Achour. De son côté, Abderrahmane Majoul était administrateur à la Banque centrale. Quant au père de Samir, Chedli Majoul, il avait développé une unité de transformation et de conservation de produits agricoles.
Après le lycée Carnot de Tunis et l’Université Paris-Dauphine où il fera des études en management et finance, Samir Majoul fera ses premiers pas en tant que jeune banquier au sein de la société, d’abord au siège à Paris, avant d’être envoyé dans les filiales en Afrique subsaharienne. De retour à Tunis, il ne pouvait que rejoindre l’entreprise familiale et l’Utica. Son ADN est fait de commerce, d’industrie et de syndicalisme. Très actif dans les structures de base, il était déjà en janvier 2011 président de la Chambre nationale syndicale des industries de conserves alimentaires et s’engagera alors pleinement dans le processus de transition.
Au cœur d’une transition qui a réussi
Le retour sur cette période est intéressant à rappeler. Dès le 19 janvier 2011, une poignée de jeunes chefs d’entreprise se constitueront en collectif pour le ‘’Renouveau de l’Utica’’. Il s’agit de Slim Ghorbel, Kais Sellami, Khalil Ghariani, Abdelaziz Dargouth, Khaled Fourati et Khalil Charfi. Dargouth prendra rapidement ses distances avec le groupe, les cinq autres persisteront dans leur volonté de recentrage de la centrale patronale. Deux parmi eux, Kais Sellami et Khalil Ghariani, seront cooptés au sein de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, la réforme et la transition démocratique (présidée par Yadh Ben Achour). En mars 2011, un conseil national de l’Utica est convoqué et décidera la dissolution de l’ancien bureau exécutif. Un nouveau bureau exécutif est alors créé, composé, à raison de 5 sièges, de représentants du bureau sortant (dont Ouided Bouchamaoui), des unions régionales, des fédérations nationales (dont Samir Majoul), et du collectif ‘’Renouveau de l’Utica’’. Ils formeront le Conseil national de transition. La présidence est confiée à Hamadi Ben Sedrine qui ne tardera pas à en démissionner.
Un attelage bien fixé
Le 2 mai 2011, Ouided Bouchamaoui est portée à la présidence, six commissions sont constituées, la révision des statuts est engagée (adoption en congrès extraordinaire en décembre 2012) et les préparatifs du XVe congrès sont lancés. Tenu le 17 janvier 2013, date anniversaire de la création de l’Utica, ce congrès confirmera Bouchamaoui à la tête de l’organisation qui aura deux vice-présidents : Hichem Elloumi, premier vice-président chargé des affaires économiques, et Samir Majoul, deuxième vice-président en charge des affaires intérieures. L’attelage est bien fixé.
Bouchamaoui, Elloumi et Majoul formeront un trio très soudé et ils seront le plus souvent ensemble dans tous les grands moments : concertations et négociations avec le gouvernement et l’Ugtt, Dialogue national, rencontres avec de grandes personnalités étrangères, déplacements dans les régions... Au contact avec tant d’interlocuteurs, participant à tant d’évènements majeurs, Majoul enrichit son expérience et rode son art. Premier à arriver au siège tôt le matin et à le quitter tard le soir, Samir Majoul tient la maison et les structures en main. Tout au long de la journée, il ne cesse de recevoir des adhérents, des dirigeants régionaux ou des secteurs, de passer des coups de fil, de relayer des messages ; bref, un homme central.
Face à son destin
Avait-il rêvé de prendre un jour les rênes de l’Utica ? Sans doute !Juste après Bouchamaoui ? Pourquoi pas ! Etait-il depuis longtemps dans la confidence ? L’essentiel, c’est qu’il est aujourd’hui aux commandes.
Sa mission ne sera pas de tout repos. Exposé en première ligne sur tous les fronts, Samir Majoul ne peut qu’endosser l’habit d’un président consensuel, rassembleur et mobilisateur. Face à l’Ugtt et aux pouvoirs publics, sa tâche ne sera pas facile, surtout en ces temps bien difficiles. Passée l’effervescence de la campagne électorale, les rangs se resserrent autour du nouveau président. Il lui appartient de convertir cette cohésion en force de l’Utica et garant de sa réussite pour surmonter les inévitables épreuves auxquelles elle devra faire face. Sans un jour de grâce, et pas de droit à l’erreur, Majoul est face à son destin.