Taoufik Habaieb: L’entreprise, ce héros à encourager et... à sauver
L’entreprise tunisienne est dans la souffrance. La constituer et la faire démarrer est un acte de courage que seuls des combattants preneurs de risques peuvent accomplir. Survivre, c’est s’engager dans la résistance. Dégager des bénéfices relève du miracle. Persister dans le développement, l’investissement, le recrutement et l’expansion, nous voilà dans l’aventure téméraire.
A quelques rares exceptions, c’est le lot d’une grande partie de nos entreprises. La pyramide du tissu entrepreneurial s’inverse en losange très effilé. Au centre, une couche peu épaisse de celles qui s’en sortent tant bien que mal. Au sommet, celles qui ont trouvé leur voie et réussissent. Parmi elles, celles qui exportent et profitent de la montée du dollar et de l’euro. Le reste, qui forme le plus gros des effectifs, se situent dans la partie la plus basse du losange, sous-capitalisées, plombées par les impayés de leurs clients, criblées de dettes, se débattant dans le tourbillon des mille et un problèmes qui risquent de les siphonner.
L’offensive pour la création d’entreprises reste pourtant impérative. A l’instar de tout nouveau-né espéré, il faut lui éviter l’avortement, la mortalité infantile ou l’explosion en plein vol. Le taux d’abandon précoce des projets lancés par des entrepreneurs qui se retrouvent rapidement incapables de les faire aboutir est déjà très élevé, allant jusqu’à 80% selon le Centre des jeunes dirigeants. Celui de la fermeture en moins de deux années d’activité est significatif. L’échec devient accablant et les pertes sont lourdes à éponger.
Grande, moyenne, petite ou très petite, l’entreprise est, quelle que soit sa taille, gisement d’emplois, de richesses, de croissance. La mobilisation générale pour sa création ne vaut que par la capacité à lui assurer toutes les conditions nécessaires à son décollage et à la préserver de tous les dangers de crash. Les entraves ne manquent pas : bureaucratie et blocages à tous les niveaux d’une rare férocité dissuasive, réglementation imprévisible, taxation excessive, revendications salariales en surenchère, concurrence déloyale, circuits opaques et problèmes financiers.
Oubliez tous les discours officiels, c’est la triste réalité.
De tous les défis qui se posent, l’accès au financement est le plus périlleux. Obtenir un crédit n’est guère aisé. L’exigence d’hypothèques oblige souvent des chefs d’entreprise à risquer leurs propres biens personnels à commencer par leur maison et, dans nombre de cas, à la perdre. Avec tous les retards subis pour l’obtention des autorisations, les imprévus de la conjoncture politique, économique et sociale, et le bouclage tardif du schéma de financement, le business plan initial s’avère rapidement en décalage par rapport aux prévisions. Le couperet des banques tombe sans pitié. L’étau se resserre autour du cou du chef d’entreprise, la liquidation des garanties, brandie en menace, est rapidement mise à exécution.
Renflouer les entreprises en difficulté constitue une grande priorité. Se résigner à les voir se consumer à petit feu jusqu’à s’éteindre est une pure perte pour tous. Les banques essayeront de tirer leurs marrons du feu et réduire leurs risques par la revente des garanties, alors que les travailleurs trimeront et les entrepreneurs sombrent dans la détresse et la précarité.
Une politique intégrée de l’entreprise est urgente à mettre en œuvre. Entre guichets uniques, ici et là, lignes de crédit, dispositifs d’assistance et programmes d’appui, les mécanismes d’intervention se multiplient dans la confusion, l’incohérence, le double emploi et le saupoudrage. Les annonces sont en profusion, la réalité est ailleurs, la performance reste à démontrer.
Un financement suffisant, accessible, à des taux abordables et des conditions convenables est la clé du problème. Demander aux banques de réserver un ratio conséquent de leurs crédits à la PME et aux régions est indispensable. La Banque des régions et de nouvelles lignes de crédit avantageuses ne sauraient tarder. Le fonds de restructuration des PME, tout juste institué avec une dotation initiale de 400 MD, dont un montant de 100 MD est inscrit au budget de 2018, donne espoir.
Un interlocuteur unique pour chaque entreprise peut contribuer aux déblocages éprouvés. Au lieu de se disperser entre administrations et banques, le promoteur de projet, comme le chef d’entreprise, doit pouvoir compter sur un seul vis-à-vis, dûment investi d’un pouvoir délégué du chef du gouvernement, capable de l’accompagner utilement dans toutes ses démarches. C’est-à-dire lui proposer la solution appropriée à ses problèmes, lui indiquer la bonne source de décision et l’y conduire, lui ouvrir les portes verrouillées, lui raccourcir les délais, le préserver de l’arnaque et de la corruption. Bref, le guider vers la réussite.
Cette trilogie, politique intégrée de l’entreprise, financement et interlocuteur unique, mérite d’être tentée. Si Youssef Chahed y croit, tous doivent l’y inciter. Il faut créer l’entreprise, il faut surtout la préserver !.
Taoufik Habaieb