La non-laïcité en Tunisie: Principal obstacle au développement!
Je viens de passer trois semaines à Baghdad et bien que je ne puisse prétendre avoir intégré toute l’ampleur de la souffrance endurée par le peuple Irakien,ces quatorze dernières années, plus que jamais, je suis fondamentalement convaincue que pour les pays Arabes et particulièrementla Tunisie, point de salut sans une séparation claire et nette entre le domaine privé qui est celui des croyances et de la religion, et le domaine public qui est celui du système politique, de la loi et des institutions.
Malheureusement, s’il y a un débat que l’élite tunisienne cherche, consciemment ou inconsciemment à occulter, c’est bien celui de la laïcité. Or ce débat est crucial car point de démocratie et de développement sans un système fondé sur la sécularisation de toutes les institutions et législations.D’ailleurs, «l’Europe aurait-elle pu se développer économiquement, politiquement, socialement et culturellement sans avoir préalablement garantit la laïcitéen droit, comme l’exemple Français, ou dans les faits, comme l’exemple Anglais» ? La laïcité étant définie ici, comme : «Un cadre juridique et politique permettant à des êtres différents du point de vue des options spirituelles ou des convictions personnelles de vivre ensemble… sur la base de trois principes: la liberté de conscience… l’égalité des droits… et l’universalisme ». Loin d’être une idéologie, la laïcité est un outil de gouvernement garantissant l’ordre et l’égalité de toutes et de tous face à la loi.
C’est dans ce contexte qu’il est important d’analyser pourquoi les différents partis politiques ne veulent pas entreprendre un dialogue sociétal autour dela laïcité? Que cherchent-ils à éviter ou à réaliser? Ont-ils peur de la responsabilité que cela impliquerait ? Pensent-ils mieux imposer leur pouvoir grâce à la «légitimité» qu’offre la religion au nom de laquelle ils prétendent parler ou même vouloir gouverner?
Selon le grand exégète Tunisien que nous avons perdu cette année, Dr Mohamed Talbi (1921-2017): «La religion n’est pas une identité, ni une culture, ni une nation, c’est une relation personnelle à Dieu, une voie vers lui».Sept ans après les contestations sociales et le soulèvement populaire qui a démarré le 17 Décembre 2010, en Tunisie, beaucoup de questions fondamentales demeurent d’actualité:
- La Tunisie de 2017 peut-elle se permettre le choix de la non-laïcité si elle veut se développer, garantir la paix et assurer la prospérité, basé sur le principe institué par le Zaim Bourguiba qui avait affirmé le 6 Juillet, 1956, que:«Le pouvoir politique n’a de vraie valeur que s’il est fondé sur un système économique…capable d’empêcher la fortune du pays de sortir du cadre national».
- Un parti séculier peut-il exister dans un pays qui n’est pas arrivé, soixante ans après son indépendance, à séparer l’Etat de la Religion, malgré les avancées remarquables qu’il a accompli au lendemain de l’indépendance et surtout l’unification du système juridique etjudiciaire ? Et quelles chances aurait ce parti de réussir à rallier la masse silencieuse qui profondément appelle de ses vœux à un changement radical de la situation intenable dans laquelle elle tente de survivre?
Or s’entêter à ne pas oser discuter de sujets tabous ne les fera pas disparaitre,d’où l’importance de poser certainesquestions fondamentales:
- La religion peut-elle garantir aux Tunisien(nes) la justice sociale et assurer leurs droits politiques, économiques, sociaux et culturels? Permet-elle de protéger les droits des femmes et assurer l’égalité entre les femmes et les hommes aussi bien dans l’espace public que privé?
- Le texte religieux permet-il de faire face à toutes les violences qui s’exercent quotidiennement contre les Tunisiennes dans une impunité quasi-généralisée? Comment peut-on faire face à certaines interprétations de l’Islam qui justifient cette violence et la violation de certains droits?
- Les mouvements religieux qui proclament s’être transformés en partis civils, acceptent-ils de se réaligner sur le principe de la laïcité ? Ne pas le faire compromettrait leur bonne foi et risque de prouver que leurs prétentions sont infondées et impliquerait la perte de leur crédibilité?
La laïcité est unpilier indispensable à la bonne gouvernance et par conséquent au développement.C’est ce pilier primordial qui a manqué aux initiatives révolutionnaires et avant-gardistes en 1956 . S’il y a unanimité pour penser que le contexte politique d’alors ne s’y prêtait pas, aucune explication ni excuse ne sauraient êtreacceptées en 2017.
La Constitution de 2014 a raté une opportunité en or d’instituer la laïcité, ce qui aurait impliqué que seules les lois civiles doivent s’appliquer dans le domaine public,tout en garantissant la liberté de religion, de conscience et de cultedes citoyens, libertés qu’ils sont en droit d’exercer dans leur sphère privée.Or, seule la laïcité permet le respect de la diversité des sociétés où tous les citoyens sont égaux en droit, peu importe leur religion, dénomination, sexe, couleur…etc. En fait, ce qui compte ce sont les valeurs communesqui permettent aux citoyens de vivre en communauté,telles que : l’égalité, la dignité, la justice sociale, l’intégrité,la liberté… Ce sont ces valeurs qui sont la base de tout développement garantissant la créativité et l’innovation.
D’un autre côté, la Constitution de 2014 qui a réitéré, dans son article 1er que l’Islam était la religion de l’Etat, a quand même institué un article 6 qui pourrait en contredire une certaine interprétation. En effet, l’article 6 représente une très grande avancée car: «La liberté religieuse et la culture de la tolérance, de la diversité des croyances et des opinions est une condition préalable à la démocratie qui n’est rien d’autre qu’un Pacte entre les peuples à se gouverner eux même car ils sont nés avec des capacités physiques et mentales égales et avec les mêmes droits à leur propre vérité». Ainsi, prendre la courageuse décision d’assurer la pleine jouissance de la liberté de religionet de conscience serait-elle la preuve qu'une nouvelle culture peut prendre racine dans l'esprit et le cœur du peuple afin d’œuvrer à l’instauration d’une autre Tunisie plus juste et plus équitable?
Le moment est venu afin que les «Patriotes incorruptibles» prennent les choses en main et assurent la bonne gouvernance et le développement que tous les Tunisien(nes) appellent de leurs vœux depuis la promesse du Zaim Bourguiba qui avait dit, à Sfax, le 24 Juin 1961: «La bataille que nous engageons maintenant englobe les Tunisiens et principalement les riches et les notables. En effet ceux qui s’habillent convenablement, envoient leurs enfants à l’école et vivent décemment devront se sentir blessés dans leur dignité au spectacle de la misère de leur concitoyens et frères qui souffrent de la faim et du dénuement».
Khadija T. Moalla, PhD
(1) Voir mon article: «En Tunisie: Pas d’espoir de développement sans laïcité»!http://www.huffpostmaghreb.com/../../khadija-t-moalla/en-tunisie-pas-despoir-de-developpement-sans-laicite_b_14490542.html
(2) Définition du Philosophe Henri Pena-Ruiz.
(3) “Autre particularité de la révolution Tunisienne: tout au long de notre lutte, nous nous sommes interdits toute option idéologique, si ce n’est celle qui vise à libérer la Tunisie de la domination étrangère». (Bourguiba, 15 Mars, 1969).
(4)http://www.leaders.com.tn/article/21360-comment-promouvoir-la-liberte-de-religion-et-de-conviction-dans-les-pays-a-majorite-musulmane