«Des mille et une façons d'être juif ou musulman» : un livre de dialogue entre les fils d’Abraham
Dans un moment de forte tension, Delphine Horvilleur et Rachid Benzine nous propose des mille et une façons d’être juif ou musulman aujourd’hui. Leurs échanges et leurs lectures méthodiques des traditions juive(s) et musulmane(s) nous offrent une nouvelle façon d’appréhender la question identitaire dans un monde qui bouge. Les deux auteurs qui défendent à travers les 256 pages de ce livre le droit d’être «fidèlement infidèle», font dialoguer par leurs textes respectifs deux traditions qui ne sont pas étrangères l’une à l’autre.
Le livre «Des mille et une façons d'être juif ou musulman » qui se démarque par son caractère critique vis-à-vis de la Tradition analyse les défis posés par le repli identitaire qui marque nos sociétés. Dénonçant l’illusion rassurante que la vérité a été donnée une fois pour toute, les auteurs montrent que la Tradition des deux religions ici concernées a connu de multiples changements dans l’histoire. Y-a-t-il donc une seule façon de se définir comme juif ou comme musulman hier et maintenant? N’y en a-t-il pas plutôt d’innombrables façons pour se définir? Les questions posées par les deux auteurs autour de ce qui est l’Être juif et l’Être musulman de nos jours sont audacieuses surtout que l’attitude publique pense qu’on peut donner une définition précise et définitive du Judaïsme et l’Islam. Les lecteurs vont ainsi parcourir l’histoire des deux Traditions qui se confrontent en permanence mais qui sont les deux faces d’une même médaille. Cette lecture qui rapproche, sans gommer les différences, est bien l’héritière de l’esprit de la Convivencia qui a régné dans l’Andalousie médiévale. Le rabbin Delphine Horvilleur qui se proclame de la généalogie intellectuelle de David Ellenson, Lawrence Hoffman et Haïm Korsia explique que le véritable héritier, c’est celui qui prend l’héritage et qui lui fait «un enfant dans le dos». Ainsi, en subvertissant l’héritage historique du Judaïsme et l’Islam, nous pouvons ouvrir d’autres potentialités qui étaient en germe. Aujourd’hui, on a l’impression que le religieux est quelque chose de ringard, parce que certaines de ses formes, en particulier le fondamentalisme, deviennent menaçantes. Cela est d’autant plus vrai dans des sociétés qui ont lutté contre le religieux pour pouvoir s’émanciper.
critiquant la crainte de beaucoup de musulmans de la modernité, l’islamologue Rachid Benzine explique que l’identité musulmane a fonctionné durant tout le XXème siècle comme une citadelle assiégée au lieu d’être dynamique.Cela n’empêche pas les sociétés dites musulmanes de donner naissance à des libres penseurs comme c’est le cas avec Nasr Hamid Abû Zayd en Égypte, Mohamed Talbi et son École en Tunisie et Mohamed Arkoun et son héritage dans le monde musulman francophone.
En croisant les points de vue de Delphine Horvilleur et de Rachid Benzine, le lecteur découvrira un livre qui propose une introduction générale à la culture du dialogue dont se réclame un bon nombre de juifs et de musulmans. Les auteurs nous présentent donc un dialogue sérieux et serein qui essaie de redéfinir les constructions identitaire de l’Être juifs et l’Être musulman dans un monde mondialisé. Précis et impartial, le dialogue entre Rachid Benzine et Delphine Horvilleur nous montre ce qui rapproche les deux Traditions.
On apprendra beaucoup en lisant les auteurs de ce livre dont les talents d’exposition sont grands pour faire le point des questions si délicates comme la violence, la laïcité et le statut de la femme dans les sociétés juives et musulmanes. Dans ce livre, Delphine Horvilleur et Rachid Benzine présentent des idées et des approches originales pour l'étude contemporaine des Tradition(s) juives et musulmanes.
S’inspirant de Paul Veyne qui déclarait dans son Leçon inaugurale au Collège de France «qu’une culture est bien morte quand on la défend au lieu de l'inventer», les auteurs de ce livre ont réussi de renverser la marée montante de l’animosité qui s’infiltre dans nos sociétés pour nous prouver que la différence est toujours une chance, à condition qu’elle s’épanouisse dans un dialogue.
Cette rencontre entre le rabbin et l’universitaire, entre la juive et le musulman, entre la religieuse et le laïc, a pour but d’offrir un forum où émerge une autre image aux yeux du public et pour lancer un processus à travers lequel l’image en transformation positive des relations entre les religions peut franchir une étape supplémentaire conduisant à des pas concrets dans le respect, l’acceptation de l’autre, la reconnaissance et le dialogue.
Mohamed Arbi Nsiri