News - 14.10.2017

APC: Faut-il la supprimer ou la réformer?

APC: Faut-il la supprimer ou la réformer?

Hôpitaux publics sinistrés, scandales sanitaires à répétition, inégalités et incohérences dans l’accès aux soins, corruption, pénurie et gaspillage de matériel et de médicaments, le secteur de la santé publique est dans tous ses états. De projet de réforme procrastiné en dialogue social rompu, un sujet revient systématiquement en tête de liste des problèmes: l’activité privée complémentaire (APC). Portée récemment au centre du débat public, la question divise et appelle à une réflexion globale sur le système de santé publique et sa gouvernance.

Conçue comme une solution pour améliorer le niveau de vie des praticiens hospitalo-universitaires, l’APC est accusée d’être l’épicentre des problèmes de la santé publique. Dans l’optique d’une réforme globale de la santé, la question tient une place centrale et désormais publique.

Quelles sont les raisons des controverses ? Quel est l’impact réel de l’APC sur la dégradation de l’hôpital public? Quel est l’avenir de cette forme d’exercice de la médecine?

L’enquête s’impose tout autant que le débat, afin de comprendre pourquoi l’APC attire, divise et menace la santé publique

L’APC en chiffres

Le nombre des médecins hospitalo-universitaires autorisés à exercer une activité privée complémentaire a augmenté significativement, depuis 2006, mais il semble stagner depuis 2011. Le tableau suivant résume cette évolution:
Nombre de médecins autorisés à l'APC 2006 Janvier 2011 Janvier 2012 Septembre 2017
79 343 322 343
En 2017, le nombre total des professeurs et des maîtres de conférences agrégés en médecine et exerçant dans les structures sanitaires publiques est de 1 183.
• 343 médecins hospitalo-universitaires parmi eux sont autorisés à exercer une APC dont 264 professeurs, soit 77 %, et 79 maîtres de conférences agrégés, soit 23 %.
• 55 % des médecins autorisés à exercer une APC ont une spécialité chirurgicale et 45 % exercent des spécialités médicales et fondamentales.
• Sur les 296 médecins chefs de service hospitalo-universitaires, 169 ont une autorisation d’exercice de l’APC, soit 57.1 %. La stagnation du nombre des médecins hospitalo-universitaires autorisés à exercer une APC depuis 2011 pourrait s’expliquer par:
• Les départs pour le privé et à la retraite.
• L’exercice non réglementaire de l’APC en l’absence de mesures disciplinaires rigoureuses sachant que le nombre général des professeurs et des maîtres de conférences agrégés n’a cessé d’augmenter.

(Source statistique : ministère de la Santé publique)

Le débat autour de l’activité privée complémentaire est récurrent, mais passe par des phases critiques aiguës. La dernière crise s’est déclenchée fin août dernier quand le secrétaire général du Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom), Dr Nazih Zghal, a appelé à la suppression de cette forme d’exercice «qui tue l’hôpital public et le vide de ses forces vives et de ses moyens matériels». Cette déclaration a remis le sujet au centre du débat public mais en réalité la discorde remonte à longtemps.

Pourtant, la médecine tunisienne s’est construite autour de passerelles entre les secteurs public et privé. Dans les années 60, les rares spécialistes et omnipraticiens tunisiens se sont organisés en «mi-temps», exerçant le matin à l’hôpital à titre presque bénévole, et les après-midi dans leur cabinet privé. En 1973, sous le gouvernement Hédi Nouira, le «plein temps aménagé» (PTA) a vu le jour pour encourager les médecins à investir les hôpitaux et les facultés de médecine. Le PTA a été supprimé en 1988.

Que dit la loi? L’activité privée complémentaire est une dérogation instaurée depuis 1995 par le décret n° 95-1634 du 4 septembre 1995 accordant aux professeurs et maîtres de conférences agrégés en médecine la possibilité d’exercer une activité privée à raison de deux demi-journées par semaine. Le décret N° 2007-120 du 25 janvier 2007 est venu compléter et modifier le décret n° 95-1634 et instaurer le cadre légal définitif de l’exercice de l’APC. Il stipule que l’autorisation d’exercice de l’activité privée complémentaire est accordée par arrêté du ministre de la Santé publique pour une année, reconductible sur demande de l’intéressé. Cette autorisation accorde le droit d’exercer une activité privée complémentaire aux professeurs et maîtres de conférences agrégés hospitalo-universitaires justifiant d’une ancienneté de quatre (4) ans. Elle est exercée pendant deux après-midi par semaine à partir de 15 heures. Elle a lieu à l’hôpital pour les consultations et dans une clinique privée désignée au préalable pour les hospitalisations et les actes médicaux. L’octroi de l’autorisation d’exercice de l’APC entraîne 20% de l’indemnité de non-clientèle. En outre, 30% seront reversés à l’hôpital. L’’utilisation du matériel et des installations est possible en échange d’une contrepartie financière versée à l’hôpital. Par ailleurs, il est interdit au bénéficiaire d’une autorisation d’APC d’effectuer des visites à domicile ou des gardes ailleurs qu’à l’hôpital public dont il relève. Idem pour les appels d’urgence (source: Journal officiel de la République Tunisienne du 26 janvier 2007).

Tensions et inégalités?

L’APC est un système inéquitable, qui favorise au sein même du corps professoral médical des inégalités flagrantes.

Au sein d’une même structure, les patients ordinaires «souffriront de délais d’attentes interminables pour avoir des rendez-vous de consultation, d’exploration ou d’actes curatifs. Les patients de L’APC se feront suivre immédiatement moyennant le tarif d’une consultation APC. C’est une médecine à deux vitesses», selon Dr Nazih Zghal, en contradiction avec le code de déontologie.

Dérives graves?

L’acronyme APC se décline aussi en activité publique complémentaire, en dehors de tout contrôle et en totale impunité. «Certains professeurs, professeurs agrégés et chefs de service ont inversé leur organisation du temps de travail, en se consacrant presque entièrement à leur activité privée complémentaire», accuse Pr Sellami. «La passivité et le laxisme de ces services de contrôle n’ont fait qu’accentuer ces pratiques», ajoute-t-il.

Quelles perspectives?

Il est certain que l’APC, telle qu’exercée aujourd’hui par certains hospitalo-universitaires, n’est plus viable ni digne de la médecine tunisienne. Il faut par ailleurs souligner qu’un grand nombre d’APCistes pratiquent cet exercice en total respect de la déontologie et en totale transparence.

La réforme du système de santé sans cesse reléguée s’impose comme une urgence vitale. Concernant l’activité privée complémentaire, plusieurs commissions de réflexion ont été organisées depuis 2006 pour réfléchir sur sa réforme ou son abolition. Certaines solutions s’en sont dégagées.

La suppression de l’APC serait «le scénario idéal», selon Pr Sellami. Cette mesure devra être couplée à une revalorisation du statut et surtout augmenter substantiellement les rémunérations des chefs de service, professeurs et agrégés. Cela impliquera de prendre en compte leur double fonction d’enseignant et de praticien soignant. Cette mesure devra s’accompagner de l’amélioration des conditions de travail dans les hôpitaux et de la réorganisation du travail hospitalier avec une plus grande implication des médecins dans la gestion administrative de l’hôpital. Par ailleurs, la création de passerelles public-privé pourrait aider à pallier d’éventuels départs massifs des hospitaliers en cas de suppression de l’APC.

L’APC intra-muros qui a déclenché le dernier débat en date a été discutée dans les différentes commissions de réflexion sur le sujet. «Ce serait une catastrophe qui achèverait l’hôpital et la santé publique», selon Pr Sellami. «Les difficultés de la réalisation de cette option, au regard de l’infrastructure hospitalière, l’écartent d’office, de plus elle créerait au sein de l’hôpital un écart entre les malades et pose de ce fait un problème éthique et social épineux», argumente Dr Zghal.

Plus nuancé, le Pr Chédli Dziri, l’un des rares professeurs «à n’avoir jamais été tenté par cette formule», pense que «l’APC n’est pas une mauvaise chose. Ce qui fait problème, c’est le non-respect de la réglementation».

Problème complexe, l’APC appelle à un réel débat national réunissant les différentes composantes du secteur de la santé ainsi que la société civile. «L’urgence est à la moralisation et à une restructuration conforme aux règles de la bonne gouvernance», conclut Dr Mounir Youssef Makni, président du Conseil national de l’Ordre des médecins.

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3 Commentaires
Les Commentaires
Adam - 14-10-2017 12:42

Arrêtez la CORRUPTION, les SCANDALES et le gaspillage et tout ira mieux. La Tunisie doit, par son riche histoire DOIT DONNER EXEMPLE aux AUTRES PAYS, même européennes.

Demosthènes - 14-10-2017 19:35

qu'est ce que cet article apporte de plus ? sur la question tout a été dit; le problème est que l'autorité de tutelle ne soit aucunement désireuse d'y mettre fin; et les médecins du privé qui comptent , ceux qui disposent de grosses clientèles, sont ceux là mêmes qui sont de grands actionnaires des cliniques , et qui ont besoin de l'APC pour augmenter les bénéfices issus de leurs établissements. les autres, la majorité, à qui l'APC porte préjudice, ne se sont pas encore organisés pour porter plainte devant le tribunal administratif, en l'absence de Conseil d'Etat et de Cour Constitutionnelle.

Mondher Belhadj - 14-10-2017 22:11

Pourquoi ne pas faire un Audit systématique sur l'APC dans le secteur de la santé? Ainsi appliquer le reglement du metier

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