Sihem Bouzgarou: Wassila Ben Ammar a-t-elle dérobé les bijoux de la famille beylicale ?
Depuis plus d’une semaine, après la diffusion d’une interview de Salwa Bey, cette question ne cesse de diviser les Tunisiens et a soulevé un tollé général. Certains, émus par le chagrin de la descendante de Lamine Bey, dernier «possesseur du Royaume de Tunis», se sont empressés de cautionner sa version et de porter des accusations contre Bourguiba et sa seconde épouse. Tout en profitant, par la même occasion, de jeter le discrédit sur le régime républicain, sur les artisans de la première République, sur le Mouvement national surtout sur ce qu’ils appellent «la pseudo-indépendance». D’autres, que ces chants de sirène n’ont pas fait dévier de leur voie, ni de leurs choix, se sont attelés à la tâche de défendre leur idole, bec et ongles, et de justifier ses actions, parfois exagérément. De fait, les pages Facebook se sont transformées en une arène où chacun des deux camps assène contre l’autre des accusations, parfois justifiées et d’autres fois erronées.
Mais les questions qui me taraudent l’esprit, dans cette cacophonie assourdissante, sont: Qui a tort et qui a raison ? Wassila Ben Ammar a-t-elle réellement dérobé les bijoux de la famille beylicale?
Personnellement, je ne suis pas qualifiée pour répondre à ces interrogations, somme toute, légitimes. Seuls des historiens chevronnés, honnêtes et objectifs sont en mesure d’apporter leur éclairage à cette période historique dense de la Tunisie Post-indépendance, pour éclairer la lanterne de tous les citoyens tunisiens.
Cependant, ce qui a retenu mon attention, dans cette affaire, ce sont les contradictions qui ont émaillé le témoignage des deux invités.
D’abord, comment peut-on porter des accusations aussi désinvoltes, sous peine d’être accusés de diffamation, quand on n’a pas de preuves probantes? Par ailleurs, comment peut-on parler de vol, puis reconnaître explicitement qu’un inventaire des bijoux a été effectué en 1992, alors que Wassila Ben Ammar a quitté les sphères du pouvoir, depuis plus de cinq ans? Comment peut-on parler de vol quand l’époux de Madame Salwa Bey dit clairement que Wassila Ben Ammar empruntait périodiquement certaines pièces qu’elle arborait, pour certaines cérémonies et les rendait immanquablement, non sans oublier de consigner les dates dans un registre destiné à cet effet ?
En outre, et si j’ai bien compris, les Beys jouissaient d’une fortune inestimable, si, dans les années 1950, leurs bijoux valaient deux cents milliards (sic.), montant qui, je suppose, équivalait au budget d’un État! Pourquoi donc Sadok Bey n’a pas contribué à éponger les dettes faramineuses contractées par lui-même et ses prédécesseurs, au lieu de se soumettre et de signer le traité du Bardo, ayant institué le Protectorat français ? À ma connaissance, les vieilles familles tunisoises accumulent les bijoux en or, pour pouvoir faire face à des revers de fortune! Non, lui et sa famille ont préféré les planquer dans un lieu sûr, en attendant des jours meilleurs ! D’ailleurs, ses descendants n’ont-ils pas agi de même quand ils ont senti le vent tourner et que les prémices de la fin du règne se sont annoncées ? De l’aveu même de Monsieur Kchouk, époux de la petite-fille de Lamine Bey, certains membres de la famille se sont ingéniés à dissimuler leurs bijoux dans des cachettes des plus insolites : le fond d’un primus, les entrailles d’un piano…!
De plus, une question m’intrigue: D’où proviennent les photos et les vidéos en couleurs que nous avons pu voir lors de cette émission, Wassila Ben Ammar n’a-t-elle pas dérobé les bijoux des Beys?
Toutes ces questions demeureront sans réponses tant que nous ne comprendrons pas pourquoi la chaîne de télévision privée El Hiwar Ettounsi a cru bon de diffuser ce reportage controversé!
Pour finir, j’aimerais faire un petit rappel historique : Quatre ans après la prise de la Bastille et la Révolution française, en janvier 1793, le Roi Louis XVI a été guillotiné, enterré dans une fosse commune et recouvert de chaux, tout comme son épouse, La Reine Marie-Antoinette, le 16 octobre de la même année. Le 17 juillet 1918, Nicolas II et toute sa famille ont été assassinés par les Bolcheviks. En juillet 1958, le Roi Faycel II d’Irak, son oncle, sa mère, ses deux sœurs et quelques fidèles ont été exécutés, sans aucune autre forme de procès, et leurs cadavres profanés ! Le Sultan Mehmed VI et le Calife Abdülmecid II sont, quant à eux, contraints à l’exil, après l’abolition respectivement, du Sultanat et du califat, et leurs familles, condamnées à l’errance.
Je tiens à affirmer que je ne cautionne pas du tout cette barbarie ni cette cruauté, que je ne cherche pas à justifier l’injustifiable, mais seulement à indiquer, qu’à cette époque, voici les pratiques qui étaient dans l’air du temps. Par ailleurs, il ne s’agit pas de juger le passé à l’aune du présent, alors que les mentalités ont bien évolué et se sont imprégnées des principes des droits de l’homme!
Sihem Bouzgarou