Mohamed Salah Ben Ammar: La sagesse du législateur et l’imagination du scientifique*
Je dédie ce travail à la mémoire de Si Slim. Je suis à Libreville et je pleure seul sa disparition. Nous avons suivi le même MBA à MSB ensemble chez Si Mahmoud et nous avons continué à nous voir. J'aimais beaucoup sa gentillesse, sa presque naïveté, son engagement, son éducation, son honnêteté et bien d'autres qualité. Allah Yarhmo
“Les enjeux sanitaires, juridiques, sociaux et économiques des innovations scientifiques et médicales sont multiples et parce que leurs retombées sur la santé et le corps social sont difficiles à apprécier par avance…“ (loi française de bioéthique du 7 juillet 2011)
Toutes les sociétés à travers le monde sont interpellées par des questions de bioéthiques. Traditionnellement, de tous temps la démarche scientifique à proprement parlé a toujours été contrainte par des normes autres que celles que s’imposaient les chercheurs eux-mêmes. La religion a été l’une des plus importantes, aujourd’hui on ne peut plus s’en contenter.
Que faire après la perte du sens et des valeurs en l'absence d'un ordre divin se demande Nietzsche ? “Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c'est nous qui l'avons tué ! Comment nous consoler, nous les meurtriers des meurtriers ? Ce que le monde a possédé jusqu'à présent de plus sacré et de plus puissant a perdu son sang sous notre couteau. — Qui nous lavera de ce sang ? Avec quelle eau pourrions-nous nous purifier ? Quelles expiations, quels jeux sacrés serons-nous forcés d'inventer ? La grandeur de cet acte n'est-elle pas trop grande pour nous ? Ne sommes-nous pas forcés de devenir nous-mêmes des dieux simplement — ne fût-ce que pour paraître dignes d'eux ? » (Nietzsche Friedrich. Le Gai Savoir, Livre troisième, 125). Sommes-nous suffisamment conscients que l’âge de la surpuissance menace nos sociétés ? Les questions de fin de vie, la procréation assistée, les manipulations génétiques, l’utilisation du corps humain dans un but médical et de recherche, les neurosciences et les nanotechnologies sont des sujets qui dépassent de loin le cadre d’une quelconque loi ou réglementation, ils concernent l’humanité entière. L’homme domine la nature et lui-même. Mais cette tentation de notre société “post humaniste“ d’améliorer l’être humain interpelle tous les humains. Et gardons à l’esprit que nul n’est à l’abri, nos sociétés sont encore plus vulnérables, parce qu’elles occultent les problèmes et subissent donc depuis des décennies et de plein fouet des choix non réfléchis.
Les approches de ces questions ne peuvent pas être anodines
Aujourd’hui face aux progrès de la science nos sociétés est partagée entre inquiétudes et espoirs. “Pour les autorités politiques, procéder à l’évaluation des acquis et des perspectives de la biomédecine, c’est essayer de concilier plusieurs impératifs : s’attacher à ne pas surévaluer par avance les bienfaits des découvertes tout en favorisant la recherche, protéger les personnes les plus vulnérables et ne pas sous-estimer dans ces choix l’implication d’intérêts économiques dans un monde de plus en plus globalisé. C’est tenter de concilier plus globalement la recherche avec les finalités médicales et les principes éthiques“. (La loi française n° 2011-814)
Une mission angoissante tant les repères classiques sont en perpétuel mouvement. Des certitudes millénaires sont entrain de vaciller : la vie et la mort, l’humain et la chose, l’« immodifiable » devient modifiable. Et comment peut-il en être autrement ? La médecine est passée en moins d’un siècle de l’étude des formes du vivant et de leurs propriétés pour intervenir dans la genèse et le fonctionnement du vivant. Quelle en est la finalité ? Quelles limites politiques et sociales aux techniquement possibles ? Qui doit les fixer ? Sur quels critères ? Ni la morale commune ni le droit positif n’ont permis d’offrir des garanties suffisamment rassurantes à la société. Il n’en demeure pas moins et quelques soient leurs insuffisances des normes bioéthiques et législatives pour encadrer les pratiques médicales et scientifiques sont nécessaires, c’est incontestable. Normes nécessaires mais souvent limitées dans le temps et l’espace. La solution légale seule tout comme la réflexion bioéthique seule se sont de révélées insuffisantes en raison à la fois et paradoxalement de la mondialisation et des frontières. D’autre part le rythme des innovations, les espaces potentiels de leurs applications sont quasiment infinis.
Légiférer en temps réel ?
La science crée tous les jours de nouveaux espaces vides de droit.
La bioéthique “définis les rapports entre les sciences et techniques médicales et la protection de l’homme tant dans leurs aspects philosophiques que juridiques”. La décision bioéthique n’a qu’une valeur incitative, de plus “Elle nait et vit moins de certitudes péremptoires que de tensions et du refus de clore de façon définitive des questions dont le caractère récurrent et lancinant exprime un aspect fondamental de la condition humaine“. En fait la bioéthique ne décrète pas, ne donne pas de bonne réponse, elle se contente de souligner les contradictions, les problèmes et éventuellement elle propose la voie à suivre. C’est ce qui fait sa force et sa faiblesse notamment par rapport au droit.
Ce qui autorise Bertrand Mathieu (La Bioéthique, éditions Dalloz-Sirey, Collection Connaissance du droit – 2009) de s’interroger si le droit peut/doit réguler la bioéthique ? Et si oui quel échelon est le plus pertinent ? A quel niveau les principes encadrant les activités biomédicales doivent-ils exister ? Quelle norme juridique doit être privilégiée en droit national (Constitution, loi, jurisprudence) ? Le droit doit-il être révisable au risque d’être obligé de s’adapter au fait médico-scientifique ? Au niveau constitutionnel et international répond à juste titre l’auteur car il considère qu’aujourd’hui “le droit régule plus qu’il ne fonde” et que de toutes les façons de nombreuses dérogations législatives seront toujours apportées aux principes applicables à la bioéthique. Pour Mme Hamrouni Salwa (Constitution et bioéthique - Contribution au colloque international organisé par l’association tunisienne de droit constitutionnel, droit constitutionnel, science et technologie, Tunis, les 11 et 12 avril 2006) “La majorité des Constitutions contiennent un dispositif répondant la question fondamentale de la bioéthique ; celle de faire respecter la dignité humaine, il n’en reste pas moins que les garanties du respect de cette dignité varient d’une constitution à une autre“. “ …autrement dit est ce que les lois fondamentales de ces États permettent un encadrement des questions de la bioéthique ? “
Les constitutions qui ne prévoient pas expressément le droit à la vie, laisse au législateur plus de liberté de légiférer dans le domaine de la bioéthique. En pratique à l’échelon constitutionnel ou ailleurs le droit seul face à ce question ne suffit pas.
Le droit et la bioéthique sont deux normes de différentes natures complémentaires.
Le droit est prudent. Il prend son temps pour essayer de concilier les incertitudes de la recherche et assurer la nécessaire coordination entre l’ensemble des intervenants ; pour faire converger des intérêts divergents et la nécessité d’allier les doutes et les convictions. Ecrire des lois et des règlements qui régulent les pratiques médicales, établir des procédures et veiller à la cohérence entre les réglementations et les principes fondateurs inscrits dans les textes constitutionnels et internationaux demande un temps beaucoup plus long que la réflexion éthique. En revanche, prendre le temps de légiférer donne une valeur ajoutée aux décisions prises.
En outre, l’espace d’application des découvertes est désormais mondial. La facilité de voyager et les nouvelles technologies de communication ont fait qu’encadrer des pratiques contestables à l’échelle nationale ne règle pas la question. Les transgressions des lois de bioéthique au-delà des frontières concernera d’une façon ou d’une autre et à un moment ou un autre nos concitoyens et tous les êtres humains.
Revenir en arrière en matière de “progrès“ médical est difficile sinon impossible. Le législateur français en adoptant cette attitude a fait à notre avis un vœux pieux “…Dans un domaine où ne prévaut pas de consensus international, la loi française n’est pas contrainte de s’aligner sur des options retenues par certains pays, inspirées par une approche de l’éthique moins exigeante et moins régulatrice. Le législateur peut dès lors revendiquer dans ses décisions une spécificité influencée par nos valeurs ainsi que par notre culture juridique et médicale…“ (loi de bioéthique). Il suffit de traverser les Pyrénées pour bénéficier de dons d’ovocyte, ou d’un avortement après les délais légaux fixés en France.
Dans toute société doit s’établir une méthodologie de travail permet d’assujettir l’un ou contester la légitimité de la démarche de l’autre, renforce les choix de l’un et de l’autre. Les deux disciplines, la bioéthique et le droit se découvrent des complémentarités régulièrement. La coexistence des deux démarches, celle du droit et de la bioéthique dans l’établissement de normes destinées à l’encadrement de toutes activités est devenue une réalité dans beaucoup de pays. Le droit éthique n’en est qu’une traduction. C’est un droit qui se veut évolutif, novateur et surtout tributaire du développement constant de son objet - les applications nouvelles des techniques biomédicales. En permanence il doit s’adapter aux avancés de la science. En raison des incertitudes qui entourent ces avancés de la science il lui est demandé plus qu’aux autres de légiférer en temps réel. C’est pour cela qu’il doit coller aux débats bioéthiques.
D’aucun pourrait s’interroger, est-il possible au droit de s’adapter aux exigences de l’évolution temporelle de la bioéthique ? Comme dans toute coexistence, ceci implique forcément un risque des tensions. Que faire en cas de divergences majeurs entre l’avis éthique et la loi ? De la désobéissance civile ou passer la frontière ? On se souvient tous des années 70 et des procès médiatisés sur l’interruption volontaire de grossesse. Le témoignage volontaire du Professeur Paul Milliez, grand mandarin, résistant et chrétien de gauche convaincu qui a avoué avoir pratiqué des avortements a changé l’histoire de l’avortement en France.
A ces interrogations Valérie Sebag pense que “Le principe de liberté de la recherche et les progrès scientifiques qui en découlent ne doivent pas asservir les individus, ni attenter à l’organisation de la société et pour cela, seule la règle légale, d’une part en ce qu’elle dépasse les clivages d’ordre scientifique, sociologique, politique ou moral, d’autre part en ce qu’elle se trouve investie de la légitimité démocratique…est en mesure d’assurer cette cohésion…Face aux dangers potentiels qu’elles représentent pour l’ensemble des citoyens, il revient aux pouvoirs publics d’assurer la protection des personnes par l’interdiction ou la réglementation de ces pratiques…Il revient à la loi d’assurer un accès équitable à ces nouvelles sortes de soins comme les dons d’organes ou des matériaux génétiques, afin d’empêcher que ces matériaux humains ne fassent l’objet de tractations inadmissibles au regard des droits fondamentaux.“
La bioéthique au-delà des frontières spatiales et temporelles ?
Le droit protège, rassure autant qu’il dissuade. Mais face aux nouvelles pratiques, les choix divergents faits à l’échelle internationale mettent à mal l’ensemble de ces principes et la flexibilité de la démarche tant sur le plan national qu’international pourrait y palier. L’exemple de la transplantation d’organes suite à l’achat d’un organe à l’étranger est frappant. Nous y reviendrons plus loin.
Schématiquement deux étapes historiques ces dernières décennies ont profondément modifié la perception des sociétés:
La première étape, ce sont les progrès réalisés par les sciences depuis 50 ans. Ils sont inégalés dans l’histoire de l’humanité. L’espérance de vie a été multipliée par deux, et la mortalité infantile divisée par dix en moins de deux siècles. L’anesthésie, la contraception, les antibiotiques, l’hémodialyse, la greffe d’organes, la respiration artificielle, la procréation médicalement assistée, les manipulations génétiques, le clonage…autant de découvertes qui ont sauvé des millions de vies humaines et, en même temps, soulevé de nouvelles questions dans nos sociétés, voilà l’homme de sciences redevenu sorcier ? Des moyens colossaux ont été donnés aux chercheurs et les résultats obtenus ont dépassé tout ce qu’on pouvait imaginer il y a cinquante ans à peine. La société avait une confiance aveugle dans le progrès. Pourquoi donc est-elle passée de l’admiration à une certaine appréhension ? Les nouvelles techniques finiraient-elles par modifier définitivement l’évolution de l’espèce humaine ? De fait, notre patrimoine génétique, notre intimité, le développement et même la survie de l’espèce humaine ne sont plus sacrés, la nécessité de protéger juridiquement l’être humain contre les risques de son instrumentalisation s’imposait même pour les esprits les plus ouverts.
A la fois la mondialisation et l’émergence des individualités ont mis en avant le défi de concilier le collectif et l’individuel. La sublimation de l’individu qui désormais estime avoir tous les droits tant qu’il ne nuit pas autrui, l’appauvrissement des liens communautaires menacent les liens objectifs, ils représentent une menace à la cohésion sociale. Dès lors le plus urgent a été de protéger l’humanité et d’élaborer des règles génériques pour garantir les droits et les libertés fondamentales de la personne humaine face à l’utilisation des découvertes médicales et scientifiques et tenter d’appréhender les dangers connus et potentiels cachés dans chacune des avancées du savoir. A nouveau nous nous trouvons confrontés à l’abolition des frontières dans ce domaine.
Depuis l’antiquité les sociétés se sont rendues compte que le savoir seul, aussi noble soit la démarche et quand bien même elle serait renforcée de serments prêtés solennellement par des praticiens honnêtes, n’a jamais préservé des débordements et des dérives. Le serment d’Hippocrate est l’une des expressions de ces craintes.
Dans les sociétés à forte armature collective qui ont beaucoup de mœurs, le droit est presque naturel. “Qui leges sine moribus“ que serait le droit sans les mœurs se demandaient les anciens ?
Une évolution qui s’accélère
Depuis 1945 nous avons assisté, en matière de bioéthique à l’émergence d’un droit mou, à des conventions internationales qui ont été amendés et renforcés avec l’évolution des pratiques, et on n’est qu’au début d’une nouvelle dynamique mais par certains aspects à aucun moment la loi seule ne pourra trancher. L’histoire récente légitime ce doute. Doute et réflexion sont nécessaires pour suivre le mouvement et parfois concilier l’inconciliable…
La seconde étape historique après celle de l’accélération de découvertes scientifiques, débute à la fin de la deuxième guerre mondiale. Des textes fondateurs comme la charte des Nations Unis en 1945, la déclaration universelle des droits de l’homme en 1948 la convention Européenne des droits de l’homme (CEDH) en 1950 ont posé les premiers jalons d’une nouvelle approche de la question de dignité des êtres humains de leurs droits inaliénables mais ils ont été insuffisants pour arrêter les dépassements.
Historiquement à la fin de la guerre, le monde a découvert avec horreur les crimes commis par les médecins chercheurs nazis sur les prisonniers des camps de concentration au nom de la science. Le monde a aussi été choqué lors du procès de Nuremberg par les déclarations de la plupart des médecins accusés de crimes contre l’humanité, l’inconscience sociale de certains savants. Ces médecins nazis se sont acharnés à défendre leurs positions morales et ont assumé en partie leurs actes. Mais il y a eu un avant et un après Nuremberg pour la recherche, car ce procès s’est transformé en procès de la recherche médicale. Pour leur défense les médecins nazis ont été offensifs. L’immense majorité des accusés (dont beaucoup étaient des chercheurs mondialement reconnus à l’époque (Professeurs Ferdinand Sanerbruch, Wolfgang Heubner, Werner Leibbrand et leurs collaborateurs) a déclaré avoir la conscience tranquille car ils n’ont tiré aucun avantage matériel de leurs travaux et la seule finalité de ce qu’ils avaient fait était d’améliorer le sort de l’humanité. Par ailleurs, le totalitarisme sous lequel ils vivaient les aurait obligés à obéir à des instructions parfois contestables. Ils ont rejeté avec véhémence les accusations de leurs collègues nord-américains, en leur démontrant qu’aux USA, on avait parfois mené exactement les mêmes expériences, avec des résultats moins bons. Morale contre morale, valeurs contre valeurs ? Pas vraiment, vraiment pas : l’idée même de les comparer serait indécente. Le Professeurs Karl Brandt et ses co-inculpés 20 médecins et 3 scientifiques ont été condamnés pour crimes contre l’humanité, mais ils ont ouvert le monde sur un énorme problème. Pourtant, aux USA, et longtemps après la fin de la seconde guerre mondiale, dans les années 60, des chercheurs Américains à Tuskegee, en Alabama, ont par exemple laissé sciemment évoluer des cas de syphilis chez des noirs américains pour pouvoir étudier l’évolution de la maladie sans traitement. Beaucoup d’autres illustrations de dérives de ce type, plus récentes et dans toutes les régions du monde, témoignent de l’absolue nécessité d’une réflexion éthique concomitante (tutrice) à chaque avancée ou projet d’avancée scientifique.
Il n’en demeure pas moins que les premiers repères bioéthiques modernes ont été établis par la communauté internationale à Nuremberg en 1947 (Code de Nuremberg www.espace-ethique.org) sous forme d’un code en dix points définissant les grands principes qui deviendront les fondements de la bioéthique de la recherche, il s’agit de grands principes comme celui du consentement volontaire et éclairé de l’absence de coercition, de la possibilité de se retirer à tout moment de l’expérience, de la justification scientifique de l’expérience et sa nécessité ou encore la protection du sujet de la recherche contre tout dommage physique non nécessaire et la proportionnalité.
Ce code fut certes une avancée dans le principe de protection des personnes humaines, mais cela restait encore insuffisant. Le monde s’est construit progressivement d’autres codes de conduites, des balises éthiques qui prennent de l’importance et du volume au fil du temps. Les lois nationales s’en inspirent régulière. Les recommandations supranationales de bioéthique sont un vivier où chacun est libre de puiser.
Depuis la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, (Déclaration universelle des Droits de l’Homme Nations Unies le 10 décembre 1948 (http://www.unhchr.ch/). Il ne se passe pas une année sans qu’une nouvelle déclaration internationale ne soit proclamée. Ainsi, la déclaration d’Helsinki, adoptée en 1964 par l’Association Médicale Mondial a été amendée six fois lors des assemblées générales de l’AMM (la 29e à Tokyo (1975), 35e à Venise (1983), 41e à Hong Kong (1989), 48e à Somerset West (Afrique du Sud) (1996), 52e à Edimbourg, Ecosse (2000) 53e à Washington, Etats Unis (2002) 55e à Tokyo, Japon (2004) et 59e à Séoul, Corée, (2008)).
La problématique se corse quand le praticien se confond avec le chercheur sciemment ou involontairement. Le rapport Belmont en Avril 78 (USA) (The National Commission for the Protection of Human Subjects of Biomedical and Behavioral Research), élaboré par la commission nationale pour la protection des sujets humains dans le cadre de la recherche biomédicale et béhavioriste, a été vraiment la pierre angulaire qui a permis d’asseoir les principes bioéthiques et notamment la nécessité d’une nette distinction quand une même personne exerce le rôle de médecin et de chercheur pour un même malade. L’orientation thérapeutique de la déclaration d’Helsinki dans sa 5me révision à Edimbourg en 2000 ne s’est pas faite sans difficulté, notamment le rôle du placebo !
En 1989, une convention relative aux droits de l’enfant a complété d’autres failles du rapport Belmont. En 93 le Conseil des Organisations Internationales des Sciences Médicales (COISM) (International Ethical Guidelines for Biomedical Research Involving Human Subjects, http://www.cioms.ch) qui regroupe conjointement les représentants de l’OMS et ceux de l’UNESCO depuis 1949, s’est inscrit dans la continuité des déclarations de Nuremberg et de Helsinki a publié un document qui a été réactualisé en 2002, définissant en 21 points les lignes directrices de la recherche sur le sujet humain.
En 2000, à Genève, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a adopté ce qui a été défini comme étant les lignes directrices qui visent à faciliter et à encourager l’évaluation de la bioéthique dans tous les pays du monde, enfin l’UNESCO, en 2005 a adopté une déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme.
Le questionnement éthique est une permanente remise en question de nos choix mais toujours guidée par des principes universels, comme le respect de l’Homme.
La multiplication des déclarations reflète en elle-même la méfiance de la société vis-à-vis des chercheurs.
Enfin la contestation de la notion de socle de valeurs fondamentales communes à toute l’humanité, tel que par exemple la liberté, la dignité ou le droit à la vie des personnes est une arme entre les mains de démagogues. Si chacun se bâtit à la fois des valeurs issues d’un vécu personnel, familial, national, régional qui lui sont propres, rien n’interdit d’avoir des valeurs universelles sur lesquelles tous les êtres humains s’accordent comme le respect de la dignité humaine et des droits de l’homme. Le bon et le mauvais par rapport à un individu, notre groupe, notre société ne peuvent pas être définis ailleurs qu’au sein de la communauté en question, c’est la mission des comités nationaux et locaux de les cerner en harmonie avec les valeurs universelles. Libre à chaque groupe humain de recourir lors de la réflexion à la fois à des repères personnels et un socle commun pour répondre aux questionnements soulevés par les nouvelles pratiques, s’interroger en permanence sur le meilleur et l’optimal, car la démarche éthique, propose des valeurs, rarement des devoirs : elle privilégie une sagesse de l’art de vivre ensemble, plutôt que des règles impératives. La démarche bioéthique reste donc à jamais un compromis, et non une solution toute faite, un questionnement permanent, indépendance et pluridisciplinarité en sont les fondements.
Alors que le droit peut être défini comme « un ensemble de régulations contraignantes, qu’une société se donne à un moment donné pour sa cohésion, l’organisation des relations sociales et la définition des droits et obligations de chacun ». Le droit est un système normatif, il est contraignant alors que la démarche éthique est tout à fait opposée à la norme et à la contrainte. Le droit est créé et régulé par le pouvoir politique en concertation avec d’autres représentants de la société, comme les représentants de la société civile, les partenaires sociaux, les juges etc… alors que la démarche bioéthique est au mieux le fruit de comités consultatifs. Le droit a une légitimité démocratique, ce qui n’est pas le cas de la démarche bioéthique qui n’a d’autre légitimité que celle que lui confère les décideurs ou que s’octroient les personnes. Il s’agit là de différences fondamentales avec le droit. Le droit et la bioéthique sont complémentaires mais l’un impose alors que l’autre se contente de recommander, l’absence du caractère contraignant de la démarche bioéthique lui permet de combler parfois le déficit « d’efficacité » du droit, par ailleurs ceci permet à la bioéthique de préparer le terrain au droit, car elle est plus libre de ses mouvements. C’est donc un va et vient permanent entre les deux qui enrichit l’un et l’autre. La société peut parfois ressentir le besoin de transformer un avis éthique pour en faire une loi contraignante par la suite l’application de cette même loi soumise à l’épreuve de vie va susciter de nouvelles questions bioéthiques. Le droit se renouvelle suite à la réflexion bioéthique, tout comme la réflexion bioéthique est en permanence alimentée par l’application des règles juridiques.
Enfin et face à l’importance des enjeux, nous sommes peut-être en train d’évoluer vers une démocratie participative ou carrément délibérative. L’exemple de la loi tunisienne 2001 – 93 sur la procréation artificielle est l’illustration d’une collaboration exemplaire entre le comité national d’éthique médicale et le législateur. Y sont affirmées certains principes forts comme la non instrumentalisation des embryons, la non commercialisation, l’interdiction de l’eugénisme ou le clonage (articles 7 et 8). Par ailleurs, l’article 9 de la même loi indique que “la conception in. Vitro ou par d’autres techniques d’embryons humains à des fins d’étude, de recherche ou d’expérimentation est interdite”. Simpliste. Cependant, le silence de la loi sur la possibilité d’utiliser les embryons surnuméraires pour la recherche et l’expérimentation reste inexplicable d’autant plus que l’article 11 de la même loi a prévu la possibilité de la destruction des embryons surnuméraires à la demande des parents. Par ailleurs en Tunisie l’embryon (Loi n° 2001 – 93 du 07août ,2001J.O.R.T. n° 63 du 07 août 2001, pp. 2025-2027.) n’a pas le statut de personne humaine (Loi n° 2004-63 du 27 juillet 2004, J.O.R.T., n° 61 du 30 juillet 2004, pp. 1988-1997)
L’embryon doit être protégé et a droit à la vie, quid alors de la question du droit à l’avortement ? Le droit à l’avortement est garanti par la loi en Tunisie.
Autre contradiction, le consentement qui est un des fondements de toutes les lois depuis 1945 est mis à mal. En 2004, le législateur tunisien a adopté une loi sur la protection des données à caractère personnel. Mais l’article 14 de cette loi qui interdit “le traitement des données à caractère personnel qui concernent, directement ou indirectement, l’origine raciale ou génétique, ..., ou la santé” ajoute une série d’exceptions. Le traitement de ces données est “possible lorsqu’il est effectué avec le consentement exprès de la personne”, mais aussi “lorsque ces données ont acquis un aspect manifestement public”, ou “lorsque ce traitement s’avère nécessaire à des fins historiques ou scientifiques, ou lorsque ce traitement est nécessaire à la sauvegarde des intérêts vitaux de la personne concernée”.
Donc la loi n’exige pas le consentement dans tous les cas de figures. De plus, cet article 14 figurant dans la partie du régime général des données se trouve neutralisé par les dispositions de la deuxième section du chapitre V consacrant un régime dérogatoire pour les données relatives à la santé. (Loi n° 2001 – 93 J.O.R.T. n° 63 du 07 août 2001.)
En conclusion
Entre le droit et la réflexion bioéthique, il est sain que les échanges soient fluides et soutenus mais cela ne va pas toujours de soi “… l’intervention de la loi dans un domaine à priori médical ne va pas de soi, car d’une part, les questions qui s’inscrivent dans le cadre de la réflexion bioéthique sont d’ordre éthique, scientifique, philosophique ou économique plutôt que juridique et, d’autre part, il existe d’autres normes que la norme juridique susceptibles de régir ces pratiques. “ (V. Sebag-Depadt).
De plus la science crée tous les jours de nouveaux espaces vides de droit. Les difficultés à l’échelle nationale de s’adapter aux évolutions de la science se trouvent majorées quand elles se posent à l’échelle mondiale. Quand bien même certains pays ratifient les conventions et déclarations, la mondialisation, la mobilité des moyens, des scientifiques et des malades rend parfois inefficientes les lois nationales de bioéthiques, quand elles existent ! Partant de là je ne crois pas que le monde puisse faire l’économie de la mise en place des mécanismes régulateurs internationaux efficaces qui permettent de transformer ces impératifs éthiques pour en faire au besoin des lois internationales contraignantes. Il est aussi indéniable que cette même loi, soumise à l’épreuve de vie va susciter de nouvelles questions bioéthiques. A l’aire des réseaux sociaux la démocratie participative ou carrément délibérative pourrait être probablement une des solutions face à ces enjeux majeurs pour l’Homme.
Mohamed Salah Ben Ammar**
*Conférence présentée en Mai 2015 à l’Université Saint Joseph - Beyrouth
** Médecin Professeur à la faculté de médecine de Tunis ; Membre du Comité International de Bioéthique de l’UNESCO, Président du Comité Ethique Gouvernance du Fonds Mondial de Lutte contre le SIDA, la Tuberculose et le Paludisme, Président du Comité éthique et recherche à l’OMS – Région EMRO.