Boubaker Ben kraiem: Pourquoi sommes-nous si hésitants à appliquer la Loi ?
Toutes les sociétés humaines sont régies par des règles et des lois et chaque personne est censée connaitre ses droits et ses devoirs. Celui qui enfreint à la loi, pour une raison ou une autre, doit être, aussitôt, sanctionné. C’est la règle du jeu et chacun de nous doit l’accepter, ayant été, depuis sa tendre jeunesse, éduqué ainsi. Cependant, et depuis presque sept ans, les choses ont changé et le citoyen est devenu très différent de ce qu’il a, toujours, été: fini le jeune tunisien affable, aimable, sympathique, serviable, respectueux des personnes plus âgées que lui, se pliant en mille pour un simple petit merci; depuis quelques années, il est devenu incorrect, impoli, paresseux,fainéant, bagarreur, partisan du moindre effort, peu travailleur, etc, etc…. N’allez-pas me dire qu’il a changé de comportement par la force des choses, parce que c’était la dictature, chez nous. Je ne chercherais pas à polémiquer à propos de la dictature, parce que le régime était, du temps de Bourguiba et de Ben Ali, plutôt, autoritaire,mais je sais que dans nos sociétés orientales, nous aimons être gouvernés par des responsables durs et tranchants, et autant que possible, justes et équitables. A mon avis, la raison de ce changement est tout autre : ce sont les premières semaines post révolution qui sont la cause de ce délitement de l’Etat et de cette insubordination qui ne cesse de nous poser des problèmes et dont nous attendons, impatiemment, la fin. Mais celle-ci ne viendra pas toute seule car la nature a horreur du vide et malheureusement, le vide est total et absolu. En effet, lorsque, durant, les premiers mois post janvier 2011, on a osé "dégager" la majorité des gouverneurs, les représentants de l’Etat avec leur Splendeur, leur Autorité et leur Prestige et on a laissé faire, nous avons signé la fin d’une époque, celle du respect, de la considération, de la déférence, de l’égard, de l’honneur, de la renommée et de l’attention. Et comme la première année, nous avons laissé faire et laissé aller, tout le reste a suivi et aucun gouvernement, depuis sept ans, n’a eu l’audace, la persévérance, et la détermination nécessaires pour dire "stop une bonne fois pour toutes" et cela en appliquant la Loi et uniquement la Loi avec toute sa rigueur. Même des décisions du Chef Suprême des Forces Armées,de surcroit stratégiques et vitales pour le pays, émanant, pour le moins qu’on puisse dire, de la plus Haute Autorité de l’Etat, celles qui somment l’Armée à protéger les richesses vitales du pays, essentiellement, l’énergie et le phosphate et ses dérivés,on hésite, encore, à les exécuter. L’exemple de l’usine tuniso-indienne de Tifert de la Skhira en est la meilleure illustration. Les pertes quotidiennes sont énormes et la faillite, si cet arrêt continue, pointe à l’horizon. Si faillite il y a, et espérons que cela ne se produira pas, la Tunisie doit dédommager, grassement, l’investisseur indou. Où est-ce que nous voulons aller ainsi ? Je vous demande de méditer sur la manière dont a été réglé un semblant d’assaut de mineurs sud- africains, il y a près de deux ans, qui sont sortis de la mine d’or où ils travaillaient, avec des barres de fer et des couteaux et avaient pris une posture hostile vis-à-vis des forces de l’ordre qui les encerclaient. Je ne vous dirai pas ce qui s’est passé mais le lendemain, les mineurs, malgré les pertes subies, redescendirent aux profondeurs de la mine. Je ne souhaiterai jamais qu’on en arrive là, dans notre pays, et utiliser les mêmes méthodes pour solutionner certains écarts mais il y a un juste milieu et surtout il faut imposer le respect des règles et des lois.Or, on n’ose, malheureusement pas encore, faire usage de la force de la Loi!!Pourquoi ? Il faut aussi que les gouvernants aient le courage de prendre leurs responsabilités et utiliser les gros moyens quand il le faut car n’importe qui peut gouverner en laissant faire et en laissant aller. Pareille méthode peut nous mener très loin et même trop loin, à tel point qu’on risque, un jour,de ne plus pouvoir tenir les rênes. Et cet exercice à répétition commence à nous coûter les yeux de la tête. Il se peut aussi que la question de Tifert soit réglée avant la parution de cet article, mais cela a été fait à quel prix? Et puis, préparons-nous au prochain arrêt d’une autre usine ou au blocage de la route y conduisantpuisque cela est payant!!
Sentant un certain laxisme et beaucoup d’hésitation de la part du gouvernement, les malfrats dans les domaines dela corruption, dela contrebande,de la fraude fiscale, des tromperies de toutes sortes*fourniture de viande avariée, de viande d’ânes et de chats, égorgement de bêtes mortes, la gestion de certains abattoirs, salamis avariés, préparation impropre des kakis pour enfants,etc….) se sont donnés à cœur joie pour faire fortune au détriment du peuple qui souffre en silence tellement la vie est devenue difficile dans notre pays, dans ce pays où il y a une décennie,Tunis était classé parmi les cinq villes les moins chères du monde.
D’autre part, des gangs dans différents domaines se sont formés, dans plusieurs régions de l’intérieur, pour fonctionner en pays conquis tellement leurs œuvres sont réalisées avec beaucoup de facilités et énormément d’assurance. On se croirait dans les favelas sud-américaines: en effet, des gangs spécialisés dans l’attaque, de nuit, de demeures où ils pénètrent par effraction pour ligoter les propriétaires, et prennent tout leur temps pour chercher et trouver l’argent et les bijouxqui sont faciles à cacher ou à écouler.Ils repartent tranquillement sans s’inquiéter le moins du monde. D’autres volent les voitures et après quelques jours, le propriétaire est contacté par un messager ou même par téléphone et est sommé de payer une rançon pour récupérer son véhicule. La plupart des victimes, ayant peur et n’osant pas avertir les forces de l’ordre, acceptent les conditions et suivent les instructions du voleur pour récupérer leurs biens. Une autre catégorie de gangs est celle qui plante des herbes et des plants destinés aux stupéfiants. Il semble que les quantités dépassent, maintenant, les quelques plants habituellement plantés dans des bacs à fleurs pour occuper d’importantes surfaces. On ne peut pas ne pas se demander pourquoi tout cela n’était pas aussi développé avant 2011 ? C’était, tout simplement, la peur d’être, sévèrement, sanctionné qui les empêchait decommettre pareils forfaits.
Beaucoupde nos concitoyens croient que tous ces gangs, ainsi que les barons de la contrebande, du marché parallèle, et ceux qui ne paient pas le fisc, ont commencé à décupler leurs actes répréhensibles, et à agir ainsi, avec force et en puissance, parce que le code pénal n’est pas assez sévère. Faut-il penser d’urgence à le faire réviser pour que les sanctions, c’est à dire l’incarcération,c’est-à-dire la prison soient des plus exemplaires. C’est seulement ainsi que les malfrats et leurs acolytes réfléchiront mille fois avant de continuer leurs basses besognes. Il faut faire promulguer, et le plus tôt possible, des textes de Loi avec des sanctions des plus dissuasives. Lafraude fiscale est punissable de prison dans de très nombreux pays. Pourquoi ne pas faire autant si cela n’existe pas chez nous?
Notre pays serait, d’après les experts en fiscalité, doté de capacités financières lui permettant de ne pas avoir recours à l’emprunt extérieur. De nombreux médecins et avocats paieraient une taxe forfaitaire de 500 à 1000 dinars par an comme impôts alors qu’ils devraient payer 20 à 40 fois plus au minimum. Pourquoi ne pas responsabiliser l’ordre des médecins et celui des avocats et leur demander de faire des propositions concrètes et sérieuses à ce propos et ce, en vue de payer les impôts sur les gains réels et non forfaitaires? Devrons-nous détacher, pendant des mois, des comptables auprès des cabinets de ces messieurs pour avoir une juste idée sur leurs gains réels ? Après tout, pourquoi ne pas le faire, à titre d’essai, auprès d’un certain nombre d’entre eux, tiré au hasard?
L’économie du commerce parallèle représenterait 35% du produit intérieur brut (PIB). 35% de la richesse produite par lesTunisiens sont issus de l’économie parallèle.
Certains experts estiment que si ce pourcentage (35%) était inclus dans le circuit formel, l’État pourrait bénéficier de 28 milliards de dinars, soit le montant du budget de l’État pour une année.
D’autres questions, les unes aussi importantes que les autres, sont, régulièrement, éludées, telles que la recherche des responsables des recrutements de nos jeunes envoyés aux foyers du terrorisme, en Syrie, en Irak, en Libye et ailleurs !! Pourquoi cet effort et ces initiatives n’étaient pas utilisés pour convaincre la jeunesse tunisienne qui remplit, quotidiennement, les cafés, à effectuer leur devoir du service national pour participer au combat contre les terroristes, dans notre pays en vue de les éliminer ou de les en chasser une bonne fois pour toutes.
C’est surtout lors de ces moments difficiles qu’on connait le bon grain de l’ivraie. Notre pays traverse une période très dure de son histoire, presque aussi dure que celle qu’a connue Carthage lors de ses péripéties avec Rome. Sa jeunesse s’est révoltée pour la liberté, la dignité et le travail. Certains gouvernements, au début de la révolution, n’ayant aucune expérience du pouvoir, ont dépensé sans compter et ont même utilisé les réserves destinées aux générations futures. Ces dépenses inutiles qui n’ont pas servi au développement des régions défavorisées de l’intérieur mais à payer les salaires des dizaines et des dizaines de milliers de personnes injectées dans la fonction publique qui n’en avait aucunement besoin.Lesdédommagements attribuées, et tel ministre de l’éducation qui ramena le volume horaire hebdomadaire des enseignants du primaire de trente à quinze heures, mesure unique au monde mais qui nous a obligés à doubler les effectifs de ces enseignants ainsi que leur masse salariale, tel autre ministre de l’intérieur qui accorda, en une seule fois, jusqu’à trois avancements à des milliers de personnels,mesure et décision inédites, sans se soucier des répercussions budgétaires, tout cela ajouté àl’arrêt de la production des phosphates durant des années, sont à l’origine de nos problèmes financiers. Ceux-ci ne pourront être réglés que par un sursaut d’orgueil, d’éveil, de conscience et d’honneur de ceux qui croient en ce pays et qui l’aiment, de ceux à qui ce pays a tant donné, ce pays, la Tunisie, l’héritière de Carthage qui a dominé la méditerranée occidentale durant des siècles et qui aujourd’hui, lance un vibrant appel à tous ses enfants, vivants sur son sol et à l’étranger pour leur dire que le moment est grave et que chaque Tunisien doit prendre ses responsabilités pour sauver nos trois mille ans d’histoire, pour que nos enfants etnos arrières petits-enfants retrouveront le beau pays qu’il a, toujours, été, durant ces millénaires: laborieux, ouvert,généreux, agréable,hospitalier et toujours accueillant.
La Tunisie, l’héritière de Carthage compte sur ses enfants……Alors, ne la décevez pas !!
Boubaker Ben kraiem
Ancien Gouverneur
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IMon Colonel ,avec tous mes respects. Votre article exhaustif à tout mis sur la table , toute la vérité sans complaisance aucune.Seulement , après ces longues années de désordre et d'impunité qui a le courage et la volonté politique de dire stop avec force et mettre fin à cette situation désastreuse qui nous mènera sûrement vers la banqueroute et la destruction de l'etat Tunisien tant souhaitée par certaine classe politique utilisant la liberté d'expression et le droit de l'homme comme une arme de destruction massive.Voila la grande question ? Bourigua Fethi Colonel retraité