Climat : les risques sont désormais planétaires
Les ouragans Irma, Harvey et Maria ont assurément fait moins de bruit et déclenché peut-être moins de fureur que la tempête provoquée en Tunisie mercredi 13 septembre 2017, par le vote de la loi sur l’amnistie administrative à l’ARP!
Nos concitoyens auraient tort cependant de ne pas tirer les conclusions de ces évènements météorologiques… qui vont se répéter de l’avis de tous les spécialistes et notamment de celui du rédacteur de l’éditorial du 9 septembre 2017 de la prestigieuse revue médicale britannique The Lancet - fondée en 1823.
On nous objectera que le TGM ne dessert pas les Caraïbes, la Floride ou le Texas… qui sont bien loin. C’est sûr mais la tempête subie par la Toscane voisine et ses six morts (le 10 septembre 2017) et la terrible et inattendue bourrasque qui a balayé la Roumanie dimanche 17 septembre 2017 entraînant le décès de huit personnes sont hélas là pour nous amener à réfléchir et surtout à prévoir.
Et puis, têtus, les faits sont là: Avec Michael Mann, professeur de sciences du climat à la Pennsylvania State University, on peut rappeler quelques faits scientifiquement prouvés liés au changement climatique d’origine anthropique - fait de la main de l’homme - et dont on peut dire «avec une grande assurance» qu’ils ont aggravé les inondations: la hausse d’une quinzaine de centimètres du niveau de l’océan sur les dernières décennies, l’augmentation de 0,5°C de la température de surface de la mer durant la même période, deux facteurs qui augmentent, non la fréquence, mais la puissance des cyclones tropicaux. Pour les climatologues, une certitude: «Quand les océans se réchauffent, les ouragans sont plus intenses» mais ils observent dans le même temps qu’aux Caraïbes, «une telle série [d’ouragans] dans cette zone, c’est inédit» (L’Humanité, 20 septembre 2017, p. 15).
Les effets de l’inondation à Houston ont été évidemment aggravés par la bétonisation effrénée de la région de Houston; à cet égard, il convient de rappeler que Donald Trump a signé, le 15 août dernier, un décret visant l’annulation d’une décision (presidential order) de Barack Obama obligeant les constructeurs bénéficiant de fonds fédéraux à prendre en compte les risques liés au changement climatique. M. Trump a même décidé d’amputer de 6% le budget du National Weather Service(NWS) (Agence nationale de la météorologie) inaugurant ainsi une politique anti-science et réservant la somme prise au NWS à la construction d’un mur anti-émigrés à la frontière avec le Mexique.
La globalisation des risques est planétaire
Ayant annoncé le retrait de son pays de la COP 21 organisée à Paris en décembre 2015, M. Trump se voit confronté à une énorme bronca: lors de la réunion du C40 à New York - un forum des grandes villes de la planète engagées contre le réchauffement climatique - 375 collectivités locales américaines - l’Etat de Californie et Los Angeles, les villes de New York, de Chicago, de Boston, Austin… par exemple - ont décidé de mettre en place les principes établis à Paris concernant le changement climatique. Des universités, des entreprises et des gouverneurs d’Etats se sont inscrits, eux aussi, dans ce mouvement en vue de réduire les émissions de gaz à effet de serre, réaffirmant leur engagement en faveur de l’Accord de Paris. Le principe énoncé par Bush père lors du Sommet de la Terre, à Rio, en 1992: «le niveau de vie des Américains n’est pas négociable» est maintenant complètement obsolète face à la réalité du changement climatique.
Tous les observateurs ont été frappés par les scènes provoquées par l’inondation à Houston: on avait l’impression de voir des images en provenance d’un pays du sud avec des problèmes d’eau potable, de coupures d’électricité, de risques chimiques et épidémiologiques, des autoroutes devenus fleuves, 24 morts au Texas…. Les pays industrialisés apparaissent, de fait, tout aussi vulnérables aux aléas climatiques que les pays du Tiers Monde! A Houston, il était clair que le déchaînement climatique a mis à mal les capacités américaines à limiter de manière acceptable les dégâts. Dans la quatrième mégapole des Etats Unis, on a vérifié cette loi d’airain: les populations les plus exposées sont les plus pauvres parmi les latinos et les noirs. Les pauvres et les riches n’ont pas payé le même tribut aux colères de la Nature. Il est clair que les risques sont désormais planétaires.
De très gros dégâts
Pour les météorologues, selon The Lancet, les volumes de pluie sans précédent et les énormes inondations qui ont été enregistrés au cours de la dernière période sont difficiles à comprendre. Plus de 1400 personnes ont perdu la vie en Asie du Sud et des dizaines de millions ont particulièrement souffert des précipitations d’une mousson sans équivalent connu. La pire inondation en cent ans a couvert le tiers du territoire du Bangladesh. Au Népal, près d’un million de personnes se sont trouvées en insécurité alimentaire. En Inde, plus de 7000 écoles ont été endommagées en pleine période d’examens avec des apprenants qui n’auront pas de diplômes. Au Pakistan, les célébrations de l’Aïd al Kébir ont été gâchées par les inondations. L’île de Macao et ses fameux casinos ont été durement battus par le typhon Hato, la plus forte tempête observée depuis 50 ans, ainsi que Hong Kong et le sud de la Chine. Sur notre continent, la Sierra Leone a été endeuillée par la mort de 499 victimes – dont 150 enfants - du fait de glissements de terrain provoqués par les trop abondantes précipitations.
Les preuves ne cessent de s’accumuler: les désastres météorologiques vont devenir de plus en plus fréquents, à Houston et ailleurs. Voyez un indicateur sérieux: les fortes préoccupations des assureurs et réassureurs face au dérèglement climatique révélées au grand jour par la récente réunion de la profession à Monaco. Dans la revue «The Lancet Planetary Health» du mois de septembre 2017, Giovanni Forzieri (Hydrologue, Commission Européenne) et ses collègues prédisent que les dégâts dus au dérèglement climatique pourraient affecter près des deux tiers des Européens d’ici la fin du siècle et que le nombre de victimes serait multiplié par 50, passant de 3000 annuellement à 152 000. Bien des villes dans le monde prennent ainsi des mesures pour se protéger. Ainsi, la ville de Boston aux Etats Unis a édité un guide «Climate Ready Boston» donnant des règles de conduite à adopter en cas de précipitations extrêmes et d’élévation du niveau de la mer. Cette brochure insiste sur le fait que la survie des villes côtières dépend de la réduction des émissions de gaz carbonique.
Les Tunisiens discutent à l’heure actuelle de la Constitution du 27 janvier 2014 et pensent à la réformer. Face à la réalité du changement climatique, il faudrait arriver à y inscrire de manière sérieuse, et non du bout des lèvres, les biens communs et la question climatique pour édifier une république juste, sociale et écologique. Cette éventuelle Constitution doit nourrir l’espoir d’un avenir meilleur, qu’il s’agisse des inondations ou de la sécheresse, même si seule l’action universelle concertée de toutes les nations est en mesure de venir à bout des causes du changement climatique… désormais aux risques planétaires.
Mohamed Larbi Bouguerra