En écoutant Youssef Chahed présenter lundi matin aux élus de la nation, son programme de relance économique, on est encore plus édifié quant à la gravité de la situation. Le diagnostic établi, déjà connu, a été en fait actualisé en plus inquiétant. Les solutions préconisées, voulues à moyen terme, soit l’horizon 2020, relèvent d’un même registre déjà expérimenté sans pour autant garantir de véritables performances. Les gouvernements successifs ont tous dénoncé le schéma de développement suivi jusque-là, et promis de le changer, sans y parvenir. Mais, une fois de plus, les Tunisiens, bien que désenchantés, n’ont d’autre choix que celui de laisser Chahed et son équipe à la manœuvre, en leur souhaitant bonne chance.
Ce qu’ils auraient cependant aimé savoir, c’est comment Youssef Chahed compte s’y prendre ? Quelles sont les mesures douloureuses que les Tunisiens auront à supporter ? Et quel soutien effectif escompte-t-il de la part de l’UGTT et de l’UTICA ? Les exemples sont nombreux.
Réforme fiscale : Le chef du gouvernement peut-il éclairer la lanterne des Tunisiens sur l’évasion fiscale, la sous-déclaration des revenus, et le régime forfaitaire ? Combien paye un salon de thé au Lac, à Ennasr et dans d’autres quartiers huppés ? Combien paye salon de coiffure de haut standing ou un centre d’esthétique et de soins de beauté ? Une boutique de costumes mariage, en vente ou en location ? Bref, quel est son plan détaillé pour mettre en œuvre la réforme fiscale ?
Fiscalité : La TVA sera-t-elle augmentée ? De combien ? Le prix des hydrocarbures, et partant de l’électricité, la vignette sur les véhicules, le tabac, l’impôt sur les dividendes, la taxe de consommation, et autres ?
Cotisations sociales : Chahed a annoncé la nécessité de leur augmentation. De combien et selon quelle répartition entre employeurs et salariés ?
Prolongation de l’âge de départ à la retraite : Le principe était déjà annoncé depuis des années. Rien n’est encore fixé ! Quand la décision sera précise et avec quelle date d’effet.
Maîtrise de la masse salariale et sa réduction de 15% du PIB actuellement à 12.5% à l’horizon 2020. Avec quel tour de magie : accroissement du PIB ? Dégraissage de plus de 100.000 agents non-indispensables parmi les 130.000 recrutés depuis le 14 Janvier ? Incitation à la retraite anticipée et au départ volontaire ? Combien de fonctionnaires en profiteront d’ici 2020 ?
PPP : Mais, l’UGTT s’y oppose. A-t-il trouvé une formule de compromis ?
Privatisations : Le principe est certes la préservation de la paix sociale, comme l’a souligné le chef du gouvernement, mais l’urgence est d’arrêter l’hémorragie des flux massifs d’argent à injecter chaque mois. Le temps de l’assainissement et de la restructuration ne fait que prolonger l’agonie, sans pour autant garantir une privatisation dans des conditions avantageuses. Est-ce pour gagner du temps vis-à-vis de la centrale syndicale et des bailleurs de fonds internationaux ? Chahed n’affiche pas une réelle détermination à s’engager de suite dans la privatisation. Les Tunisiens, impatients, comprennent qu’il n’a pas su en convaincre l’UGTT.
Banque des régions : Le chef du gouvernement annonce le lancement du projet à partir d’un diagnostic du dispositif actuel de financement. Que de retard enregistré. Le projet était déjà tout ficelé depuis 2015.
Ciblage des bénéficiaires de la compensation : Selon quels critères ? Avec quels moyens pratiques et dans combien de temps ?
Est-ce la bonne méthode ?
On comprend parfaitement que Youssef Chahed ait été décidé de procéder en goutte-à-goutte, sans tout dire à la nation dans son discours programme au Bardo. Il a certainement voulu réserver la lourde note à la présentation de la loi de finances et du budget de l’Etat. Est-ce la bonne méthode ?
Ce qui est certain, c’est que les Tunisiens restent sur leur faim. Ils n’ont eu droit qu’à un plan d’obstacles à franchir et non d’étapes à gagner, sur la voie de la stabilisation et de la prospérité. Le gouvernement parle de lui-même, de ses propres contraintes, et non des Tunisiens, de leurs préoccupations au quotidien et de leur avenir commun. Rien sur l’école, combat premier qui doit être pour la nation. Rien sur la santé, avec ses coûts et ses soins inaccessibles, sauf pour les nantis. Rien sur les transports publics, calvaire quotidien de la plus large frange de la population. Rien sur le commerce informel, qui s’érige en toute puissance. Rien sur ...
Un plan de redressement, c’est d’abord une âme, une vision, et schéma d’ensemble. Tout en faisant confiance à Youssef Chahed, ne serait-ce que pour l’action contre la malversation déclenchée le 23 mai dernier, les Tunisiens ne peuvent se contenter de ce qu’il leur dit lundi au Bardo. Du gouvernement remodelé, ils attendent plus, beaucoup plus, mieux, nettement mieux et au plus vite.
Taoufik Habaieb