Aziz Krichen: Caïed Essebsi, Ghannouchi, les femmes, la charia et la lutte pour le pouvoir
Le 13 août 2017, à Carthage, dans un discours commémorant le 61ème anniversaire de la promulgation du CSP (Code du statut personnel1 ), le président Béji Caïed Essebsi a fait deux annonces,afin, a-t-il dit, de mettre certaines des dispositions réglementaires ou légales de ce code en conformité avec le nouveau texte constitutionnel. La première annonce porte sur la révision de la circulaire du 5 novembre 1973, qui interdit le mariage des Tunisiennes musulmanes avec des non-musulmans; la deuxième concerne la réforme des lois successorales, qui discriminent les femmes par rapport aux hommes dans l’héritage.
Sitôt émises, ces propositions – qui se démarquent de la charia, le droit canon musulman2 – ont brutalement ravivé les clivages identitaires et soulevé un immense tollé, y compris dans d’autres pays arabes, notamment en Egypte3. Depuis trois semaines, à travers les médias comme sur les réseaux sociaux, dans une atmosphère confinant parfoisà l’hystérie, il n’est plus question que de cela, chacun étantquasiment sommé de choisir un camp, celui des «pour» ou celui des «contre».
Démocrate, je suis viscéralement attaché à la plus entière égalité en droit des femmes et des hommes. Je ne m’estime pourtant pastenu d’applaudir quand on me presse de le faire. En revanche, je me sens un devoir de chercher à saisir les objectifs réels poursuivis en provoquant pareille polémique.Je n’oublie pas, en effet, que Béji Caïed Essebsi est d’abord un homme politique et qu’un homme politique cherche toujours à obtenir un gainpour luien adoptant telle ou telle position.
Formulée autrement, la question que je veux aborder devient la suivante: quel est l’intérêt politique qui se cache derrière cet appel à l’abrogation de la circulaire de 1973 et à l’égalité dans l’héritage? Est-ce que cet intérêt coïncide réellement avec la cause de l’émancipation des femmes ou ne s’agit-il que d’un stratagème, qui vise à atteindre d’autres fins que celles proclamées?
Je ne suis pas dans le procès d’intention, mais dans l’analyse des faits. En 2012, lorsqu’il créa Nidaa Tounès, on se souvient que Caïed Essebsi avait été très intransigeant en apparence : il prétendait vouloir barrer la route aux islamistes d’Ennahdha et débarrasser le pays des menaces qu’ils faisaient peser sur lui. Même tonalité dans les déclamations de campagne lors des législatives et des présidentielles de l’automne 2014: il s’agissait toujours de chasser Ennahdha du pouvoir.
On sait comment il a agi ensuite. Loin de rejeter les islamistes dans l’opposition, il les a intégrés dans sa majorité parlementaire et dans les coalitions gouvernementales qui se sont succédé depuis. Caïed Essebsi a donc commencé par dire une chose, pourensuite faire exactement le contraire. Cette duplicité a été vécue comme une trahison par une majorité de ses partisans. Ajoutée à sa volonté d’imposer son propre fils à la tête de Nidaa Tounès, elle a beaucoup contribué à nourrir les divisions qui ont déchiréce parti après les élections et fini par le faire éclater en plusieurs factions rivales4.
Une autre réalité mérite d’être évoquée, en liaison avec le domaine des compétences dévolues à la présidence de la République. Dans notre nouveau régime, très largement parlementaire, c’est le Premier ministre qui détient l’essentiel du pouvoir exécutif. Le président ne dispose que de prérogatives limitées en matière de relations extérieures, de défense et de sécurité. Sur un plan strictement constitutionnel, les proclamations du 13 août se situent, par conséquent, totalement en dehors du champ des attributions qui lui sont légalement reconnues5.
L’abrogation de la circulaire de 1973 relève de l’autorité du gouvernement, qui aurait toute latitude, s’il le voulait, d’ignorer les injonctions en provenance de Carthage. Davantage: la révision des dispositions discriminatoires à l’égard des femmes en matière d’héritage suppose l’adoption d’une nouvelle loi organique, celle-ci exigeant un vote à la majorité absolue des députés. Or le chef de l’Etat est loin de disposer d’une telle majorité, étant donné la composition actuelle de l’ARP (Assemblée des représentants du peuple).
Ainsi, si l’on s’en tient à la distribution des pouvoirs telle qu’elle est définie par la Constitution, les deux promesses phares du 13 août apparaissent comme de la pure communication. Ou comme de simples effets d’annonce: des annonces qui n’engagent que ceux qui y croient, puisque leur concrétisation éventuelle ne dépend pas de leur auteur, celui-ci ne disposant pas des moyens nécessaires pour les mettre en application.
Pourtant, malgré ces restrictions, elles ont eu un impact politique considérable, contraignant l’ensemble des partis et de nombreux milieux intellectuels et sociaux à se repositionner par rapport à elles. C’est cet impactpolitique effectif qu’il convient à présent de sonder.
Un pays fracturé
Pourquoi un tel discours de la part de Béji Caïed Essebsi? Pourquoi maintenant? Qui cible-t-il réellement dans cette affaire? Quels bénéfices en escompte-t-il? Pour répondre à ces questions, il faut commencer par situer le cadre à l’intérieur duquel s’organisent les luttes de pouvoir en Tunisie.
Le jeu politique, en effet, ne se déploie jamais librement; il est toujours fortement conditionné par les contraintes objectives qui s’exercent sur ses acteurs. Les contraintes sont multiples. Elles sont d’abord d’ordre matériel. Je dois à cet égard rappeler quelques évidences, que tout le monde connaît, mais qui sont néanmoins rarement prises en considération dès lors que l’on aborde le fonctionnement concret de la sphère politique et idéologique.
La Tunisie est un pays retardataire et dépendant et c’est un pays fracturé. Son économie est formée par la juxtaposition de deux secteurs très éloignés l’un de l’autre: un secteur minoritaire, modernisé et «structuré», intégré de façon subalterne au marché mondial; et un secteur majoritaire «informel» ou «parallèle», issu de la décomposition de l’économie rurale traditionnelle et vivant en marge des circuits de production et d’échange légaux.
A cette fracture de base dans l’économie correspond une fracture équivalente dans les structures sociales. Ici aussi, le pays apparaît coupé en deux, la séparation sociologique s’accompagnant d’une ségrégation territoriale prononcée. Les groupes sociaux formés autour de l’économie modernisée (les chefs d’entreprises, les salariés, les fonctionnaires, les professions libérales…) sont concentrés dans les villes de la Tunisie côtière. Les masses déclassées de l’univers informel (les paysans, les micro-entrepreneurs clandestins, les travailleurs du secteur non structuré…) sont cantonnées dans les régions déshéritées de la Tunisie intérieure et, de plus en plus, dans les quartiers périphériques des grands centres urbains.
Se confortant réciproquement, les divisions économique et sociologique du pays produisent spontanément, à leur tour, une sorte de polarisation sur le plan des représentations et des conduites culturelles. Une partie du corps social est attirée et en quelque sorte aimantée par le système de valeurs des pays occidentaux avec lequel elle est en relation plus ou moins directe: c’est la population moderniste et sécularisée. A l’inverse, une autre partie du corps social, extérieure à la mondialisation et refoulée par elle, se réfugie dans une forme de repli sur soi, en survalorisant son attachement à l’islam, fondement de son identité primaire : c’est la population traditionnaliste.
Les Tunisiens semblent ainsi divisés à tous les étages de leur existence collective. Ils sont divisés objectivement et subjectivement, leurs divisions subjectives étant parfois plus lourdes de conséquences que leurs divisions objectives. Il ne faut cependant pas tirer de conclusion trop mécaniste de pareil constat. La fracture idéologique du pays est sans doute le produit de sa fracture économique et sociologique, mais elles ne sont pas exactement superposables. On rencontre nombre de Tunisiens modernistes dans le secteur informel et de Tunisiens traditionnalistes dans le secteur structuré.En matière de représentations et d’attitudes culturelles, la réalité est toujours plus complexe que les plus beaux schémas explicatifs.
Cette nuance faite, il reste que les différentes fractures du pays sont liées entre elles et se nourrissent les unes des autres. Seconde nuance importante à apporter: la division identitaire traverse la population tout entière, mais c’est naturellement parmi les élites, au sens large, que le clivage est le plus profond. C’est là qu’il génère les antagonismes les plus exacerbés, qui peuvent aller jusqu’au refus de l’autre et à sa négation.
Exploitation politique des clivages identitaires
Les développements qui précèdent, nécessairement sommaires, tendaient à définir le cadre d’ensemble qui sous-tend l’action des partis tunisiens depuis de longues décennies. Lorsque l’on fait l’effort d’intégrer les déterminations qu’il met en œuvre, on comprend pourquoi l’espace politique organisé par un tel cadre ne laisse de place qu’à deux courants principaux – et à deux seulement –, le modernisme et l’islamisme, représentés aujourd’hui par Nidaa Tounès (dernier avatar du Néo-Destour de Bourguiba et du RCD de Ben Ali) et Ennahdha (anciennement MTI, parti islamiste d’obédience Frères musulmans).
Parler de courants principaux ne signifie pas qu’il n’y ait pas de courants secondaires. Le spectre partisan tunisien compte aujourd’hui plus de 200 formations. Nidaa Tounès et Ennahdha ne sont pas seuls en lice. Sauf que tous les autres groupes ou partis évoluent dans leurs orbites, à partir de leurs matrices respectives : la matrice moderniste pour les divers partis démocratiques ou de gauche ; la matrice islamiste pour les divers groupes salafistes(piétistes ou jihadistes).D’un côté comme de l’autre, aucun de ces groupes ou partis n’est parvenu à s’émanciper de la bipolarisation et à se doter d’une assise populaire suffisamment consistante pour lui permettre de se poser en alternative.
Revenons aux deux courants principaux. Les éléments qui structurent leur relation peuvent être résumés en quelques points:
- Les deux mouvements ont des référentiels idéologiques non seulement différents, mais opposés, c’est-à-dire irréductibles les uns aux autres;
- Chacun d’entre eux dispose d’une base sociale relativement consistante, s’identifiant à lui et prête à le suivre. En d’autres termes, les deux peuvent s’appuyer sur une sorte de clientèle captive, dont la fidélité et la loyauté leur sont acquises a priori;
- Même s’ils peuvent connaître des moments de détente ou de collaboration, les rapports qui lient les deux mouvements sont fondamentalement conflictuels et antagoniques, le but ultime de chacun étant d’annihiler le vis-à-vis;
- Du fait de leur unilatéralisme idéologique, enfin, l’un et l’autre des deux protagonistes sont dans l’incapacité de porter un discours qui puisse être entendu par le peuple tout entier. De manière pour ainsi dire organique, l’un et l’autre sont dans l’incapacité d’envisager l’action politique sous un angle national, englobant l’ensemble des composantes du corps social et prenant en compte leurs différentes aspirations. Quand ils s’adressent aux pays, l’un et l’autre ne s’adressent en réalité qu’à leur propre camp.
Examinons de plus près le point concernant le caractère conflictuel de leurs rapports et leur volonté commune de rester chacun seul sur le terrain. Durant les dernièresdécennies, nous avons pu observer le phénomène dans ses deux configurations possibles. Sous Bourguiba puis sous Ben Ali, les islamistes d’Ennahdha sont désignés comme l’ennemi n°1 du régime, qui fait tout pour les abattre, en les soumettant à une répression répétée. Après 2011, sous la Troïka, changement de décor. Les islamistes sont maintenant au pouvoir et les modernistes dans l’opposition. Ennahdha désigne Nidaa Tounès comme l’ennemi n°1 et met tout en œuvre pour briser son essor, notamment par le biais de la loi dite d’immunisation de la révolution6.
L’un après l’autre, chaque mouvement a essayé de se débarrasser de son rival, mais les deux, à tour de rôle, ont échoué. Pourquoi ? La question est d’importance. La fracture identitaire génère en effet une logique politique aux résultats assez inattendus, qu’il faut pleinement assimiler si l’on veut un jour s’en libérer.
Le PSD puis le RCD n’a pas réussi à venir à bout d’Ennahdha; Ennahdha, ensuite, n’est pas parvenu à mettre Nidaa Tounès hors d’état de nuire: comment expliquer ce double échec? On peut avancer trois séries de raisons convergentes.
- Dans la confrontation entre modernistes et islamistes, le mouvement d’opposition que le pouvoir en place désigne comme son ennemi principal bénéficie d’une espèce de prime, de rente de situation. Cette désignation lui confère une forme de légitimité officielle, qui en fait la seule alternative plausible dans la perspective d’un changement de régime. Et quidisqualifie toutes les autres forces politiques, en les reléguant dans un statut d’acteurs de seconde zone.
- Dans cette confrontation, les périodes de tension profitent simultanément aux deux organisations dominantes. Nous avons indiqué que chacune disposait d’une base de masse appréciable, acquise de manière inconditionnelle et formant une sorte de clientèle captive. Dans les moments de crise, lorsque l’hostilité entre les deux partis se durcit, les liens qui unissent chaque protagoniste avec le noyau dur de sa clientèle particulière se resserrent et se raffermissent. Par conséquent, les situations de conflit ne les desservent pas, mais les renforcent, en ce sens où elles leur permettent de consolider leur emprise idéologique sur une partie significative du corps social, tout en confirmant leur tête-à-tête exclusif dans la lutte pour le pouvoir.Les moyens répressifs (policiers ou légaux) employés par l’un ou l’autre camp pour rester seul en course ne sont jamais arrivés à briser pareille dialectique.
- Les moments de crise possèdent une autre caractéristique. Ils font du clivage identitaire une ligne de démarcation fondamentale, qui s’impose à tous et finit par saturer la totalité du débat public national. Il se produit, dans ces conditions, quelque chose comme un réalignement général des acteurs politiques secondaires derrière les deux partis centraux, selon un processus que l’on pourrait qualifier de redditions symétriques. Ces acteurs secondaires, qui essayaient jusque-là d’exister en se démarquant un tant soit peu, sont poussés à entrer à leur tour dans la bataille – en faisant souvent de la surenchère – et à rejoindre leur camp idéologique originel, se transformant ainsi en forces d’appoint, voire en supplétifs. C’est la montée aux extrêmes. Le pays entier se retrouve alors divisé en deux blocs ennemis, rendant pratiquement inaudible toute expression politique se situant hors de la bipolarisation…
Longtemps, sous Bourguiba et Ben Ali comme sous la Troïka, l’affrontement resta la règle dominante dans les rapports entre les pôles islamiste et moderniste. Le seul moment où le pays paruts’affranchir de la bipolarisation se produisit lors du soulèvement populaire qui renversa la dictature. Ce bref répit – quatre courtes semaines, du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2011 – ne fut rendu possible que parce que le soulèvement était très largement spontané, sans idéologie motrice ni encadrement partisan. Le peuple s’était directement engagé dans le combat, ignorant superbement la classe politique et ses querelles internes.
Mais dès que les partis sont revenus dans le jeu, au lendemain même du 14 janvier, ils ont ramené avec eux leurs sourdes rivalités qui, progressivement, ont fini par reprendre le dessus et par tout recouvrir. Dès lors, les motifs économiques et sociaux pour lesquels la population s’était soulevée et avait chassé Ben Ali de Carthage, ces motifs étaient condamnés à passer à l’arrière-plan, avant d’être entièrement évacués de la confrontation politique.
Quand Ennahdha est parvenu au pouvoir, suite aux élections du 23 octobre 2011, les tensions sont allées crescendo, installant un véritable mur de haine entre les deux camps. Intervenus dans ce contexte, le meurtre de Mohamed Brahmi, député d’opposition, le 25 juillet 2013, et l’assassinat de huit soldats dans une embuscade jihadiste,deux jours plus tard, ont littéralement mis le feu aux poudres.
Le clivage identitaire était devenu explosif et la Tunisie faillit alors plonger dans le tourbillon de violences où avaient été entraînés tous les autres pays du «Printemps arabe». Après plusieurs semaines vécues sur le fil du rasoir, un déclic se déclencha pourtant, qui arrêta comme par miracle la marche collective vers le désastre. Les cercles dirigeants de Nidaa Tounès et d’Ennahdha avaient finalement saisi qu’ils approchaient d’une zone limite au-delà de laquelle ils ne pouvaient s’aventurer sans grands risques pour eux et pour leurs troupes.
Cette prise de conscience obtenue in extremis allait constituer un tournant dans les relations entre les deux partis, puisqu’elle obligea leurs leaders à rechercher un arrangement pacifique durable, apte à garantir leurs survies réciproques.
Les négociations pour parvenir à un arrangement entre les deux formations durent plus d’un an et connaissent plusieurs péripéties et plusieurs dérapages. Mais elles finissent par aboutir. Depuis février 2015, Nidaa Tounès et Ennahdha sont ensemble au parlement et ensemble au gouvernement. Dans la coalition qu’ils dirigent dorénavant, Nidaa Tounès et Béji Caïed Essebsi occupent un rôle dominant, Ennahdha et Rached Ghannouchi un rôle subordonné, non seulement en raison des résultats des élections générales du dernier trimestre 2014, mais du fait aussi – et surtout – d’un environnement arabe et international de plus en plus défavorable aux Frères musulmans.Leur alliance a mis en sourdine la guerre idéologique à laquelle ils se livraient naguère en permanence. Pour la tranquillité d’esprit des citoyens, c’est évidemment une bonne chose ; pour le reste, c’est une autre affaire.
Le compromis trouvé entre les deux formations et les deux dirigeants répondait, en effet, à des objectifs strictement limités:
1) d’abord préserver leurs intérêts respectifs (en enterrant les dossiers de corruption où étaient impliqués plusieurs de leurs membres et, pour les islamistes, en bloquant l’instruction sur leur responsabilité dans l’envoi de Tunisiens en Libye et au Proche-Orient grossir les rangs des combattants jihadistes);
2) ensuite empêcher l’émergence d’éventuels concurrents politiques venant perturber leur condominium.
Leur compromis ne pouvait pas porter sur l’élaboration d’un plan d’action gouvernemental commun, à la mesure des grands problèmes qui se posaient. Liés aux différentes fractures (dans l’économie, dans la société, dans la culture) évoquées plus haut, pareils problèmes – et leurs solutions – étaient pour ainsi dire inaccessibles à leur intelligence. Parce que Nidaa Tounès et Ennahdha étaient eux-mêmes la conséquence directe de ces fractures : ils existaient à travers elles et ne pouvaient continuer d’exister sans qu’elles soient maintenues.
Depuis qu’ils sont ensemble aux commandes, la situation globale du pays ne s’est donc pas améliorée; elle n’a cessé au contraire de se détériorer, sur tous les plans, dans une espèce de régression auto-entretenue. Dette extérieure, déficit commercial, niveau de chômage, taux d’inflation, valeur du dinar, volumes de production ou d’investissement: les principaux indicateurs sont désormais dans le rouge. A quoi il faut ajouter le délabrement ininterrompu des services publics et la prolifération de la contrebande et des activités mafieuses dans les secteurs sensibles: police, justice, douanes, administration, médias… Le tableau s’assombrit chaque jour un peu plus, sans perspective sérieuse de changement.
La perte d’influence des deux cheikhs
Cette dégringolade continue ne pouvait pas ne pas abîmer l’image des deux partis auprès de l’opinion. Les instituts de sondage donnent des chiffres qui permettent de mesurer, mois après mois, la baisse de leur influence et l’érosion de leur assise électorale, une érosion graduelle, mais constante.Bien entendu, le reflux des intentions de vote en leur faveur est d’abord le résultat de leur incapacité à répondre aux besoins concrets de la population. Mais il est aussi provoqué par des raisons internes plus profondes, peut-être plus déterminantes.
J’ai déjà montré comment les rapports conflictuels d’autrefois les renforçaient tous les deux, notamment lors des moments de crise, en soudant leurs bases de masse respectives, que j’ai assimilées à des clientèles captives. Maintenant qu’ils ont enterré la hache de guerre, qu’ils ne sont plus dansl’affrontement mais dans la collaboration, l’ancienne mécanique d’identification ne peut plus opérer. L’absence de confrontation sape le ciment idéologique qui assurait leur cohésion et leur unité. Cette absence développe au contrairedes effets de délitement et d’effritement, qui finissent par vider lesentiment d’appartenance animant leurs partisans de ses pulsions subjectives les plus puissantes et les plus intimes.
En jouant avec les mots, on peut dire que le passage de la guerre identitaire à la paix identitaire a entraîné Ennahdha et Nidaa Tounès dans une authentique crise d’identité. Auparavant, la guerre élargissait leur audience, en exaltant leurs identités concurrentes; désormais, la paix réduit et rapetisse cette audience, en privant les identités ennemies de leur raison d’être. Cela d’autant plus qu’aucune des deux formations ne paraît jusqu’ici en mesure de forger une identité de rechange plus convaincante et mobilisatrice.
La désaffection qui en découle touche les deux partis simultanément, de façon plus ouverte pour l’un, plus camouflée pour l’autre. Elle frappe les deux partis en tant que tels, mais plus particulièrement leurs dirigeants et plus spécialement les deux premiers d’entre eux, Béji Caïed Essebsi et Rached Ghannouchi, considérés – à juste titre – comme les principaux responsables du désordre actuel. Depuis bientôt trois ans, les deux hommes sont de moins en moins soutenus et de plus en plus contestés, non seulement à l’intérieur de leurs mouvements, mais à l’échelle de la population dans sa totalité.
Paradoxalement, le recul de Nidaa Tounès et d’Ennahdha n’a pas profité aux autres partis – les acteurs secondaires –, ni à ceux participant à la coalition gouvernementale, ni à ceux dans l’opposition.Les sondages d’opinion les donnent tous en retrait par rapport à leurs résultats antérieurs, peu reluisants par ailleurs. Inscrits à l’intérieur de la bipolarisation, incapables d’un positionnement indépendant, sans projet crédible pour le pays, ils paient une facture encore plus lourde que celle des deux formations centrales. Mais c’est sans doute le sort habituel des supplétifs que d’être mal récompensés de leurs services.
La crise d’attractivité et de représentativité concerne ainsi l’ensemble des formations partisanes constituées. Elle indique l’ampleur grandissante du décalage qui sépare la classe politique de la société réelle.
Les élections législatives d’octobre 2014 avaient déjà permis de constater combien l’écart était considérable. Seuls 3,4 millions de Tunisiens étaient allés voter, sur un corps électoral total d’environ 8,5 millions de personnes (les Tunisiens âgés de 18 ans et plus), soit un taux d’abstention d’environ 60%. Aujourd’hui, trois ans plus tard, les sondeurs nous annoncent un taux d’abstention pouvant approcher les 70%.
De fait, c’est tout l’ancien système politique – un système structuré depuis des décennies autour de la bipolarisation identitaire –, c’est tout ce système qui continue, sous nos yeux, de s’affaisser et de s’écrouler.
Un premier ministre devenu soudain gênant
Après ce (long) détour, indispensable pour planter le décor et distribuer les rôles, on peut revenir au problème posé au départ : pourquoi ce discours du 13 août et quels sont les véritables objectifs recherchés à travers lui?
On a établi que le jeu politique se jouait avec deux personnalités principales, Béji Caïed Essebsi et Rached Ghannouchi, deux hommes d’un âge vénérable7 , sans compétences réelles pour diriger la Tunisie d’aujourd’hui, mais pleins de ruse et d’expérience, et dont la complicité n’a jamais été aussi visible que ces derniers temps, comme si les difficultés que chacun rencontrait dans son propre parti les poussaient à se rapprocher l’un de l’autre, pour faire face ensemble à l’adversité.
Ils inaugurent leur aventure commune avec un premier « gouvernement d’union », installé en février 2015 et dirigé par Habib Essid, un haut fonctionnaire doté d’une grande capacité de travail et d’une grande intégrité, mais davantage habitué à obéir qu’à commander. Ils le chargentd’expédier les affaires courantes, dans un moment de crise aiguë, alors que la situation exigeait un exécutif fort, doté d’un vrai programme de redressement national.
Essid fait de son mieux, évidemment sans résultats probants. Il se plie, bien entendu, aux consignes en provenance de Carthage ou de Montplaisir. Pendant plus d’un an, il se dépensesans compter, suscitant parfois chez les gens comme un élan de compassion à son égard. Au printemps 2016, néanmoins, sa complaisance commenceà s’épuiser. Il ne veut pas assumer la multiplication de certains abus– notamment les pressions exercées sur des ministres pour obtenir des passe-droits ou couvrir des trafics – et s’en va le faire savoir à qui de droit.
Les représailles ne tardent pas. En juin, Essebsi met en cause publiquement sa gestion et le pousse vers la sortie. Embarrassé, Ghannouchi le défend d’abord timidement, puis le lâche à son tour. Fin juillet, le parlement vote le retrait de confiance à la quasi-unanimité. Habib Essid est contraint de partir. Il le fait assez dignement.
Homme jeune, issu de l’entourage du chef de l’Etat, formé dans le giron des services américains de l’agriculture, son remplaçant Youssef Chahed ne semblait pas posséder l’envergure nécessaire pour occuper le poste. Mais on devait estimer qu’il serait plus docile et malléable, puisqu’il avait aidé le père à introniser son fils à la tête de Nidaa Tounès, lors du congrès préfabriqué tenu à Sousse huit mois plus tôt. Le nouveau scénario était écrit pour se dérouler sans anicroche cette fois.
Youssef Chahed prend ses fonctions fin août. Comme son prédécesseur, lui aussi essaie de faire ce qu’il peut, tout en étant complètement dépassé. Lui aussi commence par avaler des couleuvres. Et lui aussi finit par se rebiffer, parce que les interférences partisanes et claniques l’empêchent de mettre un minimum d’ordre dans les affaires du pays.
La réaction est immédiate. On laisse fuiter des appréciations désobligeantes à son sujet. En coulisses, on se met à lui chercher un successeur. Au printemps 2017, les événements se précipitent. Youssef Chahed se sait maintenant sur un siège éjectable. A la même période, dans les régions du Sud, les choses dégénèrent et deviennent vite incontrôlables. Le gouvernorat de Tataouine, frontalier de la Lybie et de l’Algérie, est en ébullition. Des manifestants occupent en permanence la station de pompage d’El-Kamour, bloquant les vannes et empêchant l’écoulement de l’essentiel du pétrole tunisien du Sahara.
Le Premier ministre, dont le sort ne tient plus qu’à un fil, joue alors son va-tout. Le 23 mai, dans une déclaration solennelle, il annonce que le gouvernement a décidé d’assurer ses responsabilités jusqu’au bout et d’engager un combat sans merci contre la corruption.
Dans la foulée, il fait arrêter un certain nombre d’hommes d’affaires véreux, dont Chafik Jarraya, un personnage interlope, certainement pas le plus important parmi la nébuleuse mafieuse qui saccage le pays, mais celui qui l’incarne le mieux et est le plus connu en raison de son omniprésence dans les médias et de son arrogance. Il était également connu pour financer en même temps Nidaa Tounès et Ennahdha et pour les liens étroits qu’il entretenait avec les entourages immédiats de Rached Ghannouchi et Béji Caïed Essebsi. Des liens dont il se vantait d’ailleurs volontiers, en disant combien ils lui coûtaient en pièces sonnantes et trébuchantes.
Les décisions de Youssef Chahed, que personne n’espérait plus, provoquent d’abord la stupeur,puis rencontrent un profond écho au sein de la population, dans les classes moyennes comme dans les milieux populaires. Les soutiens arrivent de toutes parts : démonstrations devant la Kasbah, prises de position d’intellectuels et d’artistes, mobilisation d’organisations influentes de la société civile, groupes d’appui sur les réseaux sociaux… Ils le propulsent en très peu de temps au centre du jeu politique et modifient en sa faveur les rapports de force existants.
Manipuler pour exister
Cette évolution alarme les deux partis majoritaires, qui savent combien les révélations que fait Chafik Jarraya durant son instruction peuvent leur nuire. Mais elle inquiète plus sérieusement encore leurs deux chefs, qui voient soudainement se dresser un postulant plus jeune, devenu du jour au lendemain plus populaire qu’eux, qui peut manifestement mettre en cause leur leadership, notamment dans l’optique de l’élection présidentielle à venir . Bref, ils se retrouvent dorénavant en présence d’un rival qui peut s’avérer redoutable et risque de leur faire subir ce que Macron en France venait d’infliger au couple Hollande-Fillon . Il fallait sans tarder trouver le moyen de le renvoyer au néant d’où ils avaient eu la mauvaiseidée de le sortir!
La prudence imposait néanmoins de ne pas se dévoiler tout de suite, sous peine d’apparaître comme voulant protéger les malfrats que Youssef Chahed venait d’envoyer en prison. Pour brouiller les pistes, ils apportent eux aussi leur soutien au Premier ministre10 , dans l’attente que la dynamique qui le soulève se tasse d’elle-même et leur offre des circonstances plus propices.
Plusieurs semaines passent de la sorte, au cours desquelles les deux vieux chefs ont de nombreuses discussions en tête-à-tête.Début juillet, c’est Rached Ghannouchi qui se charge de lancer les premières banderilles. Dans une intervention à la télévision (Nessma TV), il exige de Chahed qu’il fasse une déclaration officielle par laquelle il s’engagerait à ne pas se présenter à l’élection présidentielle de 2019. Il justifie la demande en disant que les Tunisiens avaient besoin d’être sûrs que le Premier ministre se consacrait entièrement à ses activités gouvernementaleset qu’il ne se laissait pas distraire par d’autres préoccupations.Mal préparée, mal conduite, cette première bordée fait long feu et se retourne même contre son auteur, dont l’intérêt personnel en la matière n’était plus un secret depuis qu’il s’était mis une cravate autour du cou.
Il convenait par conséquent de frapper plus durement. De ce point de vue, Essebsi et Ghannouchi n’avaient qu’une seule arme véritable à leur disposition. Une arme qu’ils connaissaient bien, dont ils maîtrisaient l’emploi et qui leur avait si souvent permis de l’emporter quand ils voulaient se défendre d’un ennemi ou réaffirmer une domination exclusive sur leurs troupes. Cette arme imparable n’était pas mystérieuse : elle consistait à réveiller l’antagonisme identitaire.
En intervenant sur ce terrain, le chef de l’Etat savait pouvoir arriver à remobiliser le camp moderniste autour de sa personne, rétablissant ainsi sa prééminence, neutralisant Chahed et reprenant à son tour l’initiative dans la lutte pour le pouvoir. En exploitant le même ressort, le président d’Ennahdha savait lui aussi pouvoir parvenir à restaurer une autorité malmenée parmi ses propres partisans.
Le discours de Caïed Essebsi du 13 août sur les droits des femmes – revendication moderniste s’il en est – s’inscrit entièrement dans ce calcul. Exactement comme les annonces de Ghannouchi faites quelques jours plus tard, réclamant le rétablissement de l’aumône religieuse obligatoire (zakat) et de l’institution musulmane des biens de mainmorte (habous). Tous les deux, avec des rhétoriques opposées, mais de manière concertée, agissaient en réalité dans un seul et même but : relever un leadership en perte de vitesse, menacé par un outsider qu’ils n’attendaient pas et qui venait contester leur commune suprématie.
Je ne doute pas que mes propos choqueront les plus obstinés parmi les adeptes des deux camps. Mais ils sont étayés par les faits et les faits, eux aussi, sont têtus. Je confirme donc que la réactivation des clivages idéologiques par les deux hommes était préméditée et concertée. J’ajouterai qu’ils la voulaient également contrôlée et maîtrisée.
L’opération était préméditée et concertée : dans les milieux informés de Tunis, on était au courant depuis la mi-juin qu’ils préparaient une riposte et, depuis cette date, selon les dépêches de la TAP, les réunions tenues entre eux à Carthage s’étaient poursuivies à une cadence relativement inhabituelle.
Ils désiraient la garder maîtrisée et sous contrôle : ils ont parlé à quelques jours de distance, mais en abordant des questions de nature différente, les droits des femmes chez Caïed Essebsi, la zakat et les habous chez Ghannouchi. S’ils avaient souhaité faire monter la tension à son maximum, ils auraient traitédu même sujet et se seraient affrontés autour de lui. En s’installant dans des créneaux différents, ils s’évitaient un affrontement direct dont les effets auraient été autrement dévastateurs, mettant en cause le maintien de leur alliance au parlement et au gouvernement. Au contraire, avec leurs attaques parallèles, les risques de montée aux extrêmes étaient limités, chacun se satisfaisant de rameuter ses partisans à partir de leurs revendications propres11 .
Les objectifs communs étaient évidents:
1) stopper la campagne de lutte contre la corruption déclenchée par le Premier ministre, qui pouvait fortement déstabiliser leurs partis et, s’agissant du chef de l’Etat, qui risquait de l’éclabousser lui-même à travers son clan familial;
2) reprendre l’initiative dans la conduite du jeu politique et rejeter Youssef Chahed vers son statut initial d’acteur de second ordre.
Quand on fait l’effort de replacer les événements dans leur environnementpolitique objectif, on réalise parfaitement que les sorties du chef de l’Etat et du président d’Ennahdha n’ambitionnaient nullement d’accorder des libertés supplémentaires aux femme ni de rétablir des institutions charaïques tombées en désuétude en Tunisie depuis 60 ans. Ces sorties tendaient avant tout à redonner vigueur à leur hégémonie exclusive, chacun sur les siens.
Et on ne peut nier que la manœuvre soit en voie de réussir. Depuis trois semaines que les polémiques identitaires sont revenues au cœur du débat, on ne parle plus de lutte contre la corruption et on parle de moins en moins de Youssef Chahed. Que peut-il advenir désormais ? Le Premier ministre aurait toujours la possibilité de reprendre le dessus en constituant un gouvernement homogène – il doit procéder à un important remaniement très bientôt –, et en poussant encore plus loin le combat contre la corruption. S’il le faisait, il regagnerait le terrain perdu et mettrait de nouveau les deux « cheikhs » sur la défensive.
En théorie, pareil scénario serait possible. En pratique, il paraît peu probable. Cela exigerait de Chahed beaucoup plus de volonté et de détermination qu’il n’en a manifesté jusque-là. Que risque-t-il alors de se produire?
Le plus vraisemblable est qu’il finisse par accepter la nouvelle équipe ministérielle que Nidaa Tounès et Ennahdha veulent lui imposer, et qu’il cherche à préserver son poste en faisant profil bas. Agissant de la sorte, il perdrait son unique atout, le soutien populaire. Ce qui autoriserait par la suite son limogeage, parce qu’on ne lui pardonnera jamais ce qu’il a voulu tenter.
Les lignes vont bouger
La perspective que je viens de tracer n’a de validité, cependant, que si l’on considère la situation d’un point de vue strictement tuniso-tunisien. Mais des facteurs extérieurs peuvent venir perturber l’entente cordiale entre les deux grands prêtres de notre politique nationale.
La Tunisie n’est pas une île. Elle est insérée dans une région du monde – l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient – qui a connu de profondes mutations ces dernières années, des mutations qui se sont accélérées depuis le milieu de 2017 avec l’écrasement programmé de Daech et des autres groupes armés jihadistes en Irak, en Syrie, au Liban et bientôt en Libye.
Cette évolution modifie radicalement la donne, puisqu’elle pousse les commanditaires directs du terrorisme islamiste – les pétromonarchies du Golfe et la Turquie12 – à se démarquer de lui pour se dédouaner et camoufler leur défaite. Le revirement englobe les organisations de la mouvance Frères musulmans et, par conséquent, Ennahdha, qui est en train de perdre la plupart de ses soutiens politiques et financiers étrangers et se retrouve ainsi devant des difficultés beaucoup plus sérieuses qu’en 2014.
Béji Caïed Essebsi essayera certainement de mettre à profit cette nouvelle conjoncture, pour imposer des conditions de cohabitation plus dures à Rached Ghannouchi et à son parti. Les prochaines semaines et les prochains mois nous renseigneront davantage à cet égard.
Aziz Krichen
3 septembre 2017
1- Entre autres mesures, le Code du statut personnel de 1956 relève l’âge minimum au mariage, interdit la polygamie et supprime les procédures de répudiation, le divorce ne pouvant plus être prononcé que par un tribunal. Au total, le CSP introduit certaines règles du droit positif dans un domaine – l’organisation de la famille – jusque-là entièrement régi par le droit coutumier musulman. A l’époque, il s’agissait d’un progrès considérable.
2- S’inspirant directement du Coran (IV, 11-12), les dispositions successorales dans le droit musulman accordent aux ayant-droits de sexe masculin une part double de celle revenant aux ayant-droits de sexe féminin.
3- La charge la plus virulente est venue de l’institution d’El-Azhar, qui a souvent tendance à se comporter en Vatican de l’islam sunnite, ce qu’elle n’est pas, le sunnisme récusant le principe même de clergé et de papauté.
4- Les mêmes causes produisant les mêmes effets, une évolution similaire a été observée au niveau du parti Ennahdha, dont les dirigeants disaient pis que pendre de Nidaa Tounès avant les élections et s’allièrent à lui immédiatement après. Sauf que les divisions sont restées plus feutrées chez les islamistes, alors qu’elles se sont étalées au grand jour chez leurs vis-à-vis.
5- Dans une démocratie établie de longue date, de tels dépassements auraient été immédiatement dénoncés en tant que tels. Ici, la polarisation pour ou contre la charia fait encore oublier le respect dû à la Constitution.
6- Le projet de loi visait à suspendre de ses droits politiques le personnel dirigeant ayant servi sous Ben Ali, ce qui aurait privé Nidaa Tounès d’une grande partie de ses cadres et de ses réseaux.
7- Ghannouchi a 76 ans et Caïed Essebsi 91.
8- Parce que Caïed Essebsi et Ghannouchi avaient eux-mêmes les yeux rivés sur cette échéance. A laquelle ils avaient décidé de se présenter ensemble, estimant qu’en procédant ainsi, ils ne laisseraient aucun espace aux autres candidats et qu’ils se qualifieraient sans peine pour le second tour. Ce qui leur permettrait ensuite, forts de leur légitimité renouvelée, de reprendre leur cohabitation au pouvoir. Les frais vestimentaires engagés par le président d’Ennahdha les derniers mois (complets sombres, taillés sur mesure ; cravates en soie ; etc.) s’inscrivent d’ailleurs dans cette optique et visent à lui donner un look de présidentiable.
9- Youssef Chahed et ses plus proches conseillers ont sans doute été interpellés par le phénomène Macron, un homme surgi de nulle part, parvenu en quelques mois à renverser un système partisan en place depuis des lustres, pour le remplacer par un autre entièrement à sa dévotion. Si c’est le cas, on peut néanmoins se demander s’ils ont ou non réfléchi au fait que Macron était soutenu par de larges secteurs de la finance française et européenne…
10- Le chef de l’Etat est même allé jusqu’à dire que Youssef Chahed agissait selon ses instructions directes. La ficelle était trop grosse, mais beaucoup l’avalèrent, ignorant peut-être qu’il avait envoyé deux jours auparavant au bureau de l’ARP une énième version de son projet de loi sur la réconciliation économique – un projet aux objectifs diamétralement opposés, puisqu’il tendait à arrêter les poursuites judiciaires pour cause de corruption.
11- Pour autant, cela n’élimine pas les risques de dérapages. A trop jouer avec le feu, on finit souvent par se brûler.
12- Il y a les commanditaires « directs » du terrorisme et ses commanditaires « indirects » : Les Etats-Unis, Israël et plusieurs pays européens, dont notamment la France et la Grande-Bretagne.