Slim Khalbous: Relancer la réforme, renforcer la gouvernance et booster l’employabilité
Au terme de la première année du gouvernement Youssef Chahed, Leaders a adressé à tous les membres du gouvernement trois questions. 14 seulement ont répondu. Slim Khalbous, ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche scientifique en fait partie. Voici ses réponses:
Quelles sont les épreuves les plus difficiles que vous avez dû affronter?
Elles sont nombreuses ! Toutefois, le challenge le plus éprouvant, à titre personnel, était sans doute la prise en main par intérim d’un deuxième ministère, celui de l’Éducation, à un mois seulement du démarrage des examens nationaux et dans un contexte particulier, pour le moins qu’on puisse dire. Défi que je ne regrette absolument pas malgré les difficultés de la tâche, parce que je considère en toute humilité que les missions à accomplir ont été menées à bon terme : les examens se sont globalement bien déroulés ; le dialogue avec les partenaires sociaux a été rétabli dans un climat de respect mutuel ; le calendrier de la nouvelle année scolaire a été arrêté de manière consensuelle, avec les rectifications attendues par tous les concernés ; les commissions de la réforme ont repris leurs travaux.
La confiance qui m’a été accordée est un honneur et une motivation exceptionnelle ; servir un secteur aussi crucial pour le pays est une immense responsabilité qui me donne l’énergie nécessaire.
Je dois, par ailleurs, préciser que les difficultés majeures ne sont pas tant liées aux aspects techniques des responsabilités qu’aux pressions de toutes sortes. Faut-il avoir la force d’en rire lorsque vous découvrez dans les médias que vous auriez annulé le Bac Lettres ! Que vous auriez décidé que l’école commencera désormais à 6h du matin ! Ou encore que la rentrée serait retardée d’un mois... De pures allégations dont on ne connaît même pas l’origine. Aussi, alors que vous êtes en pleine activité sur le terrain, le buzz diffuse que vous êtes aux États-Unis aux frais du contribuable ! Une mission que j’avais pourtant décidé de décliner en dépit d’une invitation nominative reçue des Nations unies avec une prise en charge complète. Pire encore lorsque vous découvrez que vous auriez embauché votre frère dans votre ministère ! Un frère qui, hélas, n’a jamais existé !
Ce ne sont là que quelques exemples qui se multiplient au quotidien. Avec en prime, sur les médias sociaux, certains partagent, commentent, analysent et, parfois même, insultent sans jamais prendre la peine de vérifier la véracité des pseudo-informations !
Quelles sont les trois principales mesures qui vous tiennent à coeur?
1- Relancer le processus de réforme de l’université: la préparation des assises…
Relancer le processus de réforme universitaire, presque à l’arrêt depuis plus de deux ans, était sans doute la mesure la plus importante stratégiquement pour le MESRS, entamée au lendemain de la nomination du gouvernement d’union nationale. Pour mettre en œuvre avec efficience cette mesure, il a fallu d’abord rétablir un véritable dialogue, sans tabous, avec toutes les parties prenantes (syndicats, universités…) ; ensuite, impliquer d’autres acteurs essentiels qui étaient quasiment exclus de la phase diagnostique de la réforme (étudiants, employeurs, députés, organismes professionnels, société civile...) ; enfin, mettre en place une nouvelle méthodologie de travail orientée « solutions opérationnelles » : commissions thématiques nationales, calendrier serré, fiches projets, experts internationaux, output sous forme de textes juridiques hiérarchisés...
Aujourd’hui, les 10 commissions nationales ont considérablement avancé dans leurs travaux avec des taux allant de 75 à 90%, et les assisses nationales de mise en œuvre de la réforme de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique auront lieu en novembre 2017. Tout est mis en œuvre pour que l’année 2018 soit l’année des grandes réformes de l’Université tunisienne.
2- Renforcer la gouvernance démocratique universitaire : de nouvelles dispositions de fond
Renforcer la gouvernance démocratique universitaire est sans doute le deuxième grand objectif que nous nous sommes donné. La mesure phare est le renforcement du processus entamé en 2011 par l’élargissement de l’élection à la plupart des établissements universitaires, par un nouveau texte juridique (publié en juillet 2017) relatif à l’organisation des élections dans les structures universitaires. Cette mesure historique, qui a nécessité beaucoup de temps, des débats riches, parfois houleux, parfois sereins, instaure plusieurs innovations dans le mode d’élection des dirigeants universitaires sur la base de nouveaux principes.
Des principes installant essentiellement une meilleure représentativité des votants, plus de transparence dans le processus, plus d’établissements concernés par les élections, une plus forte redevabilité qui assure l’équilibre des institutions et, surtout, une campagne basée sur les programmes qui doivent être obligatoirement déposés et défendus dans le cadre des AG électives.
Outre la réforme des élections, œuvrer pour la bonne gouvernance, c’est aussi prendre d’autres mesures comme le renforcement de la lutte contre la corruption, notamment en partenariat avec l’instance nationale ; la préparation d’un programme varié de formation au profit des dirigeants universitaires nouvellement élus.
Les élections universitaires avec la nouvelle formule auront lieu juste après la rentrée universitaire.
3- Booster l’employabilité des diplômés universitaires : les «Centres 4C»…
Afin de résoudre la difficile équation du chômage des diplômés de l’enseignement supérieur, le MESRS a lancé une stratégie nationale pour soutenir l’employabilité des étudiants et des diplômés de l’Université tunisienne. Un plan d’action 2017-2018 détaillé a été présenté avec un budget spécifiquement alloué de 105 millions de dinars. L’action phare de cette stratégie étant le nouveau concept d’un grand projet national de développement des Centres de Carrières et de Certification des Compétences, baptisé les « Centres 4C ».
L’idée était de travailler sur le maillon manquant faisant le lien entre le milieu académique et le monde professionnel, à savoir la création de véritables centres professionnalisants qui assurent:
- des bilans de compétences avant la sortie de l’étudiant sur le marché de l’emploi ;
- des formations complémentaires par les softs-skills (communication, entrepreneuriat, culture générale, travail collaboratif…) ;
- des mises à niveau pédagogiques par des certifications en langues ou en TIC ;
- l’accompagnement des étudiants vers le marché de l’emploi, par le coaching et le suivi personnalisé (comment rédiger un CV, une lettre de motivation, ou préparer un entretien d’embauche, aide à la recherche d’information…).
Pour cela, outre l’adoption d’une stratégie nationale bien définie, il fallait instaurer un nouveau cadre juridique, garantir d’autres modes et sources de financement, associer plusieurs partenaires institutionnels, offrir des formations aux formateurs, et impliquer les entreprises futurs employeurs…
D’une vingtaine de centres embryonnaires au début de l’année universitaire, nous avons atteint 75 « centres 4C » officiels à la fin du mois de juin ! dans la perspective de porter le nombre à une centaine d’ici la fin 2017. Nous ambitionnons, par ailleurs, de les généraliser à quasiment tous les établissements universitaires fin 2018 pour atteindre entre 160 et 200 centres répartis sur toute la République. A terme, ces centres vont acquérir un statut de catalyseurs de l’emploi qualifié ainsi que de véritables observatoires des métiers et des compétences dans notre pays.
Qu’est-ce que vous regrettez de n’avoir pas accompli à ce jour et comptez-vous le rattraper bientôt?
On peut regretter le temps perdu… mais ce n’est pas encore le cas, la perfection est un chemin et pas une fin. On a toujours envie de mieux faire et de faire plus, toutefois il faut plutôt être au diapason des réalités de notre pays et savoir prendre en considération les contraintes de notre époque. Depuis la révolution, nous évoluons dans un environnement de liberté, toutefois notre plus grande ambition est d’améliorer et de redynamiser encore davantage la vie estudiantine par des activités culturelles et associatives plus denses et un meilleur cadre de vie dans les cités pour tous les acteurs de l’université.
D’une part, les employeurs reprochent rarement aux diplômés des lacunes techniques, mais plutôt des compétences et des qualités personnelles. Telles que le manque d’autonomie ou d’initiative, l’absence de culture générale ou de créativité, l’ouverture d’esprit limitée, la faiblesse du travail d’équipe, les aptitudes insuffisantes à la communication, ou encore la maîtrise des langues…Voilà de bien belles perspectives à développer…
D’autre part, les contraintes financières actuelles ne nous permettent pas d’améliorer suffisamment les conditions de travail des enseignants, l’infrastructure des établissements universitaires et l’impact de la recherche scientifique sur l’environnement… Et c’est pour cette raison que nous travaillons activement sur l’apport de nouveaux fonds propres qui nous aideront à atteindre ces objectifs.
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