Débat au siège de la BAD : comment engendrer des agro-millionnaires
De l'envoyé spécial de Leaders à Abidjan, Abdelhafidh Harguem - Fort intéressant débat organisé, lundi après midi 4 septembre courant, au siège de la Banque africaine à Abidjan, en marge du 7ème Forum pour la révolution verte qu'abrite la capitale ivoirienne et qu'ouvrira officiellement mercredi le Président Alassane Ouattara.
Y ont participé notamment , outre des hauts fonctionnaires de la banque, de jeunes agripreneurs africains, venus exposer leurs expériences et leurs visions de l'avenir de l'agriculture en Afrique et des chefs de réseaux appartenant à la société civile liés à l'agrobusiness.
Cette rencontre constituait le prolongement du premier Forum de la jeunesse africaine sur l'agrobusiness tenu du 23 au 26 avril 2017 à Ibadan au Nigeria et auquel avaient pris part plus de 250 participants provenant de 30 pays d'Afrique, d'Europe, d'Amérique latine et d'Amérique du Nord.
Introduisant le débat, le modérateur Dr, Daniel Karanja, ainsi que Dr Chiji Okjuwu, directeur du département de l'agriculture et de l'agro-industrie au sein de la BAD décrivent le paysage agricole africain et posent les problématiques: 60% de la population africaine est âgée de moins de 35 ans. 240 millions de jeunes africains ont entre 15 et 35 ans. La majorité de ces jeunes ne bénéficie pas d'opportunités économiques stables.Les jeunes sont deux ou trois fois plus exposés au risque d'être au chômage que les adultes. La moyenne d'âge des agriculteurs africains est de 60 ans. La demande de l'Afrique en produits alimentaires devrait doubler d'ici 2020, demande qui s'ajoute au grave déficit alimentaire existant. 300 millions de jeunes africains arriveront sur le marché de l'emploi au cours des 15 prochaines années. Pour pouvoir absorber les nouveaux arrivants, Les services de la main d'œuvre rurale devront être sollicités. L'accès aux financements dans le secteur agricole est limité, en particulier pour les jeunes. Ceci étant, comment intéresser les jeunes africains à l'agriculture et les impliquer dans l'action de transformation de ce secteur en activité commerciale lucrative et rentable? Comment déployer ces énormes ressources humaines pour le développement de l'Afrique et éviter leur marginalisation qui risque d'en faire des bombes à retardement?
Par le biais de son "Enable Youth Program", la BAD entend apporter sa contribution à la solution de ces problèmes. Le coordonnateur financier de ce programme Edson Mpyisi en explique les objectifs: rendre l'environnement plus propice à l'emploi décent des jeunes et mettre Les jeunes diplômés en contact avec des incubateurs afin qu'ils bénéficient d'une formation touchant à l'ensemble de la chaîne de valeur agricole et acquièrent des compétences en développement d'entreprises.Cette formation est axée sur les 18 chaînes de valeur identifiée dans l'une des 5 priorités de la BAD dans le cadre de sa stratégie pour la transformation de l'agriculture (2016-2025).
Autre objectif de "Enable Youth Program": faciliter l'accès aux financements par des mécanismes de partage des risques et par le renforcement des capacités des institutions financières en matière de conception de produits innovants pour les jeunes.
Sur le plan financier, la BAD projette de consacrer 15 milliards de dollars au financement des entreprises et à la création d'emplois pour les jeunes et les femmes , en investissant dans 31 pays africains. Résultats escomptés: 1,5 million d'emplois dans l'agro-industrie au cours des 5 prochaines années, 300 000 agro-industries et 10 000 diplômés sans emploi (50 % de femmes) formés et financièrement autonomes dans chacun des 31 pays.
6 projets ayant des composantes "Enable Youth Program" ont été approuvés par la BAD pour une valeur totale de 774 millions de dollars. 15 projets répondant aux normes de ce programme sont inclus dans la réserve de projets 2017-2019.
Des jeunes parmi les panelistes et l'assistance ont livré , avec autant de franchise que de spontanéité, les conclusions tirées de leur vécu dans les domaines liés à l'agriculture et l'agribusiness.
"Nous ne voulons pas être perçus comme une bombe à retardement. Nous voulons être la force motrice de l'Afrique", affirme une jeune rwandaise, qui met l'accent sur l'importance des technologies de l'information et des réseaux sociaux dans le partage d'idées innovantes dont peuvent s'inspirer les jeunes dans la conception de leurs projets." Grâce à YouTube, j'ai pu mettre en place les différentes composantes de mon entreprise", assure-t-elle.
"Dans nos films, les riches sont toujours des hommes d'affaires, des médecins.., jamais des agriculteurs. Ces derniers sont présentés généralement comme des gens misérables. Et on veut ainsi intéresser les jeunes à l'agriculture ! ", note un jeune nigérian.
"J'ai quitté mon précédent poste d'emploi pour monter une entreprise agricole. Ce que je regrette vivement.L'environnement rural est catastrophique, sans parler des difficultés rencontrées au niveau des financements.", indique un jeune ghanéen.
" Que peut-on faire quand on est 10 frères et sœurs et que chacun hérite de son père moins d'un hectare de terre agricole? Une si mince exploitation est-elle viable aujourd'hui"? s'interroge un jeune burkinabé qui attire l'attention sur le lourd handicap que constitue le morcellement de la propriété pour la promotion de l'activité agricole en Afrique.
Tout au long de ce débat on n'a cessé d'entendre dire que l'agriculture n'est pas une vocation mais un véritable business. Concept qui met en cause le système traditionnel d'exploitation en Afrique et induit de nouvelles chaînes de valeur agricole , du lieu de production à l'assiette du consommateur.
Verra -t-on dans les années à venir des agro-millionnaires en Afrique? En dépit de l'ampleur des défis, La BAD, tout comme nombre de jeunes leaders, donnent, à travers ce débat, l'impression d'y croire.