Kalthoum Bornaz…un an déjà
A l’occasion de la commémoration de la première année de la disparition de sa sœur, la cinéaste Kalthoum Bornaz, Alia Baccar publie un ouvrage, de belle facture, intitulé Kalthoum Bornaz, l’Etoile à la recherche du fil perdu. Le titre et la couverture du livre sont déjà un vibrant hommage à «Kalte l’étoile» dont la vie a été une constante recherche du fil perdu de sa destinée.
L’ouvrage est préfacé par l’ami d’enfance, l’ami de toujours Férid Boughedir dont le texte, empreint de douce nostalgie d’une époque révolue, remonte le parcours de la jeune Tunisoise, aux prises avec l’éveil des sens féministe et nationaliste. Son croustillant témoignage révèle le caractère trempé d’une jeune fille un peu en avance par rapport à son temps, qui «parle à égalité avec les garçons». Il en ressort que le fil conducteur de l’existence de Kalthoum consiste en la revendication pleinement assumée, d’une farouche indépendance. Indépendance par rapport aux idéologies, par définition réductrices, y compris celle du féminisme. Indépendance par rapport à l’état civil et affranchissement réitéré du carcan du mariage. Indépendance par rapport à la carrière cinématographique, empreinte de renouvellement des genres et de douloureuses remises en question. En somme, Kalte, comme aiment à la surnommer ses proches, a toujours été là où on ne l’attendait pas, se jouant allègrement des idées reçues liées au statut de la femme en société, à celui de l’intellectuel arabe englué dans son lourd passé, à celui du cinéaste comme porte-voix de l’avant-garde et à celui du témoin, vivant mais factice, de son temps. Elle exécrait par-dessus tout d’être enfermée dans un canevas qui risquait de border une liberté à laquelle elle tenait comme à la prunelle de ses yeux. Elle en a, d’ailleurs, payé le prix fort. Férid Boughedir a su, dans un style qui lui est propre, rendre compte de l’évolution d’une personne qui, tout au long de son existence, n’a eu de cesse d’interagir avec les soubresauts de l’Histoire. Du télescopage de la petite et de la grande histoire est née la destinée de Kalthoum Bornaz, «trop tôt disparue».
La sœur aînée et initiatrice de l’ouvrage, Alia Baccar, s’est fendue d’un avant-propos où elle livre les raisons intimes qui l’ont poussée à mettre en musique cette publication. Loin de se livrer au pathos, elle sonde son intériorité pour se rendre compte qu’écrire et rassembler les documents en rapport avec sa chère disparue n’étaient autre qu’un acte de refuge. Elle écrit pour elle-même, pour « l’avoir encore présente », pour conjurer le sort qui l’a séparée de celle avec qui elle a eu « soixante-dix ans de vie commune ». Elle écrit également en hommage à cette sœur dont l’attachement aux livres est viscéral. Elle écrit enfin pour les autres, et spécialement, pour la jeune génération, afin de leur transmettre le témoin de l’engagement de Kalthoum en faveur de l’Autre dans sa différence fondamentale, en faveur de la promotion de la culture tunisienne dans sa diversité, en faveur de l’inscription sans faille dans la modernité. C’est au «livre d’une vie» que s’attelle donc, avec bonheur, Alia Baccar, «avec tout ce qu’elle comporte d’épisodes heureux et d’autres malheureux».
Dans une première partie de l’ouvrage, Alia Baccar entreprend de passer en revue les étapes de la destinée, par moments douce et par d’autres mouvementée de Kalte l’Etoile : enfance insouciante au sein d’une famille moderniste, études secondaires et supérieures qui l’ont menée vers la carrière cinématographique émaillée, certes, de succès, mais aussi de détresse due aux lourdeurs administratives et aux injustices.
Dans une seconde partie, Alia Baccar présente l’œuvre cinématographique de Kalthoum et livre au lecteur ses écrits qui révèlent ses dons de critique d’art, son plaidoyer pour le cinéma tunisien, et les chroniques d’une citoyenne engagée au lendemain du 11 janvier 2011. Le tout est présenté dans un contexte qui fait la part belle à l’authenticité, souvent teintée d’amertume et d’humour.
Dans une troisième partie, intitulée «Kalthoum Bornaz au regard des intellectuels», un choix d’articles écrits sur ses films et des interviews dévoilent divers aspects de sa personnalité (son respect envers le patrimoine, sa conception de la démocratie, son point de vue sur la création féminine et sur le statut de la femme cinéaste, la direction des acteurs, ses projets…) Cette partie s’achève sur les hommages posthumes qui lui ont été rendus en Tunisie et à l’étranger.
Le parti pris d’Alia Baccar est celui de l’objectivité et du respect de l’intimité de la défunte. Les documents, présentés dans leur jus, y compris dans leur disparité de style, sont un éclairage édifiant du parcours, qui n’a pas toujours été rose, de cette militante culturelle assumée, dévoreuse de livres, amoureuse de botanique et de jardins secrets, aimée de tous.
L’ouvrage est émaillé également de nombreuses illustrations et photos tirées de la collection particulière de Kalthoum Bornaz et de celle de la famille Bornaz en général. Alia Baccar livre à la postérité une part non négligeable du parcours de sa sœur «Kalte l’Etoile», même s’il existe encore matière à plusieurs autres ouvrages que la sœur aînée ne manquera pas, à coup sûr, de mettre en pages et de coucher sur papier.
Lyès Annabi