Microfinance : état des lieux et perspectives
Par l'universitaire Nouri Derbel - Dans son acception initiale, la microfinance désigne la mise en place de financements spécifiques en faveur des populations marginalisées, démunies et non « bancables » en vue de leur permettre de créer des activités génératrices de revenus (AGR) et d’améliorer leurs conditions de vie (ACV).
La microfinance est donc conçue comme un précieux outil d’inclusion économique, de réduction de la pauvreté et des inégalités et parsuite de renforcement du tissu économique.
L’inclusion économique est mesurée par le niveau d’accès et d’utilisation des services financiers formels, c.a.d. offerts par des institutions financières agréées et supervisées.
En Tunisie, seul le tiers de la population dispose d’un compte en banque et les grandes couches de cette population n’ont pas accès à ces services financiers formels.
Toutefois, la microfinance reste un vecteur qui devrait s’insérer harmonieusement dans une approche globale et intégrée de tout un processus de développement comportant en outre la sensibilisation/information, la formation/apprentissage, le soutien et l’accompagnement en vue de la réussite des activités génératrices de revenus et des microprojets, ce qui confère à l’inclusion une finalité sociale, en plus de sa dimension économique.
Historique de la microfinance
A l’origine, les ancêtres de la microfinance étaient des établissements de microcrédits fondés au XVème siècle en Europe avec l’assentiment de l’Eglise Catholique pour combattre l’appauvrissement de la population suite aux pratiques extravagantes de l’usure et des prêts à gage. Il s’agissait d’octroyer aux emprunteurs nécessiteux des prêts avec un taux d’intérêt très faible, voire nul.
A partir de la seconde moitié du XIXème siècle, des systèmes de crédits mutuels/de coopératives d’épargne et de crédit ont vu le jour en Allemagne, en France et au Québec.
Ces réseaux mutualistes visaient principalement la paysannerie et réussissaient à mobiliser l’épargne populaire pour financer les prêts agricoles.
Toutefois, ces systèmes n’ont pu aller très loin en l’absence d’investissements de la part des grands capitaux, consacrant ainsi la primauté de l’épargne sur le crédit.
Au cours des années 1970, et devant la recrudescence de la pauvreté, de la misère populaire et de l’exploitation des masses par les usuriers, de nouveaux systèmes de microcrédits ont été crées pour lutter contre ces fléaux, initialement au Bangladesh et en Bolivie, puis dans divers pays en voie de développement (PVD) d’Asie, d’Amérique latine et d’Afrique Subsaharienne.
A ce propos, il est primordial d’évoquer l’œuvre grandiose de Muhammad YUNUS, Docteur en économie qui lança en 1976 au Bangladesh le premier programme du microcrédit tel que conçu de nos jours sous l’appellation de « Grameen », lequel programme donne naissance à la « Grameen Bank » en 1983.
La conception prônée par le professeur M. YUNUS donne la primauté au crédit sur l’épargne et s’appuie sur des techniques de garantie fondées sur le cautionnement solidaire. Il considère à ce titre que l’éradication de la pauvreté passe inéluctablement par l’investissement productif (au lieu de la thésaurisation) et la création de revenu à travers le crédit.
Le système développé par le professeur M. YUNUS a connu un immense et rapide succès au Bangladesh et s’est énormément propagé dans la région puis, dans beaucoup de PVD.
M. YUNUS a essayé d’intégrer la dimension sociale dans la théorie économique tout en mettant en cause « l’unidimensionnalité » du capitalisme par la recherche effrénée de la maximisation du profit.
Toute cette œuvre a valu à cet apôtre et précurseur de la microfinance, l’attribution du Prix Nobel de la paix en 2006.
La microfinance en Tunisie
En Tunisie, certaines associations de développement ont commencé à partir de 1980 à inclure dans leurs projets de développement une composante microcrédit et à faire usage de cette dénomination.
Cependant, les conditions d’octroi du microcrédit (Taux d’intérêt, durée…) étaient très hétérogènes, en l’absence d’une politique nationale en la matière, adossée à une réglementation appropriée qui faisait également défaut.
De ce fait, l’introduction légale et institutionnelle de la microfinance en Tunisie a été tardive (en comparaison avec beaucoup de PVD tant en Asie qu’en Afrique Subsaharienne) puisque la première loi sur le microcrédit n’est intervenue qu’en 1999 (loi organique n° 99-67 du 15 Juillet 1999).
Cette loi et les arrêtés s’y rapportant ont permis de créer et de définir le statut d’une Association de microcrédit (AMC) et de consacrer la BTS (Banque Tunisienne de Solidarité) comme organisme de financement exclusif ( à un taux nul si le taux de remboursement est de 80%) et le FNG (Fonds National de Garantie) comme mécanisme de couverture du risque.
Le taux d’intérêt applicable aux bénéficiaires est plafonné à 5% dégressif.
Le montant maximum du microcrédit fixé initialement à 1000 DT a été progressivement augmenté pour atteindre 5000 DT en 2009.
Les premières Associations ayant obtenu l’agrément au cours du dernier trimestre 1999 étaient au nombre de 6 (APPEL, UTSS, FTSS, ASAD, ATLAS et FTDC).
Depuis cette date, nous avons assisté à une hypertrophie dans le nombre d’AMC, atteignant un total de 289 associations en 2011.
Ce nombre pléthorique a fait en sorte que ces AMC restent de taille très réduite (850 clients en moyenne en 2010) en comparaison avec celles de la région et du monde (une moyenne respective en 2013 de 21.000 clients et de 13.500 clients).
Cette situation n’a pas permis l’émergence d’AMC de taille optimale favorisant un bon niveau de management, une économie d’échelle et parsuite une croissance du volume d’activité.
Outre ce handicap de taille, les AMC étaient confrontées à un problème de ressources du fait qu’elles étaient « inféodées » totalement à la BTS en termes de financement et de supervision.
Quantitativement, et au bout de quelques années, la BTS n’était plus en mesure de satisfaire qu’une proportion des besoins de financement exprimées par les AMC.
Devant un déficit grandissant de la satisfaction d’une demande de plus en plus importante issue de l’accentuation de la pauvreté, la BTS a opté pour des raisons de politique populiste, pour «un rationnement» et une répartition quasi-égalitaire du financement entre les AMC.
Sachant que l’égalitarisme favorise souvent la médiocrité, la démarche adoptée par la BTS a sanctionné les AMC les plus performantes (en termes de taux de remboursement notamment) et a fortement «tassé» celles qui étaient capables de croitre et de se développer de par leur gestion et leur potentiel.
Qualitativement, la relation de la BTS avec les AMC s’apparente davantage de la sous-traitance et de l’intermédiation que d’un véritable partenariat pour le financement du microcrédit.
En effet, les remboursements effectués par les bénéficiaires sont automatiquement versés à la BTS à la fin de chaque mois, à l’instar d’une agence de la BTS, alors que le schéma standard de financement par tous les bailleurs de fonds permet à l’AMC de procéder à un revolving suite aux remboursements effectués, car le montant du financement ne devient exigible qu’au terme de 5 à 7 ans avec une période de grâce. Ainsi, les AMC peuvent réinjecter les fonds mis à leur disposition durant toute cette période.
En outre, le financement du microcrédit par la BTS souffre d’autres facteurs entravants à l’instar du taux d’intérêt plafonné à 5% dégressif depuis son institution en 1999.
Cette rétribution dérisoire ne permet pas aux AMC de couvrir convenablement leurs charges de structures et encore moins d’être dotés de systèmes de gestion et de gouvernance fiables et parsuite de croitre et de se développer.
A ce titre, signalons qu’une seule AMC a obtenu en 2005 une autorisation spéciale de la part du Ministère des Finances (fait du prince) pour facturer à un taux d’intérêt qui couvre ses couts et parsuite pour déplafonner ce taux.
De ce fait, elle a pu échapper aux girons et diktat de la BTS en se finançant ailleurs, croitre considérablement et atteindre une dimension hégémonique dans le secteur, en l’absence de toute évolution positive dans la dimension de toutes les AMC composant ce secteur.
A cela s’ajoute un déblocage structurellement tardif et inadéquat des fonds alloués par la BTS puisque la dotation annuelle arrêtée discrétionnairement par la Banque pour chaque AMC (souvent sans aucun rapport avec le besoin exprimé par l’AMC) est divisée en quatre tranches égales dont la première n’est libérée qu’au mois d’Avril dans les meilleurs des cas, laissant les AMC dans une position d’expectative et de stand by durant le quadrimestre le plus productif de l’année (notamment pour l’agriculture) alors que ces AMC sont appelées à couvrir des charges de structure durant cette période sans qu’il y ait des revenus correspondants.
Ce schéma de financement des AMC par la BTS, caractérisée également dans la pratique par une relation de subordination, plutôt que de partenariat, a atteint son ultime essoufflement par l’arrêt total de tout financement à la fin de 2012.
La raison invoquée à cette rupture brutale du financement réside dans le fait que les AMC ne se sont pas mises en conformité à la date limite du 31/12/2012, c.a.d au terme de l’année qui leur a été fixée à cet effet par le décret-loi 117-2011 du 5/11/2011 dont nous détaillons plus loin la portée.
Le résultat de cet arrêt de financement des AMC par la BTS a été catastrophique pour toutes les parties prenantes, en dehors de la BTS : augmentation de la pauvreté des populations défavorisées, agonie ou disparition de beaucoup d’AMC, situation sociale alarmante de leur personnel, chute du taux de recouvrement d’un financement public…
Le « retour » du financement des AMC par la BTS au cours du dernier trimestre 2014 (sans que la raison de l’arrêt ne soit changée) a trouvé en face un tissu d’AMC squelettiques, vivotant sans aucune visibilité, sous-encadrées, dotées de moyens de gestion embryonnaires et livrées à leur sort dans un contexte socio-économique très difficile.
La reforme de la microfinance
La réforme de la microfinance par le biais du décret-loi 2011-117 du 5/11/2011 a été inopportunémentprécipitée, en l’absence de pouvoir législatif pouvant moduler certains aspects.
Rappelons tout d’abord les principales dispositions du décret-loi 2011-117, censé poser les assises d’un cadre favorable au développement du secteur de la microfinance:
- Séparation des activités de microfinance de celles du développement.
- Obligation de mise en conformité des AMF existantes en adoptant l’une des options suivantes : la fusion, l’union ou la filialisation.
- Autorisation de l’émergence de nouveaux acteurs de la microfinance sous forme de sociétés anonymes (S.A). De ce fait il est substitué au terme d’AMC le terme d’IMF (Institution de Microfinance) en précisant la forme associative ou S.A.
- Création de l’Autorité de Contrôle de la Microfinance (AMC) chargée notamment de la supervision du secteur et de donner au Ministère des Finances un avis sur les demandes d’agrément après étude et instruction du dossier.
- Création d’une Association Professionnelle dont l’adhésion est obligatoire pour toutes les IMF.
- Fixation d’un plafond de microcrédit de 5000 DT pour les associations, de 20.000 DT pour les S.A et confirmation du plafond sur le taux d’intérêt pour les microcrédits octroyés à partir des ressources budgétaires (5% dégressif).
- Fixation du capital minimum requis pour les S.A (3Millions de DT). Pour les associations, la dotation requise initialement et égale à 200.000 DT a été ramenée à 50.000 DT en 2014.
Lacunes de la reforme
Cette réforme (décret-loi 2011-117 et les arrêtés y relatifs) prêche par une multitude de défaillances en raison d’une promulgation disparate, nous pouvons citer notamment :
1- le manque d’une feuille de route pour la mise en œuvre de la réforme.
2- l’absence de toute indication sur la gestion de la période de transition.
3- aucune mesure n’a été prévue relativement aux mécanismes d’accompagnement des AMC pour réaliser leur mise en conformité et le renforcement de leurs capacités managériales (qualification du personnel, système d’information, outils de gestion, gouvernance…).
4- le plafonnement du microcrédit octroyé à 5000 DT pour les IMF associatives et à 20.000 DT pour les IMF sous forme S.A (rapport de 1 à 4) nous interpelle à plus d’un titre:
- S’agit-il de la même population cible « non bancable » pour laquelle nous œuvrons à son inclusion économique ? Dans l’affirmative, le rapport de 1 à 4 serait incohérent.
- Le montant de 20.000 DT correspond-t-il aux besoins de populations que nous voulons extirper du désœuvrement total ou a-t-il été fixé pour des considérations financières de rentabilité pour l’IMF.
- Avec un plafond de 20.000 DT, sommes-nous encore dans la microfinance ? Il s’agit à notre avis d’une transition vers le segment de la mésofinance ou encore de la microbanque.
- Un simple benchmarking avec des pays comme le Maroc, l’Inde ou le Bangladesh, dans les quels le secteur de la microfinance est bien ancré, montre que le montant moyen du microcrédit octroyé par les plus importantes IMF ne dépasse pas 3000 DT.
- Le changement de la nature des opérations par l’introduction des S.A est-il opportun eu égard aux conditions socio-économique du pays ?
5- le maintien du plafond de 5% dégressif sur le taux d’intérêt pour les microcrédits octroyés à partir des ressources budgétaires constitue une aberration dans la mesure où ce taux fixé en 1999 ne permet plus aux associations de couvrir leurs charges de structure et à fortiori de mettre en place un management fiable.
Cette réforme aurait constitué une opportunité pour mettre à jour ce taux d’intérêt et prévoir deux ou trois taux au lieu d’un seul, car le mono-produit microfinancier que génère ce taux actuellement n’est pas équitable à l’égard de tous les secteurs économiques (agriculture, artisanat, commerce, petits métiers…).
Evaluation de la réforme
Après plus de cinq années de la promulgation de la loi, les résultats sont très mitigés et varient notablement d’une composante à une autre.
Tout d’abord, la mise en conformité des AMF a été jusqu’ici un échec total : Il est vrai que la restructuration est une nécessité impérieuse pour le développement du secteur (taille, gouvernance…), seulement les modalités prévues à cet effet (union, fusion, filialisation) et le délai requis (1 année) n’ont permis à aucune AMF de se mettre en conformité à telle enseigne qu’au terme de l’année, toutes les IMF se sont retrouvées en dehors du cadre légal, avec comme corollaire la suspension du financement par la BTS comme il a été précédemment développé.
Les prorogations successives du délai de mise en conformité d’année en année (5 fois depuis le 31/12/2012) ainsi que la création d’une commission nationale pour le pilotage de la restructuration n’ont abouti à aucun résultat tangible jusqu’à cette date, consacrant une léthargie, voire une incapacité des services publics concernés pour faire aboutir ce processus, bien que ces services aient confiés vainement à deux bureaux d’Etudes Tunisiens la mission de mise en œuvre de cette restructuration.
Pour corroborer cette situation lamentable, signalons qu’à ce jour, sur les 186 AMF opérant actuellement, UNE seule AMF a réussi sa mise en conformité par filialisation de ses activités et obtention de l’agrément pour l’exercice de la microfinance.
Toutefois, en cas de perpétuation de l’incapacité des services publics concernés d’assurer la mise en œuvre de cette restructuration, la solution passerait par un amendement du décret-loi 2011-117.
Les dispositions proposées peuvent stipuler la création d’une IMF sous forme associative par gouvernorat avec la condition d’extirper la fonction de microcrédit de toutes les AMF existantes dans le gouvernorat par le retrait de l’agrément, sans pour autant les dissoudre automatiquement, puisqu’elles peuvent continuer leur activité en tant qu’ONG de développement en vertu de la loi 2011-88 portant sur les associations.
Les questions relatives au transfert des encours à cette nouvelle entité ainsi que son mode de gouvernance doivent être définies par la nouvelle loi après avis de toutes les parties prenantes à ce projet.
Le financement de l’activité de microcrédit représente un volet déterminant qui a été occulté par la réforme.
Actuellement, la situation diffère notablement d’un type d’IMF à un autre:
Le financement des IMF sous forme S.A ne pose pas de problème à ces dernières du fait qu’il s’agit de sociétés de capitaux, donc à but lucratif aisément éligibles aux crédits et ayant pour actionnaires des banques, fonds d’investissements et de participations étrangères.
Par contre, le financement des IMF sous forme associative représente un problème crucial et un obstacle majeur pour ces dernières en raison des difficultés à mobiliser des ressources auprès des banques locales.
En effet, en dehors de la BTS dont le schéma de fonctionnement légal ne peut aucunement favoriser le développement de ces IMF, le recours à d’autres sources extérieure de financement nécessite l’appui des services publics concernés, lesquels services prêchent par une indifférence, voire une négligence de la question, en dépit d’une sensibilisation tout azimut et des sollicitations d’assistance et de soutien qui leur ont été présentés vainement par ces IMF sous forme associative.
Concrètement, certaines de ces dernières IMF n’ont pas pu bénéficier de financement sur des lignes de crédits internationales disponibles en Tunisie, en raison de procédures bloquantes et labyrinthates fixées par les services publics concernés, nonobstant l’accord de principe des organismes étrangers de financement.
Il est important de signaler qu’en vertu de l’article 11 de la loi de finance pour 2017, il est prévu une ligne budgétaire de financement du microcrédit d’un montant de 250 millions de DT au profit des IMF sous forme associative et de la BTS.
Cette mesure, tant vantée par les pouvoirs publics, et dont la gestion a été confiée à la BTS, tarde à connaitre un début de concrétisation après plus de six mois de la promulgation de la loi, au grand dam des associations et surtout des pauvres bénéficiaires.
Pour pallier à toute ces défaillances, il serait judicieux de créer un fonds de financement pour la microfinance, qui serait un organisme institutionnel majoritairement privé, à l’instar du fonds Marocain JAIDA dont la constitution, les attributions et le fonctionnement constituent un exemple à suivre, notamment pour sa capacité d’assurer, au profit des IMF de type associatif, tant des services financiers que des services non financiers (soutien, accompagnement et renforcement de capacités des associations de microfinance).
Relativement aux organismes devant être mis en place en vertu de la réforme de la microfinance, seule l’Autorité de Contrôle de la Microfinance (AMC) remplit convenablement le rôle qui lui est dévolu conformément aux dispositions du decret-loi2011-117.
Toutefois, l’examen minutieux de ces dispositions révèle la prédominance excessive de leur aspect coercitif et disciplinaire au détriment de tout mécanisme d’appui et de soutien.
De ce fait, dans le contexte actuel de la microfinance, et sachant que la restructuration et la consolidation sont des préalables au contrôle, il serait judicieux de doter l’ACM d’attributions de développement et de la transformer en « Autorité de Développement et de Contrôle de la Microfinance » (ADCM), car il est plus rationnel de développer pour superviser par la suite que de concentrer tous ses efforts sur le contrôle d’entités amorphes.
Outre l’ACM, il ya lieu de signaler le début de la mise en place d’une Centrale des Risques (C.R) qui est encore à un stade expérimental et ne regroupe jusqu’ici que les IMF sous forme S.A.
L’extension de ses prestations à l’ensemble des IMF du secteur tarde à se faire, mais serait salutaire pour la généralisation du contrôle des prêts croisés ainsi que pour la prévention du surendettement.
La réforme prévoit la création (non encore réalisée) d’un Observatoire de l’Inclusion Financière (O.I.F) en vue d’assurer la transparence des performances du secteur, tant financières que sociales et garantir une bonne gouvernance.
De même, la réforme stipule également que « les institutions de microfinance sont tenues de constituer UNE association professionnelle… ».
Dans la réalité, la situation est chaotique car il existe plus qu’une association et aucune n’a réussi à faire adhérer la totalité des opérateurs :
La première est formée d’associations « autochtones » qui n’a pas pu ou voulu faire adhérer et intégrer en son sein les IMF sous forme S.A.
La deuxième est plutôt « sélective » puisqu’elle englobe les représentants des IMF ayant obtenu l’agrément en vertu du décret-loi 2011-117.
Les divergences tiennent à des considérations en marge de la microfinance : problème d’égo, de primauté et de légitimité, absence de vision pour les constituants.
Cette situation a été favorisée par l’indifférence et l’immobilisme des services publics concernés qui auraient dû intervenir énergiquement pour mettre fin à ces anomalies et à ce blocage de plusieurs années afin de permettre à cet organe de jouer pleinement son rôle qui est la défense et la promotion du secteur ainsi que la représentation de l’intérêt général de toutes les IMF sans exclusive.
En définitive, nous pouvons conclure que si l’introduction institutionnelle de la microfinance en Tunisie a été tardive, sa réforme par le biais du décret-loi 2011-117 a été hâtive dans sa conception et chétive dans ses résultats.
Le cadre réglementaire qui souffre initialement de lourdes lacunes ci-dessus détaillées n’a été jusqu’ici que très partiellement mis en œuvre après plus de cinq ans de la promulgation des textes s’y rapportant.
Les chantiers prioritaires demeurent:
- La restructuration des associations de microfinance dans la perspective d’optimiser leur taille et leur nombre et de mettre fin à l’atomisation du secteur.
- Le financement des associations de microfinance par la création d’un fonds dédié à ce secteur et intervenant également dans le renforcement des capacités institutionnelles et managériales de ces associations (services non financiers).
- Le financement participatif peut constituer une solution complémentaire :
- Les plateformes de Crowdfunding peuvent être des sources de financement pour les IMF associatives, en leur procurant au préalable un cadre réglementaire.
- La clarification de la mission de la BTS et son rôle en tant qu’acteur public au sein de ce nouveau cadre réglementaire ainsi que la rénovation managériale de la banque.
- La mise en place d’un cadre réglementaire approprié à la promotion des autres services financiers inclusifs qui viennent pérenniser le microcrédit à l’instar de la microassurance, et lamicroépargne, et consacrant ainsi le véritable passage du microcrédit à la microfinance.
- L’instauration d’une finance digitale (en manque de réglementation) en tant que facteur clé favorisant l’inclusion économique.
- La mise en place de l’Association professionnelle e l’adhésion des associations de microfinance à la Centrale des Risques qui doit assurer une couverture totale de l’ensemble du secteur.
Pour ce faire, l’amendement et l’achèvement du cadre réglementaire sont certes nécessaires, mais il est également requis un engagement plus fort et une implication totale des services publics concernés qui se substitueraient au laxisme et à l’attentisme actuels.
Pour cela, il faut croire en la microfinance et au benchmarking dans ce domaine, pour faire de ce secteur un fer de lance dans la lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion économique et sociale.
Nouri Derbel
Universitaire