A Aïn Charchara (Ras Jebel), un début d’incendie repose l’épineux problème de la toxicomanie
Hier, dimanche 2 juillet vers 13h30, un incendie s’est déclaré, sur le front de mer à Aïn Charchara, l’une des pittoresques plages du littoral de Ras Jebel (aujourd’hui rebaptisée par la mémoire populaire Bhar Hassan, en souvenir de feu Hassan Belkhodja). Il s’est propagé dans un petit lopin de terre accessible mais protégé des regards indiscrets par une clôture hybride faite d’un mur, de roseaux ainsi que d’arbustes forestiers et servant, pour ces raisons, de refuge pour des toxicomanes habitués à s’y donner rendez-vous pour jouir des effets euphorisants et enivrants des drogues qu’ils consomment, au grand dam des riverains.
Un incendie maîtrisé et trois noyades évitées de justesse
Les vents très violents aidant, cet incendie se serait étendu aux villas voisines sans la rapide intervention des habitants, des estivants et d’un groupe de valeureux maîtres-nageurs affectés par la Délégation régionale de la protection civile de Bizerte à la plage d’Aïn Charchara. Utilisant des tuyaux d’arrosage et munis de seaux pour acheminer l’eau de mer et l’eau de robinet des villas limitrophes vers le lieu de l’incendie, ces derniers ont pu l’éteindre rapidement grâce à leur courage et leur savoir-faire. Les jeunes maîtres-nageurs, venus en renfort, s’étaient distingués la veille en sauvant d’une noyade certaine, un adulte et deux enfants ballotés par les vagues houleuses d’une mer très agitée.
Les habitants des villas mitoyennes de ce lopin de terre peuvent s’estimer heureux d’avoir échappé à une catastrophe qui paraissait inévitable. Le lopin situé sur une falaise, dans une ruelle d’à peine trois mètres de large est inaccessible, aussi bien du côté du littoral que du côté de la terre, aux camions des sapeurs-pompiers quand bien même ils arriveraient en temps opportun, ce qui soulève à nouveau la sempiternelle question des lotissements anarchiques, devenues la norme et responsables de la dégradation de notre patrimoine naturel, de notre littoral et des paysages urbains. Ces lotissements se sont substitués à nos magnifiques sites naturels sans compter qu’ils peuvent mettre en danger nos biens, voire nos vies comme le montre l’exemple édifiant de ce début d’incendie.
Un S.O.S aux autorités locales pour briser les cercles vicieux
Je ne relate pas ces deux faits divers, dont j’ai été témoin en ma qualité de résident à Aïn Charchara, dans le seul but de mettre en relief la solidarité des habitants et des vacanciers, la bravoure et le grand professionnalisme de ces jeunes maîtres-nageurs, hommes orchestres. Le fait que l’on n’apprécie pas toujours à leur juste valeur les hauts faits de ces sauveteurs et qu’on les occulte souvent – on pense qu’ils ne font que leur métier – justifie à lui seul que je m’appesantisse sur ces actes de bravoure. Mais c’est aussi pour attirer l’attention des autorités locales sur deux anomalies qui portent de graves préjudices à la quiétude et à la sécurité des citoyens que je me suis senti obligé de rendre compte de l’extinction de l’incendie et du sauvetage des nageurs en difficulté:
- La première est signalée par les jeunes maîtres- nageurs qui déplorent l’absence à Ras Jebel d’une antenne locale de la Protection civile. Malgré la demande faite depuis une décennie par la Délégation régionale de la Protection civile de Bizerte pour disposer d’une représentation à Ras Jebel, les autorités locales ne sont pas enclines à satisfaire cette requête, arguant de l’absence d’un local à mettre à la disposition de la Protection civile (sic !). Pourtant la mise en œuvre d’une mesure aussi salutaire faciliterait l’intervention de la Protection Civile pour assurer des tâches aussi variés que l’acheminement des malades vers les hôpitaux, les secours apportés aux baigneurs imprudents ou victimes de malaises et aux accidentés de la route, l’extinction rapide des incendies qui se déclarent dans la forêt de Ras Jebel. L’une de ses conséquences évidentes et bénies serait le sauvetage de plusieurs vies humaines.
- La seconde a trait à la présence à Aïn Charchara et particulièrement sur le lopin de terre précité et près des maisons situées à la lisière de la forêt de toxicomanes qui utilisent des drogues dures ou légères et d’alcooliques qui font du tapage nocturne, comme en témoignent la floraison, sur le sol, des seringues et des cannettes de bière et ce, en l’absence de toute dissuasion de la part des forces sécuritaires concernées. Alertées, elles s’excusent de ne pouvoir intervenir faute de moyens et parce qu’elles sont acculées à utiliser le peu de ressources humaines et matérielles dont elles disposent pour des tâches considérées comme prioritaires telles que la prévention du terrorisme. Nous sommes dans la quadrature du cercle.
Ce sont ces toxicomanes qui semblent avoir été à l’origine de l’incendie précité. Utilisant un matelas à ressorts adossé à l’un des arbres forestiers et aux roseaux qui entourent le lopin de terre, ils auraient, après leur voyage dans les paradis artificiels de la drogue, laissé traîner un mégot allumé qui a fait flamber le matelas, totalement calciné et dont il n’est resté que la charpente métallique. En raison de l’issue heureuse de l’incendie, les témoins n’ont pas cru utile d’en informer les autorités compétentes.
Pour une stratégie nationale de lutte contre la toxicomanie
Ce fait divers remet aussi sur le tapis – et c’est une raison supplémentaire pour s’y attarder- le problème épineux de la toxicomanie en Tunisie, présentée par Kawla Hamed, dans un article publié sur Business News, comme « un supermarché de drogues à ciel ouvert ». N’étant plus l’apanage du grand Tunis, la dépendance aux drogues a gagné d’autres villes. Elle est devenue à Ras Jebel, de l’avis même de nombreux citoyens et spécialistes de la question, un fléau dévastateur que personne ne tente d’enrayer. Sur la Place Sidi Larbi, située au cœur de la ville, il n’est pas exceptionnel de retrouver le matin des seringues utilisées la nuit précédente par des toxicomanes. Il est grand temps pour les autorités tunisiennes et particulièrement pour les ministères les plus concernés (ceux de la santé publique, de l’éducation nationale, de la justice et de l’intérieur, de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, des affaires sociales ) d’élaborer une stratégie nationale de lutte contre ce fléau qui doit être inaugurée par une enquête nationale sur la toxicomanie (cette dernière n’a été étudiée qu’en milieu scolaire révélant des chiffres alarmants alors qu’elle concerne aussi de jeunes marginaux que le désespoir plonge dans l’enfer abyssal de la drogue) et être couronnée par la création d’un office national de lutte contre la toxicomanie qui coordonnerait l’action de tous ces ministères.
Habib Mellakh