Lettre à la famille du futur défunt
Cette lettre, j'espère ne jamais avoir à écrire. Mais je sens chez nos concitoyens tant de questions, d'ignorance, de doutes quant à la réalité de la menace qui nous guette, de nos engagements, de nos dilemmes, de nos harcèlements moraux face à cette menace interplanétaire, que je ne peux m'empêcher de croire qu'il nous faut leur parler, leur expliquer car il y a certainement un déficit de communication en la matière. L'assassinat du citoyen SOLTANI vient ici en appui, car en parallèle de provoquer le débat, sa mort joue un rôle dans notre réflexion.
Madame, Monsieur,
Tout en partageant votre peine dans ces moments douloureux, je veux vous dire à quel point sa mort , au service de son pays, n'a pas été et ne sera jamais vaine. Vous me demanderez pourquoi est - il mort. Vous me demanderez comment est - il mort. Je ne vous apporterai que des réponses parcielles, par essence insuffisantes car il ne m'appartient pas pour certaines d 'y répondre, je pense cependant, vous les devoir quand-même.
À vous , mais aussi à tous nos concitoyens à qui nous devons des réponses, non pas uniquement sur le "comment", mais aussi sur le "pourquoi", je ne peux me résoudre à vous laisser dans le doute . Ce devoir est d'autant plus prégnant qu'il s'inscrit dans un contexte d'opinion publique hypersensible et dans un environnement où la perte d'une vie humaine peut vite signifier l'échec de l'institution militaire combiné à la faillite de la politique du gouvernement.
- Le premier devoir : préserver la vie de nos hommes. Dans ce cadre, soyez assurés que le chef militaire à pleinement conscience de son devoir de tout mettre en œuvre pour que la vie soit préservée .Mais comme en une sorte de parade, on avait cru, ou voulu croire, au concept de la guerre "zéro mort". Or, le tout technologique, tout en permettant de mener une guerre "propre", a aussi montré ses limites. Il faudra inévitablement mettre des hommes à terre pour efficacement contrôler le terrain. Pour cela, il nous faut accepter d'y encaisser les coups.
- L'ennemi se fond dans la population, camoufle ses équipements en ville, se protège de nos tirs, aussi précis soient-ils, derrière notre évaluation du risque des dommages collatéraux. Or, on ne fait pas plier un adversaire furtif qui s'évapore dans la nature instantanément.
- De même, notre action ne peut pas s'accommoder de la culture de l'instantanéité. Elle a besoin de temps, car les missions confiées à nos hommes ne se prêtent pas à un règlement éclair.
- Nous sommes, dans cette guerre asymétrique, à la recherche d'un équilibre. pour nous protéger des tirs adverses, nous nous dotons d'armures de plus en plus lourdes et coûteuses. Si lourdes que se pose finalement la question de la manœuvre face à un adversaire si léger, dans un milieu si cassant .Ce désir de protection trace - t - il la bonne voie? N'est - il pas notre handicap majeur? Sommes-nous prêts à concéder du feu à la manœuvre?
Il s'agit de compromis et le curseur, entre protection, feu et mobilité, ne peut glisser d'un côté que trop sensiblement. C'est au jour le jour, au gré des conditions toujours changeantes, que nous devons trouver le meilleur équilibre. - prévoir totalement les attentats n'est pas possible, les rendre difficilement réalisables est possible.
Ces interrogations sont, bien entendu, éloignées de vos préoccupations, je veux vous les livrer car elles montrent comment nos hommes combattent.
Madame, Monsieur
Je ne pense pas avoir été le seul à m'exprimer sur cette menace à anticiper, mais que voulez-vous, nous avons sans doute la politique (et les politiques) que nous méritons. Ça fait des mois et des années que je formule des propositions touchant les différents aspects de cette guerre d'usure qui nous est imposée, mais rarement ont suscité un intérêt chez ces décideurs .Il est normal que des politiques, peu au fait des questions militaires ou de sécurité, trouvent mes propositions sans intérêts. Ceci ne pouvait pas favoriser des mesures efficaces et surtout permettre la planification de ces mesures de sécurité de bon sens.
Mohamed Kasdallah