Habib Touhami: Du droit au travail au droit à l’emploi
Un amalgame abusif est fait entre droit au travail et «droit à l’emploi». Le droit au travail est effectivement proclamé par l’article 23 de la Déclaration des Nations unies de 1948: «Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage». Il est proclamé aussi par l’article 40 de la Constitution tunisienne: «Le travail est un droit pour chaque citoyen et citoyenne. L’État prend les mesures nécessaires à sa garantie sur la base de la compétence et de l’équité. Tout citoyen et citoyenne a le droit au travail dans des conditions décentes et à salaire équitable». Mais aucune mention au « droit à l’emploi » n’existe dans ces deux déclarations.
Que signifie alors le droit à l’emploi pour ceux qui l’invoquent? Est-ce l’obligation pour l’Etat de fournir un emploi à chacun, salarié de préférence et dans le secteur public si possible? Si oui, il faudrait qu’ils aillent au bout de la logique et exiger l’instauration d’un régime politique dans lequel l’Etat décide de tout, à commencer par l’orientation scolaire, le taux de réussite au bac, l’accès à l’Université, le métier, le niveau de qualification, le lieu de résidence, etc. Il faudrait aussi qu’ils acceptent la mise en place du système économique corollaire, un système dans lequel l’Etat est seul maître de l’affectation des ressources, de l’investissement, de la production, de la consommation, du commerce, des prix et revenus, etc. L’humanité a connu un tel système. Chacun sait qu’il a fait faillite, tant sur le plan des libertés que sur le plan économique.
Au demeurant, si le droit à l’emploi était réellement un droit au sens strict du terme, tout demandeur d’emploi non satisfait serait fondé de poursuivre l’Etat en justice pour le recouvrir. A ce jour, aucun n’a franchi ce pas. Il serait d’ailleurs très instructif de lire les attendus des juges s’ils viennent à condamner l’Etat pour «défaut de présentation» de l’emploi. Le plus significatif en la circonstance est qu’il existe un droit à la santé inscrit clairement dans la Constitution (art.38) ainsi qu’un droit à l’enseignement (art.39) sans qu’ils soient défendus avec le même zèle.
Que l’on exige des pouvoirs publics la mise en œuvre d’une politique socioéconomique permettant à chacun de travailler dans la dignité et le partage est une chose, que l’on exige d’eux de fournir un emploi aux conditions du demandeur dans une économie ouverte en est une autre. Un minimum de cohérence s’impose à tous. Le problème est qu’en reconduisant une politique économique et industrielle à l’origine, quoi qu’on en dise, de la situation de l’emploi, les pouvoirs publics bafouent l’article 40 de la Constitution. Mais en adoptant certaines formes d’action puériles et belliqueuses, quelques demandeurs d’emploi s’autoproclamant «empêchés de travailler» bafouent d’autres articles de la Constitution, sans qu’ils puissent peser véritablement sur le cours des choses.
Habib Touhami