Habib Ben Salha : Taoufik Baccar, l’Homme est l’œuvre…
«Aujourd’hui encore un malaise certain règne parmi les auteurs, même les plus confirmés de la littérature tunisienne… Je ne vais pas fermer les guillemets, n’en déplaise aux contrôleurs de la parole. Oui, Taoufik Baccar, Douagi a accompli un pèlerinage autour des bars de la Méditerranée (Gommez ce mot allumé! Ecrivez voyage… Je n’aime pas les Gommes voyantes, aurait dit le penseur intrépide. Que faire? On le retient….
Oui et tant pis pour les analphabètes!), Messadi a découvert le rythme du sable avec ou sans grain de l’oubli, Chabbi attend encore la mise en évidence du souffle de la colère révolutionnaire, Khraief a provoqué la colère des puristes: la langue arabe se dirige tous les matins vers la rue des marchands de tout et de rien. Tu as perturbé les adverbes pour boire la poésie bachique, réveillé l’infinitif pour manger les classiques, créé une nouvelle couleur pour donner la pierre au fleuve, le son au signe, l’étincelle au brasier. Cher Taoufik, tu es dans ton temps, contre ton temps, de tes instants. Tu n’as pas fait de la littérature contre la littérature. Tu as amélioré le sens critique, donné la cage en pâture à la rage intérieure, beaucoup plus forte que le cri sauvage. Tu nous as dit: en tout, il faut croire avant d’aller voir. La production produit le producteur, la lecture le lecteur, la beauté la laideur, la toile la couleur. Ton humilité profonde se transforme tous les dimanches matin en profondeur vitale. Avez-vous jamais discuté avec ce voyageur intrépide?
«J’aime le Soudan à travers les mots de Taieb Salah jusqu’au moment où Sehili fit son voyage dans ce pays. Alors, mots et tableaux se rencontrèrent en délices de couleurs et en humanités de roc. J’éprouve une grande envie maintenant de me rendre là-bas. Merci Mahmoud».
Merci Taoufik. J’ai bien regardé ta belle écriture: l’accent du dé qui a fugué est une trouvaille, c’est tellement délicieux qu’on n’a pas le temps… Les mots ont donc une couleur et on visite un pays sans visiter le pays. Un sourire suffit. Le geste fleurit, une parole s’ouvre et se ferme, une forme cherche et se cherche, un éclat éblouit. La peinture tunisienne est l’avenir de la littérature tunisienne d’impression pluriverselle. Va tout droit mon petit gars, toujours droit, la Médina de Tunis est une école de la vie. Elle corrigera la géométrie.
Ouvrez les yeux, chers lecteurs; restez discrètes, chères lectrices, regardez au fond là-bas: Mohamed Masmoudi est en train de dire à un jeune auteur tunisien qui souhaite être publié par Sud Editions: le silence du Directeur de la collection est un langage. Voilà un silence qui n’est jamais silencieux. La littérature n’aime pas les faux tsunamis (ce pluriel est un mensonge, allez savoir pourquoi). Salah Garmadi vient de trouver ses ancêtres bédouins. Quant au chat de Halfaouine, il n’aime pas la ligne droite. Maintenant, on va écouter Slaheddine Chérif, il sait que la phrase du préfacier, critique d’art, professeur universitaire, critique littéraire attend la nuit avant de retrouver sa ponctuation intime. Intime ? Ecoutez le bruissement du lecteur de Messadi: «le style s‘inspirant de la grande prose classique est d’une beauté sculpturale que traversent d’éblouissantes fulgurances poétiques… Ainsi parlait Taoufik. Lorsque l’oubli naît, faut-il fermer ou ouvrir les fenêtres?
Taoufik Baccar a un jardin où l’eau dicte le rythme, une maison où la peinture berce, endort et réveille le lecteur endormi. Parmi ses élèves, on trouve une génération formée pendant ses années d’enseignement. Les plus illustres de tous sont maintenant des trouveurs confirmés, des romanciers oseurs, des dramaturges contagieux, des critiques souvent critiques. Le rayonnement de la personnalité de ce voyageur infatigable, sa présence vivante, son sourire bleu ont construit le plus court chemin de l’homme à l’homme, selon la belle formule d’André Malraux. La seule dénomination qu’il admette pour lui-même est celle de marcheur. Il sait penser avec ses pieds, comme le souhaite Michel Serres. Que se passe-t-il quand Moutanabi rencontre Barthes, au Jardin du Luxembourg, à Paris, capitale de tous les péchés lumineux? Bien sûr que tout cela n’est pas sérieux. Un auditeur fatigué sortant d’un amphithéâtre archiplein, à la faculté des Lettres, murmure: «il a massacré ceci et cela.» Pas la peine de traduire. Elevons le débat, voulez-vous! Le conférencier a emprunté ses matériaux à la littérature arabe classique, à l’art, à la sémiologie et à la linguistique, à la philosophie, la plus proche de l’humanité humaine de l’être humain.
Taoufik Baccar aime les mots absolument neufs. Mais les meilleurs sont intérieurs. Alors, on regarde le ciel (combien de fois?), on le boit, on laisse venir la première étoile, on sème le blanc et on attend. On a envie de toucher le creux des signes, leurs vagues nourricières. En attendant, on se promène entre les langues. Langues? Plutôt lignes saveur et lumière. Oui, Cher Taoufik, ce jour-là, chez toi, tu étais à côté de la belle toile de ton peintre préféré et tu as accepté de donner ton nom à un parcours annuel, appelé Massar Baccar. La vie égale l’œuvre. Nous allons continuer. La Tunisie donne à penser…
Habib Ben Salha