Youssef Chahed a-t-il gagné la bataille?
A neuf mois, presque jour pour jour, à la tête du gouvernement, Youssef Chahed a fini, à la 90e minute, par tenir son grand engagement à lutter contre la malversation. Et sauver sa tête. Mardi 23 mai 2017, à 15h30, la violence des évènements d’El Kamour et de Tataouine l’enfonçait encore plus dans l’œil du cyclone. Tout le donnait sur le départ, dans l’échec cuisant et la solitude. Chacun cherchait à tirer son épingle du jeu, lui imputant l’entière responsabilité du brasier qui guettait la Tunisie. Malgré sa confiance en lui-même et en la justesse de sa stratégie, Youssef Chahed devait sans doute chercher à dégoupiller tant de bombes à fragmentation menaçantes.
Son plan secret, il l’avait préparé mûrement, de longue date. L’arrestation de gros bonnets immédiatement mis en résidence surveillée, au titre de l’état d’urgence, changera la donne.
Personnellement ciblé
Jugé faiblard et incapable de traduire devant la justice des figures emblématiques de la malversation, sur la base de preuves irréfutables, et hésitant à prendre les mesures qui restaurent l’autorité de l’Etat, le chef du gouvernement devient en quelques heures le «champion qui, avec courage et une irréductible détermination, ose affronter les symboles de la malversation». Les réseaux sociaux s’emballent, tous ou presque le félicitent, lui expriment leur appui et l’adjurent à persister dans cette voie. Dans la sphère diplomatique aussi, l’appréciation est haute. Certains vont jusqu’à le lui dire.
Youssef Chahed ne se laisse pas griser par «ce pas franchi». Pas plus par le démantèlement, le 30 avril dernier à Sidi Bouzid, d’une redoutable cellule terroriste lors d’une opération au cours de la- quelle l’émir du groupe Okba Ibn Nafaa a été abattu. Ce trophée exceptionnel n’a fait qu’attiser la haine des takfiristes. Dans leur aveuglement étourdi, ils multiplient les menaces de venger leur chef.
Le mois de tous les défis
Bravant ces risques personnels, le chef du gouvernement garde sa sérénité et se concentre sur l’essentiel. Il sait que le mois de juin est celui de tous les défis. D’abord, le ramadan, avec ses risques sécuritaires accrus, étant souvent choisi par les terroristes pour perpétrer leurs forfaits au titre du jihad.
Il y a aussi le panier de la ménagère à préserver, c’est-à-dire la nécessité de garantir l’approvisionnement du marché en produits à profusion, tout en maîtrisant les prix et en évitant leur flambée.
Juin est également le mois des examens scolaires et universitaires à sécuriser et faire aboutir dans de bonnes conditions. C’est aussi, à l’orée des vacances, le mois de la préparation de la saison touristique qui, cet été, s’annonce prometteuse. Autant de défis à relever pour Youssef Chahed.
La croissance, les régions et la malversation
Tout en veillant à l’opérationnel immédiat, le chef du gouvernement reste cependant stratégique. Trois axes majeurs sont à privilégier, outre la sécurité et la paix sociale. Pousser la croissance, développer la région et lutter contre la malversation revêtent, selon lui, la plus haute priorité. Les ministres doivent changer de description de poste, affirme-t-il à Leaders. Ils doivent se libérer du quotidien bureaucratique infructueux pour se consacrer à ces trois impératifs. La croissance, chaque ministre doit la susciter en identifiant ses gisements, débloquer ses entraves et convertir chaque intention, projet et mesure en une réalisation effective qui se répercute sur la création de valeur et la croissance.
Développer les régions, Youssef Chahed a détecté un maillon manquant dans la chaîne de synergie indispensable. Il y a, d’un côté, sur le terrain un gouverneur avec des élus à l’ARP et, de l’autre, à Tunis, des ministres et des administrations, érigés en silos verticaux, chacun dans son secteur. Qui à Tunis prend en charge dans une coordination horizontale les dossiers des régions ? Personne. C’est pourquoi il a décidé d’inviter chaque membre du gouvernement à parrainer une région de son choix, en se mettant en binôme avec son gouverneur et en s’impliquant ensemble avec ses élus afin de surmonter toutes les difficultés rencontrées. Le ministre y apportera son expertise et plaidera la cause de la région parrainée auprès de ses homologues.
Dans cet effort de soutien aux régions, la communication digitale et audiovisuelle est déterminante. Conscient du déficit en la matière, Youssef Chahed envisage de créer une chaîne Youtube pour chaque région. Y seront diffusés des reportages sur les projets et les réalisations, des communications, notamment des membres du gouvernement, et autres contenus d’intérêt.
Quant à la lutte contre la malversation, le chef du gouvernement en fait la responsabilité personnelle de chaque ministre. Mise en place des politiques et procédures appropriées, activation des organes d’inspection et transmission à la justice des dossiers avérés. Relever les défis du mois de juin et du ramadan, pousser la croissance, développer les régions et persévérer dans la lutte contre la malversation: la feuille de route de Youssef Chahed est bien tracée. Vaincre le terrorisme et apaiser les tensions sociales s’y ajoutent avec insistance.
Lire aussi
Youssef Chahed a-t-il gagné la bataille?