Habib Ayadi - A propos de l’investissement étranger: Sécurité juridique et attractivité d’un pays
D’une façon générale, pour l’investisseur le taux d’imposition, de pression fiscale et plus généralement les codes d’investissement ne sont pas les seuls facteurs d’attractivité d’un système juridique. Il s’y ajoute de façon essentielle, le climat de sécurité juridique qui le caractérise, le contentieux qui le garantit et l’administration qui l’applique.
Si la sécurité juridique est considérée comme la condition essentielle pour tout investisseur, les deux autres, sont également essentielles mais peuvent évoluer parallèlement, sans forcément s’identifier.
En termes de progrès, on doit s’attacher en premier lieu à la sécurité juridique, dès lors qu’elle est considérée, en matière fiscale, comme un objectif majeur pour l’attractivité.
I-La sécurité juridique renvoie à des différentes exigences
Elle renvoie à la nécessité pour les contribuables d’être informés de façon certaine des conséquences fiscales de leurs actions. Mais c’est surtout l’instabilité du dispositif qui constitue la source principale d’angoisse face au droit fiscal.
La modification permanente des textes, les changements imprévus de la réglementation et des orientations de la politique fiscale sont des raisons de perdre confiance dans le système fiscal. Il en est de même de la complexité et l’instabilité des normes qui s’appliquent aux entreprises avec comme conséquences d’engendrer des coûts, des délais et de l’incertitude préjudiciables à l’investisseur …
A cela s’ajoute une rétroactivité qui bouleverse les prévisions de l’investisseur et le plonge dans un état d’incertitude, dès lors qu’elle obtère les visibilités, le calcul et les anticipations qui sont indispensables au développement des activités économiques.
En France, ces renversements ont conduit le gouvernement à élaborer une Charte de non-rétroactivité fiscale, afin que les entreprises disposent désormais de plus de visibilité et de la garantie des règles de jurisprudence.
D’autre part, en matière fiscale, la prescription est considérée comme un élément essentiel du principe de sécurité juridique.
L’absence de délai pour la prescription, son allongement, ou le fait de la faire dépendre de la seule volonté de l’administration constituent des atteintes au principe de sécurité juridique.
Le conseil d’Etat français s’est montré, depuis longtemps, conscient des risques pour la sécurité juridique de l’absence de prescription. Il a affirmé de façon «prétorienne» le droit à la prescription (y compris pour les fraudeurs).
Pour autant, les manifestations de l’insécurité fiscale, qui caractérisent le système juridique tunisien, subsistent. Le droit fiscal reste un «droit à la dérive». Le législateur ne s’emploie pas suffisamment à lutter contre l’insécurité fiscale. En définitive, outre le fait que certains dispositifs visant à lutter contre la fraude et l’insécurité sont à parfaire, plusieurs chantiers restent à l’abandon.
La complexité et l’instabilité des normes qui s’appliquent, surtout aux entreprises, ont conduit certaines organisations internationales (notamment l’OCDE) à réfléchir sur l’insécurité juridique et y apporter remède.
Les solutions retenues sont les suivantes:
- Le développement du «rescrit interprétatif» assorti de publication par l’administration des réponses émises;
- De même et dans la suite de ces idées et pour rassurer le contribuable, on prévoit:
• Des accords avec l’administration fiscale de type «contractualisation».
• Une distinction à opérer entre contribuables «coopératifs» et «non-coopératifs». etc.
II-Le contentieux fiscal
L’application du principe de la sécurité juridique ne suffit pas à lui seul, il faut qu’il soit complété par un système juridictionnel répondant aux exigences de la «bonne gouvernance fiscale».
Il est possible d’identifier essentiellement les cas suivants:
- La durée du procès
Certes, le caractère raisonnable de la durée du procès dépend des circonstances de la cause ainsi que l’importance de l’enjeu. Mais l’Etat est tenu de respecter le délai raisonnable retenu par les conventions internationales, les organisations internationales et la jurisprudence des pays développés.
Un procès qui dure entre cinq et six ans est inacceptable. L’Etat est tenu de réduire ce délai, quitte à revoir la durée de la phase administrative préalable et de créer des chambres fiscales spéciales pour le contentieux des investisseurs.
- L’internationalisation du droit fiscal
Le droit fiscal est entré dans une nouvelle ère, dominée par «la juridicisation» et l’inflation des normes internationales.
Cette évolution constitue autant de «défis» pour le juge fiscal qu’une formidable opportunité pour un contentieux fiscal en quête de modernisation.
Dans le système fiscal tunisien, cette orientation fait défaut. Il est alors urgent de la combler.
- Attractivité d’innovation
Ces dernières années, les pouvoirs publics, timidement, ont développé et même renouvelé le contentieux fiscal.
La plus grave, cependant, est que pour les magistrats des deux ordres, la matière fiscale est une matière de «passage» qu’on exerce momentanément. Pour de nombreux juges (surtout privé) le domaine fiscal est un domaine de transition où le magistrat se risque quelques années sans idées d’y revenir.
Il en est résulté que la capacité d’innovations jurisprudentielles est limitée et comme conséquence une réticence aux solutions innovantes.
III- L’administration fiscale
L’administration fiscale, elle-même, n’est pas toujours exemplaire. Elle assure des missions essentielles au sein de l’Etat. A partir de 1980, elle a connu des évolutions constantes qui ont permis de réaliser des progrès. Le développement important de l’informatique a permis des améliorations de la gestion administrative et la simplification des déclarations.
Cependant, les progrès intervenus durant cette période, n’ont répondu que pour partie, aux exigences des contribuables et des investisseurs et plus généralement aux attentes de renouveau.
Accueil imparfait, multiplicité des intervenants, cloisonnement des services, longueur et complexité des procédures sont des modes de fonctionnement ou d’organisation non acceptés par les investisseurs.
Au niveau international, les moyens internes traditionnels ne sont pas toujours adaptés à une lutte contre le phénomène international de fraude et d’évasion. Le problème de la coopération internationale s’impose et nécessite l’adoption de modalités d’actions concertées.
En termes de progrès, il faut essayer de s’attacher à la bonne gouvernance fiscale.
Il faut remarquer que la «bonne gouvernance fiscale» mise à l’honneur notamment par les organismes internationaux (OCDE ou Commission Européenne) est une notion protéiforme et mêle juridisme, choix fiscaux et économiques…
Par «nouvelle gouvernance fiscale» on entend une gouvernance fiscale qui se caractérise par une amélioration du personnel et des outils d’administration dans une optique de plus grande efficacité. Elle se veut «une bonne gouvernance» par rapport aux échecs et aux insuffisances des méthodes «traditionnelles».
L’administration fiscale actuelle n’a de renouveau que le peu de son actualisation par rapport à hier.
Se limiter au cadre national actuel serait l’assurance d’un échec complet.
Il est temps pour le gouvernement de prendre conscience que l’avenir pour l’administration n’est plus l’administration classique.
Les fonctionnaires, toujours de plus en plus nombreux, donnent l’impression qu’ils ne sont plus sûrs d’eux-mêmes, qu’ils ne croient plus réellement à ce qu’ils font, qu’ils ne voient plus guère d’horizon, celle de l’intérêt général, qui devrait être cependant le leur.
Il faut donc rompre avec cette administration classique et concevoir une nouvelle, capable de recruter des jeunes, qui sont capables de promouvoir des mesures et des techniques nouvelles et qui pensent la fiscalité pour les décennies à venir.
De ce point de vue, les expériences ne manquent pas et avec le recul nécessaire, ces expériences permettent de tirer quelques enseignements pour éclairer les débats. En effet, dans beaucoup de pays avancés, on assiste à la mise en place d’un mode de gestion des administrations fiscales organisées en «Agence». Il s’agit d’institutions séparées du ministère des finances, dotée de gestion autonome, dirigées par un conseil d’administration et soumise à un contrôle strict du parlement et du gouvernement.
En contre-partie l’agence s’engage à réaliser un programme de contrôle et de recouvrement des impôts. Dans ce dernier, l’expérience de la Suède parait particulièrement significative.
Habib Ayadi
Professeur émérite à la Faculté des Sciences Juridiques,
politiques et sociales de Tunis 2