Abdelaziz Kacem: L’infatigable passeur entre l’Orient et l’Occident
On attendait avec curiosité le nouveau livre de Abdelaziz Kacem, L’Occident et nous et vice-versa. Le thème est certes récurrent, voire galvaudé, mais pour ce fin lettré, grand connaisseur des cultures arabe et française et longtemps engagé dans le dialogue Orient/Occident, les relations ambiguës et tumultueuses entre ces deux ensembles demeurent une question brûlante de notre temps. Question qu’il importe toujours d’éclairer d’un jour nouveau. Tant il est vrai que ces relations ne cessent de générer tensions, incompréhensions et intolérance et de peser lourdement sur la paix dans le monde.
Répondant à une vocation de «passeur entre les deux rives», Abdelaziz Kacem commence dans cet ouvrage par jeter un regard critique sur l’Europe à laquelle il adresse bien des reproches. Une Europe qui «n’est plus ce qu’elle était», qui «a mal à son histoire». «Une Europe à deux vitesses» dont l’émoi est son comble lorsque le terrorisme frappe un pays occidental et qui ne perçoit dans ce phénomène qu’un fait divers lorsqu’il frappe ailleurs. Une Europe qui a du mal à gérer le dossier de l’immigration...
Dans un second volet, l’auteur se lancera dans une violente diatribe contre la politique américaine dans le monde en général et au Moyen-Orient en particulier. Il reviendra notamment sur l’attitude américaine avant le déclenchement de la guerre du Golfe, saluant l’ultime souffle gaullien de la France, hostile à cette guerre. Et Abdelaziz Kacem de dénoncer les incidences désastreuses de cette politique sur l’Irak, la Syrie, livrée «aux chiens», la Libye qui «s’effiloche», le Yémen qui «brûle»...
Dans la troisième partie du livre, intitulée «À la table de l’Union des religieuses contemplatives», l’auteur traitera particulièrement de sujets inhérents à l’islam et à l’islamisme ainsi que de l’improbable dialogue entre christianisme et islam, malgré «une parenté spirituelle».
La conclusion du livre s’apparente beaucoup plus à un appel à la conscience de l’Europe qu’à un vœu pieux: «... Je continue de rêver d’une Europe moins frileuse, une Europe moins recroquevillée sur sa géographie, plus consciente de sa grande histoire, une histoire à laquelle le Maghreb en général et la Tunisie en particulier se sentent organiquement liés. Nous avons plus besoin d’humanisme, parce que nous sommes des Européens historiques, parce que nous avons vocation à ré-adhérer tôt ou tard à ce vieux continent qui porte le nom d’une princesse de chez nous. A défaut d’être frères de sang, nous sommes beaux-frères.»
Chedli Klibi, auteur de la préface du livre, estime que Abdelaziz Kacem «est préparé, aujourd’hui, à apporter, éventuellement, une contribution utile à une rencontre», étant «un des hommes les mieux partagés entre le positivisme occidental et la ferveur arabo-islamique.
Nous vous proposons ces extraits du livre ainsi que la postface, signée Pierre Hunt, ambassadeur de France.
De l’islam à l’islamisme
(...) L’islam a quatorze siècles d’âge. Ses dérives n’ont jamais été aussi sanguinaires. Pourquoi cette exceptionnelle violence et pourquoi maintenant? Pour la plupart, l’islam est une religion guerrière, propagée par l’épée. Contrairement aux idées reçues, l’islam ne s’est pas systématiquement imposé par la force, l’Indonésie, le pays musulman le plus peuplé, ainsi que l’Afrique subsaharienne ont été islamisées par des soufis et des commerçants.
Religion prosélyte, tout autant que le christianisme, de la fin du VIIe à l’aube du VIIIe siècle, elle s’étend sur trois continents. À l’Ouest, de l’Afrique du Nord à l’Espagne, du sud de la France à la Sicile, voire au sud de l’Italie, la Méditerranée s’islamise.
On n’a jamais vu dans l’Histoire un peuple sans histoire se lancer à la conquête du monde et quel monde ! L’empire byzantin et l’empire perse. Très vite, l’islam donne à la langue arabe une vocation universelle. Porteuse d’une grande littérature, elle sut imposer son rythme à l’islam et les mosquées tolérèrent le voisinage des librairies où les livres religieux côtoyaient les recueils de poésie les plus débridés. Pour les médias occidentaux dont la connaissance des choses de l’islam est aussi médiocre qu’outrecuidante, le Coran prêche la violence. Or il n’est pas une rupture, il se veut confirmation et parachèvement des valeurs édictées, il condamne le meurtre d’innocents, fustige le suicide (donc le kamikaze), rejette les conflits, prône le dialogue avec les gens du Livre, confirme la diversité, combat l’extrémisme : «Ainsi vous constituons-Nous communauté médiane» (II, 143).
Dieu nous appelle à nous accepter et à nous connaître les uns les autres: «Si Nous avons fait de vous des peuples et des tribus, c’est en vue de votre connaissance mutuelle» (XLIX, 13). Il nous rappelle que nous sommes tous des frères, issus d’une même matrice: «Humains, prémunissez-vous envers votre Seigneur. Il vous a créés d’une âme unique» (IV, 1).
Ceux qui veulent imposer l’islam ne suivent pas les préceptes du Seigneur: «Point de contrainte en matière de religion» (II, 256), car «Si ton Seigneur le voulait, sûr que les habitants de la terre croiraient tous jusqu’au dernier. Mais toi, peux-tu contraindre les gens à croire?» (X, 99).
Les versets prêchant l’entente et la solidarité entre tous les hommes abondent dans le Coran. En revanche, les versets prônant la violence - ils ne sont pas rares -, les meilleurs exégètes ont su les contextualiser. Ils savent et font savoir que toute interprétation du texte sacré exige une connaissance parfaite de la langue coranique et des conditions qui avaient motivé tel ou tel commandement. Il convient de souligner, à cet égard, que la révélation du Coran s’étala sur plus de vingt ans. La parole divine ne faisait, le plus souvent, que répondre à des questions souvent circonstancielles.
Dans sa prime jeunesse, au plus fort de sa puissance, l’islam ne s’est jamais montré offusqué outre mesure par des débats contestataires. La barbarie dont l’islamisme fait montre est un indice de grande faiblesse.
L’islam s’inscrit dans la tradition d’Abraham. Il déclare continuer et parachever le monothéisme judéo-chrétien. Le Coran réaffirme que Dieu a fait «descendre la Torah et l’Évangile auparavant, comme guidance pour les hommes» (III, 3). Le Prophète, aux yeux duquel «Marie est la meilleure des femmes», tend une main fraternelle aux chrétiens: «Celui qui croit en Jésus, ensuite en moi, aura une double rétribution».
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