News - 17.05.2017

Salma Zouari: L’économie nationale a-t-elle retrouvé le chemin de la croissance ?

L’économie nationale a-t-elle retrouvé le chemin de la croissance ?

L’institut national de la statistique vient de publier les premières estimations relatives à la croissance économique observée en Tunisie pendant le premier semestre 2017 (http://www.ins.tn/sites/default/files/publication/pdf/PIB_2017-T11.pdf). La croissance trimestrielle du produit intérieur brut (PIB), en glissement annuel aux prix de l'année précédente , s’élève selon ces estimations à 2.1% et retrouve son niveau en vigueur avant l’attentat du Bardo. Pour apprécier ce niveau de performance, il convient de positionner le taux du premier trimestre 2017dans la dynamique de croissance que connait le pays depuis la révolution.

A cet effet, les taux de croissance économique trimestriels démontrent que, jusqu’au premier trimestre 2016, l’économie tunisienne était en perte de vitesse (figure 1). On y observe, depuis, des indices de reprise économique et un probable retournement de tendance. On peut se demander quels facteurs expliquent l’essoufflement de l’économie jusqu’à fin 2015 et à quelles conditions le retournement de tendance se confirmera-t-il et perdurera-t-il ?

Source : http://www.ins.tn/fr/themes/compte-de-la-nation

et

http://www.ins.tn/fr/publication/produit-intérieur-brut-1er-trimestre-de-l’année-2017

Deux principales approches permettent d’éclairer ces questions. La première se réfère à l’analyse des moteurs de la croissance que constituent les différentes composantes de la demande globale : la consommation, l’investissement et les exportations nettes des importations. La seconde approche adopte l’analyse sectorielle. C’est cette dernière approche que nous privilégierons dans ce papier.

Bien entendu, on peut calculer la contribution de chaque secteur à la croissance et en étudier l’évolution. Nous nous limiterons ici à une analyse plus sommaire de l’évolution des taux de croissance de la valeur ajoutée (VA) trimestrielle de divers secteurs économiques et tenterons d’en faire une typologie selon leurs performances et les probables causes sous-jacentes à ces performances.

1- Les secteurs connaissant des troubles sociaux

L’analyse de la dynamique des secteurs depuis 2010, montre que quelques secteurs ont connu par moments une régression (figure2).  En effet, au-delà du choc de la révolution, ces secteurs étaient de façon intermittente soumis aux contestations sociales (les mines), ils transmettaient leurs difficultés aux secteurs qu’ils approvisionnent (les industries chimiques) et impactaient négativement l’économie nationale.

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Il est alors clair que la pérennité de la reprise économique et son accélération dépendent du climat social en général et du retour à un rythme de production continu des activités minières et des industries chimiques. Il importe de remarquer que les industries chimiques, les mines, l’extraction de pétrole et le gaz naturel ont représenté 5% du PIB en 2016 alors qu’ils représentaient 8,9% du PIB en 2010.

2- Les secteurs dépendant de la sécurité

L’analyse sectorielle montre aussi que d’autres secteurs ont connu des périodes de croissance négative parce qu’ils ont été marqués par les attentats politiques et terroristes qui ont secoué le pays depuis 2013 (le tourisme et les transports ainsi que les activités qui en dépendent). En effet, il convient de remarquer qu’après la vague de sympathie vis-à-vis de la Tunisie suite à la révolution de 2011, aux élections d’une assemblée constituante fin 2011 et à la formation d’une coalition gouvernementale pour assurer la transition politique, le tourisme a connu en 2012 un essor (figure 3). Mais cet essor n’a pas perduré en raison des attentats politiques de 2013 et des divers attentats terroristes qu’a connus le pays depuis. Le comble de la crise a été atteint lorsque des sites touristiques ont été visés en 2015 occasionnant la mort de plusieurs touristes. Les efforts de lutte contre le terrorisme ont heureusement permis de remonter la pente dès de second semestre de 2016 impulsant la croissance de l’économie nationale.

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Faut-il rappeler qu’en 2016, les activités touristiques et de transport ont été à l’origine de 10% du PIB alors qu’elles réalisaient 13,6% du PIB en 2010 ? De nouveau, la dynamique de la reprise économique et sa pérennité sont tributaires de la prévalence de la sécurité qui doit rester l’enjeu essentiel de la période à venir.

3- Les secteurs soumis aux aléas climatiques

Le poids de l’agriculture dans l’activité économique s’élève à 9,1% en 2016 contre 7,5% en 2010. L’activité agricole connait de fortes fluctuations et reste dépendante de la pluviométrie (figure 4). Fort heureusement, le cycle agricole est souvent venu corriger une tendance conjoncturelle défavorable augmentant d’autant la résilience de l’économie nationale. Tel a été le cas notamment en 2011 et en 2015. Il est indiqué de réduire la vulnérabilité du secteur et sa dépendance des facteurs climatiques. Mais ceci ne peut résulter que d’une politique structurelle de long terme.

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4- Les secteurs moins vulnérables mais connaissant des fluctuations conjoncturelles

Il s’agit notamment des industries manufacturières et des activités de services marchands. De façon générale, la croissance de ces secteurs est liée à la fois au cycle des investissements et au dynamisme des marchés, notamment extérieurs. Les industries manufacturières connaissent globalement des taux de croissance réduits (figure 5). Ceci peut être imputé à la faiblesse des investissements impactés, entre autres, par les conflits sociaux, le manque de visibilité et l’instabilité politique que connaît le pays. La tenue de la conférence 2020 et la promulgation de la loi sur l’investissement et des textes la complétant promettent d’impulser les investissements de façon générale et ceux dédiés aux industries manufacturières en particulier. Retrouver une croissance soutenue des industries manufacturières, notamment celles tournées vers les marchés extérieurs reste un défi essentiel pour la Tunisie. C’est à ce titre que des paliers supérieurs de croissance pourront être atteints.

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5- Les services non marchands et leur rythme de croissance contra cyclique

L’analyse des taux de croissance de l’administration montre un effet contra cyclique (figue 6). Les recrutements dans la fonction publique et/ou les accroissements des salaires des fonctionnaires auraient eu un impact significatif en période de récession (2011) et un effet moindre en situation de reprise (2012). Cependant, les recrutements massifs fin 2012 (+19,81% d’effectifs supplémentaires) et les importantes augmentations de salaires des fonctionnaires en 2013 (+8,7% d’accroissement du salaire moyen brut)  ont engendré, à partir de 2013, des taux de croissance trimestriels des services non marchands significativement supérieurs à ceux de l’économie dans son ensemble. Ceci a lourdement pesé sur le budget de fonctionnement de l’Etat dans un contexte de faible croissance. Une plus grande maîtrise des effectifs des fonctionnaires et de leurs salaires semble être amorcée fin 2016 et doit être poursuivie pour que l’épargne publique puisse augmenter et pour que l’Etat puisse mobiliser des ressources pour les investissements.

Source : http://www.ins.tn/fr/themes/compte-de-la-nation

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En conclusion, pour que le retournement de tendance amorcé depuis 2016 se prolonge, il convient:

  • d’avoir une vigilance extrême en matière de sécurité, c’est à cette seule condition que les secteurs tourisme et transport pourront retrouver durablement le chemin de la croissance ;
  • d’assurer les conditions d’une activité normale pour les activités minières. La reprise de ces activités entrainera dans son sillage l’industrie chimique qui doit faire des efforts pour reconquérir les marchés qu’elle a perdus;
  • de freiner la croissance des effectifs de l’administration et d’en améliorer les prestations notamment en les dotant des équipements que nécessitent leurs activités.. Ceci est un défi essentiel parce qu’en dépendent le taux d’épargne publique et l’ampleur des investissements en infrastructure et en équipements collectifs;
  • d’assurer la paix sociale et de rechercher autant que possible le consensus;
  • d’accorder la plus grande importance aux activités exportatrices parmi les industries manufacturières et parmi les services marchands, c’est uniquement à ce titre que l’on peut espérer redresser les déséquilibres commerciaux extérieurs ;
  • et enfin, de mettre en œuvre une politique de l’offre à même d’impulser la production sur tout le territoire national, de booster l’entrepreneuriat et l’innovation et de favoriser l’émergence de clusters en fonction des avantages compétitifs des régions. Ce faisant, on réduira la dualité spatiale du pays et l’économie nationale pourra créer les emplois de qualité que recherchent les demandeurs d’emplois.

Salma Zouari
Professeur d’économie
IHEC Université de Carthage
URECA Université de Sfax

 

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2 Commentaires
Les Commentaires
Baltagi Jamal - 18-05-2017 08:48

À lire le document et l’appréciation, on pouvait quand même s’attendre à une plus grande perspicacité que celle de rappeler en leitmotiv que les problèmes viennent de la météo, du climat sécuritaire et de l’atmosphère politique. Amalgamer des effets de long terme à des effets conjoncturels pour déduire un trend n’est pas aisé et aboutit à la formulation de recommandations trop générales pour être efficaces. L’analyse mérite d’être poursuivie et approfondie et à mon avis, aucune étude qui n’examine pas les causes qui ont abouti aux soulèvements de janvier 2011 et les intégrer ne peut réellement aboutir à des recommandations pertinentes.

JEMAA OUSSAIFI - 18-05-2017 19:54

Merci Selma pour cet article où tu as mis le doigt sur les origines du mal. Souhaitons aboutir à tes conclusions. Par ailleurs ton article me laisse penser à l'effet de l'insécurité du paysan tunisien dans ses activités, qu'il soit agriculteur ou éleveur et l'effet de cette insécurité sur sa vie de tous les jours. A noter que la chute de la production des paysans tunisiens a un effet direct sur l'offre en matière d'alimentation du marché en produits agricoles. Ces paysans connaissent une insécurité parfois totale, au point où il y a des régions qui sont devenues désertes suite à la fuite de leurs habitants pour échapper à des menaces de toute sorte. Nul ne doute de l'importance de l'effet direct de l'offre de produits agricoles sur le marché local et son influence directe sur le coût des composantes du fameux "couffin du citoyen" d'une part, et de la demande d'une catégorie d'emploi d'autre part. Ce phénomène nécessite, à mon sens, une certaine vigilance de la part du gouvernement pour le réduire ou le limiter au moins . Vu son importance, ce problème d'insécurité doit être étudié pour le mettre en relief aussi bien sur le plan économique que social afin d'orienter les décideurs vers une action sérieuse dans le sens de résoudre quelques aspects des problèmes urgents que connait la Tunisie actuelle, ce qui peut permettre de résoudre, à moindre coût, un grand problème que vie tout une classe sociale. Pardon, à moindre coût mais avec plus de sérieux. Si la sécurité est importante pour inciter les investisseurs, l'insécurité est devenu un frein à la production de tout une classe sociale aussi importante et nécessiteuse.

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