Recherche appliquée vs recherche fondamentale; En quête de plus d’interaction
Aujourd'hui, plus que jamais, la science et ses applications sont indispensables au développement des sociétés. Le gouvernement ainsi que le secteur privé devraient, par des programmes d'éducation et de recherche adéquats, soutenir d’une manière très active la mise en place d'une capacité scientifique et technologique appropriée socle indispensable d'un développement économique, social et culturel. La promotion de la recherche scientifique est essentielle si l'on veut réaliser un développement et un progrès endogènes.
On peut définir la recherche scientifique comme une activité rationnelle dont les résultats contribuent à la production et au développement de la connaissance. Elle consiste en une démarche organisée et rigoureuse, pour étudier et comprendre. Elle comporte des moments de création d’où surgit la formulation d’approches inédites, qui vont permettre de renouveler les perspectives et les méthodologies, et de procéder à des innovations. La recherche nécessite par ailleurs la communication et la diffusion de ses résultats.Lors d'une participation à un colloque ou à une conférence avec des spécialistes, jaillissent souvent des idées originales. Plus les idées résistent à la critique, plus elles sont robustes.
La recherche scientifique peut être abordée sous plusieurs aspects (Fig. 1). Par rapport à son utilisation on distingue deux types de recherche ; la recherche fondamentale, et la recherche appliquée. Souvent associée aux sciences dites « dures », la recherche fondamentale (qui domine encore le paysage de recherche tunisien), pratiquée dans le monde universitaire et donc financée sur des fonds publics, est définie par le fait qu’elle porte sur des théories ou des principes de base et vise à accroître les connaissances d’un domaine, sans se soucier de ses applications pratiques. La recherche appliquée, pratiquée essentiellement dans le monde industriel, quant à elle, présente dès l’élaboration de la problématique une dimension applicative. Elle impose de s’inscrire dans une finalité définie à l’avance tout en conservant un degré de liberté suffisant pour préserver une attitude créative.En matière d’industrie, la recherche appliquée se distingue par le fait que le chercheur industriel cherche à explorer de nouvelles possibilités d’applications. Il s’agit d’utiliser ses compétences pour concevoir un nouveau produit et le rendre industrialisable, c’est-à-dire productible en grande quantité. Il est évident que la recherche appliquée se base sur la recherche fondamentale, et que la recherche fondamentale ne peut se développer qu’en s’appuyant sur les progrès de la recherche appliquée. Il s’agit donc de deux formes de recherche différentes, néanmoins, elles peuvent, dans la mesure de possible, être pratiquées par les mêmes chercheurs.
Fig. 1 : Différents aspects de recherche
En 2013, l’UNESCO a lancé une enquête internationale sur l’innovation menée par les entreprises manufacturières, dans l’objectif d’évaluer le degré d’interaction de celles-ci avec des établissements publiques de recherche, et cedans le contexte de la conception de nouveaux produits. A l’issu de l’enquête, il a été révélé que la majorité des entreprises n’interagissaient que très peu avec des instituts publiques de recherche.En Tunisie, également, on constate une méfiance tant de la part des chercheurs universitaires vis-à-vis du monde industriel, accusé d’être impatients et dominé par l’intérêt immédiat, que de la part du monde industriel vis-à-vis des chercheurs du monde universitaire, souvent considérés comme des théoriciens déconnectés de la réalité du terrain.
Pour quelle raison donc la plupart des entreprises accordent-elles si peu d’importance à la collaboration avec les établissements universitaires ? Une explication intuitive pour le manque de collaboration en Tunisie comme ailleurs: la différence de cultures de travail. Les intérêts des chercheurs académiques et des partenaires industriels ne convergent pas toujours. Les industriels ne souhaitent pas nécessairement publier, afin de ne pas donner la chance à leurs concurrents de tirer profit de leur investissement, alors que la carrière des chercheurs universitaires dépend de la publication de leurs contributions scientifiques. Aussi, les universitaires ne voient pas leur rémunération augmenter lorsqu’ils obtiennent un brevet ou nouveau prototype. En effet, les universitaires étant évalués uniquement sur la base de leurs états de service et de leurs publications.Il est impératif alors de penser à des mesures incitant les universitaires à collaborer avec le secteur privé, alors que le renforcement des liens entre les universités et l’industrie devrait constituer un objectif majeur de l’état. Etant donnée cette situation, il est important pour les services de valorisation de pouvoir orienter leurs moyens,coté entreprises afin de faire connaître l'offre de services disponibles dans les laboratoires de recherche mais également de mieux prévoir les attentes de ces entreprises. La coopération université entreprise est désormais une véritable nécessité aussi bien au niveau formation qu’au niveau recherche scientifique. Par le passé si proche, cette relation se manifestait notamment dans, la professionnalisation de certaines formations universitaires, dans la recherche à travers la mise en place de pépinières d'entreprises et de technopôles, et dans la formation continue des personnels des entreprises par les universités. Malgré tout cet effort, le partenariat université entreprise est loin d’avoir l’ampleur qu’il devrait avoir.
Dans ce contexte, certaines universités commencent à devenir des pôles d’innovation, dans lesquels de petites start-up créées par des jeunes chercheursapportent de la valeur ajoutée, généralement, en s’associant à un partenaire industriel confirmé et déjà établi pour commercialiser leurs produits. Ces universités ont pu ainsi faire émerger des écosystèmes locaux d’innovation. Ainsi, un nombre croissant d’établissements a créé des infrastructures internes pour promouvoir les start-up issues de la recherche à l’instar des bureaux de transfert de technologies (BUTT), ainsi que des incubateurs et les Centre de Carrières et de Certification des Compétences (4C) conçus pour encourager et soutenir les jeunes entreprises et leurs innovations technologiques. Cette relation peut être bénéfique aussi bien pour l’entreprise que pour l’université. Elle favorisela création d’emplois et resserre les liens avec l’industrie.
Il y a quelques années, un nouveau dispositif (MOBIDOC) a été entrepris par l’état. Il consistait à réaliser des travaux de recherche sur des problématiques émanant d’organismes socioéconomiques. A cet effet, des allocations au profit de doctorants ont été accordées en deux sessions 2012 et 2013: plus de 100sujets de thèses de doctorant sélectionnées et subventionnées dans le cadre partenarial. Cette première expérience a montré que, pour peu que ses besoins soient bien pris en compte et qu’un soutien approprié lui soit apporté, l’entreprise tunisienne s’engage dans la dynamique de la recherche et développement partenarial.
D’autre part, et dans le but de consolider la coopération université entreprise en matière de recherche appliquée, le Ministère de l’Enseignement Supérieur a lancé en 2016,un appel à propositions pour le financement de Projets de Recherche Fédérés (PRF), ce sont des projets de recherche pluridisciplinaires devant être réalisés par des réseaux d’excellence constituésde structures de recherche avec la participation de partenaires socio-économiques dans le but d’apporter des solutions fonctionnelles à des problématiques de recherche en rapport avec les priorités nationales, comme la lutte contre le terrorisme.
La recherche-développement industrielle est désormais une arme stratégique pour les entreprises. Car la clé de la compétitivité, c’est l’innovation. La Tunisie dispose d’un fort potentiel dans ce domaine : laboratoires, universités, centres techniques. Mais le monde de la recherche et celui de l’industrie vivent encore trop souvent séparés. Pour les rapprocher, l’état aengagé une politique dynamique, mais il reste beaucoup à faire.Il faut que la recherche débouche sur des développements, et les développements sur des innovations, des produits et des marchés,et, en fin de compte, sur de la croissance économique et des emplois. Il faut, pour cela, développer encore plus les collaborations entre les entreprises et les organismes de recherche.
Il faut penser d’avantage à des stratégies et des mécanismes pour faciliter le lien avec les industriels dans l’objectif rendre plus faciles et rapides les transferts de technologie de la recherche publique vers le privé, etdonner une meilleure visibilité à la recherche académique pour les industriels.Concernant notre pays, les domaines d’études industrielles sont très vastes : énergie renouvelable, agriculture, dessellement de l’eau de mer, nouvelles technologies de l’information etc.Il est évident qu’en subventionnant la recherche universitaire, les entreprises tirent profit de la vaste expertise et de l’environnement collaboratif au sein des départements universitaires. Côté gouvernement, l’état peut intervenir, par exemple, pour accorder des crédits incitatifs aux firmes innovantes, ou aussi pour accorder des aides fiscales non ciblées qui subventionnent la recherche. D’autre part, le dispositif MOBIDOC s’avère très prometteur. A l’instar des doctorants, il pourrait être élargi aux chercheurs académiques confirmés. Cette forme de coopération peut avoir des retombés positifs à plus d’un niveau : 1) les professeurs universitaires s’inviteront aux entreprises pour animer des laboratoires au sein de l’entreprise et apporter des moyens et des compétences pour accroître leur compétitivité 2) l’amélioration du rendement par la recherche ne peut que consolider la performance des ingénieurs et de techniciens ce qui permet d’accroitre leur nombre, 3) le nombre d’étudiant inscrits en troisième cycle en recherche fondamentale qui, actuellement, est un nombre très élevé (plus de 11000 doctorants toutes spécialités confondues !), et de plus accompagné d’une lourde charge de bourses et de dépenses, pourra diminuer progressivement suite à leur recrutement par l’industrie, car l’université est presque saturée, sachant aussi que le nombre d’étudiants est en train de diminuer.
Mohamed Ali Mahjoub
Maître de conférences à l’Eniso
Ecole Nationale d’Ingénieurs de Sousse