Mohamed Kasdallah: À quand une diplomatie militaire au service d'une stratégie globale?
La question mérite d'être posée d'autant plus qu'on entend parler souvent de diplomatie politique, de diplomatie économique mais jamais de diplomatie militaire.Ce terme n'est pas couramment utilisé dans l'institution militaire. Me référant au corpus de texte en usage au moins dans l'Armée française, je décèle une confusion des termes, «diplomatie militaire» et «diplomatie de défense» ou encore «diplomatie préventive» pour en démêler les ficelles, les éclaircissements ci-après s'imposent:
Défense et diplomatie entretiennent par essence des rapports étroits et complexes.Au regard de la diplomatie, la défense constitue une voie complémentaire mais essentielle dans les actions internationales. L'une et l'autre constituent une manière de poursuivre des fins identiques à travers des moyens, soit pacifique soit belliqueux, pour paraphraser les constatations faites depuis longtemps par Clausewitz. Défense et diplomatie sont semblablement soumises au Politique ainsi qu'aux stratégies, par définition globale, que celui-ci définit afin de promouvoir les intérêts d'un État sur la scène internationale.
Diplomatie militaire ou diplomatie de défense?
La formule de «diplomatie de défense» est relativement récente, elle est créée pour une meilleure synergie du couple diplomatie-défense non seulement pour défendre le pays mais aussi pour contribuer à prévenir et contenir les crises entre pays. Elle reflète un vaste champ d’activité couvert conjointement par le Ministère des affaires étrangères et le Ministère de défense nationale au profit de l’activité internationale d’un pays.Ce concept est destiné, à mon sens, à fournir aux décideurs militaires et politiques, particulièrement chez les Superpuissances, des éléments afin qu'ils puissent entreprendre les diverses activités diplomatico-militaires propres à dissiper l'hostilité, construire et entretenir la confiance entre pays , ce qui contribue de manière significative à prévenir et résoudre les conflits.
Trois "tâches militaires" sont considérées comme relevant de la «diplomatie de défense»: la maîtrise des armements, la coopération militaire (dont le partenariat pour la paix :PPP) et la recherche et communication.
Quant à la diplomatie militaire, elle recouvre bien d'autres modalités d'emploi non belliqueux des forces armées à des fins politiques: assistance, formation, visites et escales, exercices et manœuvres, partenariat et alliances,etc.
Qu'en est- il en Tunisie?
En l'absence d'un concept explicitement défini, on peut, en une première analyse, considérer la «diplomatie militaire» à la tunisienne comme celle recouvrant les activités de l'Attaché militaire dans le pays d’accréditation. Pour rappel,la mission de ce dernier consiste à soutenir la politique de défense nationale auprès des autorités du pays hôte,à conseiller et être expert auprès du chef de la mission diplomatique en matière de sécurité et de défense ainsi que promouvoir et animer les relations militaires bilatérales.
S'agissant d'un concept emprunté aux pays développés, il est légitime de s'interroger sur son adéquation avec la conception et la pratique tunisienne. Ne convient-il pas d'abord de s'accorder sur son contenu?
On ne peut donc s'en tenir à cette approximation initiale de notre «diplomatie militaire» Celle- ci devrait sortir des sentiers battus traditionnels et connaître les mutations nécessaires orientées vers la mise en perspective de l'instrument de défense avec l'environnement stratégique. En clair , notre "diplomatie militaire " doit être considérée en tant que grande fonction opérationnelle, ce qui inclut d'autres missions telles que: la veille stratégique (postes permanents à l'étranger, antennes de renseignements militaires, missions ponctuelles), participation aux institutions internationales de sécurité, coopération militaire intra-maghrébine, partenariat Nord-Sud et surtout Sud-Sud (enseignements de cadres , observations d'activités militaires sous formes d'invitation à des manœuvres , transfert de technologie et de savoir - faire, etc.).
Cette conception de la «diplomatie militaire» pourrait déboucher sur la création d'un partenariat pour la paix semblable à celle en Europe autour du noyau Otanien.Elle permettrait aussi de jouer un pouvoir d'attraction exercé comme un creuset d'une portée considérable rapprochant non seulement les armées mais aussi les modes de penser des cadres.
Il y a là matière à réflexion en profondeur loin des slogans propres à chaque époque sur la fonction qu’exerce l'armée et plus largement le MDN au service des intérêts du pays face aux réseaux mafieux, à l'économie noire et au terrorisme qui ignorent tous les frontières.
Vers une meilleure symbiose entre diplomatie et défense
La diplomatie tout comme la défense étant devenues plus globales par la diversification de leurs centres d'intérêt, de leurs points d'application et de leurs moyens mis en œuvre, le tandem «soldat / diplomate» s'est davantage affirmé : le chef militaire doit plus encore que par le passé faire preuve de talents diplomatiques et le diplomate doit avoir un minimum de culture militaire.Je peux leur ajouter le Sécuritaire pour former un triangle qui pourrait être un des garants de progrès en profondeur de l'État de droit .Ainsi se développe une culture diplomatique au sein du ministère de la Défense et une culture politico- militaire chez les diplomates .Cela suppose, bien entendu, que les deux institutions procèdent à des réformes indispensables définies après concertations étroites sur le sujet.
Au sein de l'institution militaire, quelques orientations pourraient être proposées:
1 - la formation de tous les officiers aux relations internationales doit être incluse au plus tôt comme composante essentielle de la formation militaire générale. Cela passe bien sûr par des formations linguistiques (autres que le français et l'anglais déjà intégrés).
2 - La création d'une nouvelle branche spéciale pour le «corps des attachés militaires» et dont la fonction principale serait de conseiller le MDN dans ses choix liés au contexte international, y compris sous l'angle stratégique et prospectif .Elle serait partie prenante dans les dialogues stratégiques de plus en plus nombreux qui se développent avec divers partenaires dans le monde.
3 - Affecter les plus brillants aux postes d'ambassadeur afin de créer cette harmonie et symbiose avec les diplomates.Il s'agit avant tout de la diplomatie de carrière et non des fonctions conférées à titre temporaire ou transitoire pour des services rendus ou autres considérations.
4 - Se faire entourer d'un organe de suivi, cadre de rencontre trimestriel des hauts responsables civils et militaires pour aborder toutes les questions liées aux activités internationales afin de mieux harmoniser leur action.
Mohamed Kasdallah
Colonel(r)
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En scrutant votre article, je ne peux en aucun cas vous contredire et ce rien que parceque les idées restent innovatrices et progressistes que je le veuilles ou pas. Peut-être, aurai-je l'audace de formuler une ou deux objections et qui, loin de dévaloriser vos suggestions, les rehaussent. 1- la Tunisie n'est pas une grande puissance. Ses aspirations, sa politique et sa " diplomatie toutes options confondues" reste timides pour ne pas dire négligeables. Pour mon humble avis, traiter d'une diplomatie militaire reste l'apanage du cercle des grands. 2- Le MDN, à ma connaissance, à exhaussé plus d'une de vos revendications. 3- Je tiens à préciser, que vos souhaits sont légitimes et précurseurs. Toutefois, j'attire votre attention sur la nécessité d'adapter les idées à l'environnement, à la conjoncture et bref, à la situation du moment et du lieux. Tout est relatif, rien n'est absolu.....!!!!! Avec mes salutations les meilleures, Amor
Bonnes initiatives concernant la formation et la valorisation intellectuelle des tunisiens les plus spécialisés en matière de défense du territoire national. La recherche, l'innovation et leurs protections par des spécialistes, étanches à toute intrusion d'un quelconque virus est indispensable. La bonne organisation, la discipline, les bons moyens matériels et humains ainsi que le sincère amour du drapeau national chez les porteurs de l’uniforme de la défense nationale peuvent apporter de belles surprises aux divers secteurs de la recherche scientifique et humaine. La sécurité commence par la prévention qui s’appuie sur la qualité intellectuelle des cadres et de leurs capacités de projeter dans le temps et dans l’espace les différents scénarios de défense. La détection, qui constitue le noyau central de la sécurité, se base sur la spécialisation du personnel qualifié et sur son intelligence, son esprit d’analyse et de synthétisation, ainsi que sur les différents équipements de pointe à mettre à la disposition du personnel désigné et déontologiquement le plus le adapté. La lutte, qui constitue le niveau terminal de la défense, est la plus couteuse en moyens financiers et humains et celle qui nécessite une véritable diplomatie pour atténuer les pertes et sauvegarder les acquis, le territoire et les divers capitaux nationaux.
C'est une idée qui se respecte, il faut dire que la diplomatie est récente dans le monde, sa pratique ne s'est généralisée qu'au vingtième siècle et encore. Pas plus loin que ça, il y a à peu près 50 ans et seulement pour adoucir l'appellation de Ministère de la Guerre, plusieurs États l'ont remplacée par Ministère de Défense. Mais avant tout, n'oublions pas que la diplomatie est une science et nécessite plusieurs connaissances de droit international et qu'un militaire non outillé ne peut pas exercer la diplomatie. Il y a suffisamment de savoirs militaires à piocher et à apprendre pour les personnels militaires et toutes les missions effectuées, qui ressemblent à des tâches diplomatiques sont avant tout des tâches militaires réglementées par les ministères de Défense. Revenons au terme Diplomatie et voyons sa définition: ...c'est une branche de la science politique qui concerne les relations internationales. Action et manière de représenter son pays auprès d'une nation étrangère et dans les négociations internationales. Je pense que la concrétisation de cette idée "pacifiste" de Diplomatie militaire ou de Défense, ne serait pas possible. Car de part leur raison d'être, toutes les armées doivent se préparer à la guerre, au moins pour se défendre... Faire de la diplomatie est réservé aux généraux chanceux, choisis par leur président, comme le Général tunisien , feu Abdelhamid Echeikh ou le Général American Colin Luther Powell , tous les deux nommés Ministres des affaires étrangères au sein de leur gouvernement et ont dû changer et oublier leur esprit militaire et tout effacer pour devenir diplomate. Et en général, parmi les meilleurs officiers Généraux qui ont marqué l'histoire rares sont ceux sont devenus des diplomates, certains sont devenus chefs d'État.