Emna Allani: Tunisienne de sang et de cœur, Suissesse d’élection
Elle dit «nonante» plutôt que «quatre-vingt-dix» et vous offre du chocolat zurichois en vous accueillant chez elle. Emna Allani a la Suisse collée à la peau. Partie en 1989 rejoindre son fiancé à Lausanne, où elle a brillamment réussi ses études à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), la mathématicienne spécialiste en actuariat vit aujourd’hui entre Tunis et Lausanne. Ici et là, elle exerce dans les deux pays des activités de consulting et d’outsourcing. Plus encore, elle œuvre sans relâche, en tant que présidente de la Chambre de commerce et d’industrie tuniso-suisse, au rayonnement de la Tunisie en Suisse,
et inversement.
Tunisienne de sang et de cœur, suisse d’élection», Emna Allani vit au rythme de ses nombreux allers-retours entre les deux pays. Aux origines de ce choix, son mari, qui préparait un doctorat à l’EPFL lorsqu’elle passait encore le bac. Elle le rejoint en 1990 et s’inscrit en prépa scientifique au sein de la même école. L’année de prépa fut éprouvante, car il fallait s’adapter à un environnement étranger et réussir les rudes épreuves du concours d’entrée à l’EPFL. La jeune étudiante a mis son premier enfant au monde. «J’étais connue comme étant “l’étudiante qui a un bébé”, sourit-elle. Lorsque je devais passer mes soirées à étudier dans la salle d’informatique, je mettais mon bébé dans un sac de couchage... en veillant tout de même à ce qu’il ne manque de rien!».
La tâche n’a toutefois pas été si difficile. «Avec l’aide de mes parents, et de mon mari qui venaient souvent me rendre visite, j’ai pu sereinement préparer mes examens», nous confie-t-elle. La jeune maman réussit en effet brillamment son concours, et ses profs, remarquant son talent et son assiduité, lui conseillent vivement de suivre un cursus en mathématiques appliquées. Nouvelle discipline prisée par le marché de l’emploi, les mathématiques appliquées lui ont semblé être un choix d’études judicieux. En dernière année à l’EPFL, l’élève ingénieure fait le choix de se spécialiser dans le secteur des assurances pour s’offrir une place dans le monde de l’actuariat, de la recherche opérationnelle et des statistiques.
Les années chez Assura
«En obtenant en 2002 le poste de mathématicienne au département des statistiques et de l’actuariat au sein de la compagnie d’assurance Assura, j’ai enfin commencé à cueillir les premiers fruits de mon dur labeur !», se réjouit-elle. Conduite d’équipes, engagement de nouveaux collaborateurs, gestion opérationnelle du service des statistiques, études et analyses d’aide à la décision pour la direction générale...La jeune femme cumule les responsabilités et fait ses classes. En 2006, le groupe Assura commence à se développer considérablement – il figure actuellement parmi
les quatre plus grands assureurs suisses - et s’engage dans des projets de fusion et d’acquisition avec d’autres caisses. Un processus de développement qui nécessitait de «consolider les bases de données et les informations des différentes plateformes, suivre l’évolution des technologies médicales et renforcer le traitement de données», détaille Emna Allani. C’est elle qui fut chargée de créer un système de reporting global et de monter à cette fin une équipe dédiée de business intelligence. Problème: trois ingénieurs venaient de quitter la boîte au profit de la concurrence...
Cap sur Tunis
Le chômage endémique des jeunes diplômés en Tunisie lui met alors la puce à l’oreille. Pourquoi ne pas profiter du vivier de compétences tunisien, qui plus est en mal de valorisation? Emna Allani fait part de son idée de création en Tunisie d’une équipe d’informaticiens au P.D.G. et au directeur financier d’Assura. «Le challenge était d’élaborer un business plan précis et d’attirer l’attention de la direction sur les avantages de la Tunisie, notamment en matière de coût du travail, largement inférieur à celui, exorbitant, de la Suisse», explique-t-elle.
Défi relevé. En 2009, une filiale d’Assura est créée à Tunis sous la dénomination de Tadis. Mais trois ans plus tard, suite à un changement de législation interdisant la délocalisation des activités nécessitant l’accès à des données privées, la cellule statistique est dissoute. «Cela ne m’a pas empêchée de rester en Tunisie!, s’exclame- t-elle. Contribuer, même modestement, à la dynamisation du tissu économique tunisien constituait toujours un défi pour moi»
Grâce à la renommée qu’elle a pu acquérir dans le domaine de l’informatique, elle crée Viaxom, société de conseil et de gestion à distance d’opérations d’assurance pour le compte d’organismes français et suisses. L’entreprise se spécialise également dans les analyses statistiques et l’évaluation de résultats et des démarches qualité pour le compte d’agences immobilières ou de sociétés de transport. Les missions fusent, et les clients abondent. Elle en compte actuellement une trentaine, parmi lesquels des géants européens, dont l’ingénieure préfère toutefois taire les noms.
Création de la Chambre de commerce tuniso-suisse
En 2011, le nouveau souffle politique fait entrevoir à tous une possibilité de redynamisation de la vie économique. Enthousiasmé, l’ambassadeur suisse de l’époque, Pierre Combernous, décide de contacter les sociétés suisses basées en Tunisie afin de créer une structure permettant de les mettre en réseau. Alors patronne de la société Tadis, Emna Allani songe, de concert avec divers dirigeants d’entreprises suisses établies en Tunisie (parmi lesquelles BOBST, Nestlé, SGS, ABB, etc.), à créer une chambre de commerce et d’industrie tuniso-suisse. «L’initiative a été impulsée par le besoin exprimé par les hommes d’affaires suisses désirant lancer des projets en Tunisie de mutualiser les expériences, détaille Mme Allani. Dans cette optique, nous avons voulu aider les nouveaux arrivants à tirer profit des expériences de leurs devanciers.» Depuis, la Chambre de commerce qu’elle préside fourmille de propositions et de multiples forums,
workshops et séminaires aussi bien en Suisse qu’en Tunisie. Appuyée par l’ambassadrice Rita Adams, elle s’emploie à faire valoir à la fois le potentiel de développement tunisien et les opportunités offertes par la sphère économique suisse.
Dans ce contexte de renforcement des relations entre la Tunisie et la Suisse, Emna Allani ne se voit pas vivre exclusivement dans l’un des deux pays. «S’ils sont établis en Suisse, mes enfants doivent être encouragés à venir souvent en Tunisie et s’imprégner de leur culture d’origine !, affirme- t-elle. Et puis, entre le pays d’accueil où j’ai appris à devenir une femme et ma terre d’ascendance, comment choisir ?» En effet, équation difficile à résoudre
Néjiba Belkadi