Monji Ben Raies: 2025, et si la TUNISIE… !
Il est un proverbe chinois qui dit : « Ne crains pas d'avancer lentement ; crains seulement de t’arrêter ».
À quoi ressemblerait la Tunisie en 2025, si les réformes pertinentes étaient menées sans faiblir ?
La démocratie n’inspire plus confiance et voit son intégrité battue en brèche. Qu’il soit politique ou économique, le système est en crise et semble ne plus satisfaire ceux qui s’en réclament ou le faisaient jusque-là. Partout dans le monde, un vent de suspicion souffle, qui pourrait, fort bien, emporter l’ensemble de l’institution étatique républicaine et ses fondements.
Au cours des campagnes électorales, de 2014 et actuelle, aucun candidat n’a abordé la question des répercussions possibles et souhaitables de la technologie sur notre société. Pourtant, si tous exploitent amplement les réseaux sociaux ou les applications vidéo, voire des technologies plus innovantes, aucun ne s’en sert pour enrichir la communication avec leur électorat. Cependant, l’importance critique du digital pour l’avenir de notre pays constitue un message qui mérite d’être transmis plus clairement et plus fortement encore à toutes les catégories de la population. En Tunisie, dès maintenant, les candidats potentiels aux prochaines élections bâtissent des plans sur la comète et théorisent sur les modifications politiques nécessaires pour relancer la croissance de notre économie. Pourtant aucun ne soulève réellement sa dimension technologique.
Nous nous sommes inscrits depuis un certain nombre d’années (début des années 1980) dans le modèle économique libéral sans l’avoir véritablement choisi et depuis lors, nous en subissons les dysfonctionnements et les inconvénients cumulatifs. Les symptômes de l’obsolescence du Modèle Économique fondé sur la croissance sont tellement évidents, dans l’ensemble des régions du monde par leurs conséquences, qu’ils nous mènent à la nécessité de changer totalement de système économique au niveau mondial. Alors que les crises sociales et économiques s’intensifient, ce modèle est de plus en plus remis en cause ayant atteint ses limites et ne pouvant plus évoluer positivement pour s’adapter. Ce modèle basé sur une compétitivité indexée sur un coût du travail, sans cesse revu à la baisse, ne peut en effet pas laisser indemne les sociétés, notamment celles en construction et en développement. Il s’agit d’un modèle sur-consommateur de ressources dans lequel, le coût des matières premières et de l’énergie ne peut être compensé que par un abaissement des coûts du travail ou par un choix de délocalisation, vers des régions du monde où l’humain a moins de considération que la performance. Un modèle où le coût du travail est toujours revu à la baisse et qui fait appel à une main d’oeuvre peu qualifiée non pérenne et bon marché. Il s’ensuit que sous le coup de la baisse du pouvoir d’achat, de la raréfaction des ressources et de la hausse du prix des matières premières et de l’énergie, la compétitivité et la rentabilité des entreprises ne peuvent que diminuer.
D’un point de vue méthodologique, la croissance économique est généralement calculée en "monnaie constante" (hors dévaluation et hors inflation), pour éviter les problèmes dus à l'augmentation des prix, le P.I.B. étant ensuite corrigé après l'augmentation de l'indice des prix. On peut donc faire dire aux statistiques et aux chiffres à peu près tout et n’importe quoi selon l’intention. En effet, une croissance du P.I.B. n'implique pas nécessairement une élévation du niveau de vie. Il n’y a aucune corrélation entre ces valeurs, si elles ne sont pas évaluées en prenant en compte la vitesse de croissance démographique pour l’évaluation du P.I.B. par tête. De plus, n'étant qu'une mesure quantitative de la production de biens et de services, la croissance n'est qu'une des composantes, non suffisante, du développement, laquelle notion est plus abstraite et d’ordre qualitatif. Dans la situation économique d’un pays, la croissance ne tient pas compte du facteur humain, sinon pour le sacrifier comme objet statistique. Ce référentiel n'a été capable ni de réduire la pauvreté, ni de renforcer la cohésion sociale dans notre pays, alors qu’il est la pierre angulaire du modèle que l’on nous impose au niveau tant économique que social. Il est curieux d’ailleurs, qu’un même taux de croissance puisse signifier dans certains cas une réduction ou au contraire un accroissement des inégalités sociales, d’autant que la création de richesses ne profite jamais à tout le monde et qu’une croissance illimitée dans un monde fini n’est que pure illusion. Mais en réalité, c’est le modèle économique pour lequel le monde a opté depuis la seconde guerre mondiale, qui n’est plus fiable et a fait son temps. Il faut accepter ce constat d’échec de l’économie de marché comme modèle et non s’y accrocher à tout prix et le rapiécer pour essayer, sans succès, d’y mettre bon ordre. Il nous faut repenser les bases des économies, créer et développer un nouveau modèle, original, en tirant les leçons de l’expérience écoulée. Bâtir de nouveaux murs, plus solides, en utilisant de nouveaux matériaux, tout en conservant nos valeurs socio-politiques républicaines et libertaires. C’est avec cette ambition que les grandes décisions nécessaires, pourront changer le cours de l’histoire que nous sommes en train d’écrire. Si la devise de la Tunisie est « Liberté, ordre, justice et dignité », elle doit s’appliquer aussi bien au système politique qu’à notre système socio-économique.
Au cours des huit prochaines années, la Tunisie s’engagera dans une période charnière, qu’elle ne saurait aborder sans avoir réduit plusieurs fragilités ou déséquilibres structurels, tant au niveau politique que de son économie. Les enjeux cruciaux pour le pays à l’horizon 2025, les menaces ou opportunités qu’ils recèlent et les principaux leviers qu’ils imposent d’actionner sont à fixer dans l’immédiat.
Si nous voulons être pragmatiques et progressistes dans notre pays, nous devons apprendre à connaître la nature véritable de notre civilisation et de notre histoire et la psychologie de son peuple. Il en ressort que, la démocratie sans un Etat fort et intègre et sans des esprits affranchis et responsables, mène droit vers l’anarchie, l’individualisme, le tribalisme et les sectes absolutistes. En janvier 2011, les prétendus intellectuels tunisiens ont encouragé les tentations les plus rétrogrades du peuple, libéré de toutes les entraves. La civilisation arabo-carthaginoise, qui a été la première en son temps, et qui a connu son âge d'or, est certes secouée aujourd'hui par un réveil politique sans précédent, mais celui-ci ne s’est aucunement accompagné d’une renaissance intellectuelle. Au lieu de cela, nous voyons apparaître, sous l’étiquette d’intellectuel, des individus éternellement inadaptés et qui ont peur de la vie même, au point de préférer vivre sous un régime implacable, ne tolérant aucune opposition réelle au dogme et disant aux gens quoi faire et quoi penser sous peine de mécréance. Ce sont des êtres stupides et dangereux, mais tragiquement nombreux et qui au fond ne pensent qu’à remplir leurs escarcelles d’une revanche froidement préméditée. Nous ne pouvons plus revenir en arrière et refaire notre monde, et en soi, c’est une forme de progression, mais nous devons éviter de trop nous pencher sur notre passé pour ne pas risquer de tomber dans l'oubli.
La nature nous offre des exemples symboliques de la vie. De façon cyclique le feu détruit tout sur son passage, mais une nature encore plus belle que celle d'auparavant renaît des cendres. Lorsque la civilisation perd tous ses repères, il est de notre devoir, comme la nature le fait pour le monde, de nous charger de les rétablir. Nous devons analyser et accepter les signes palpables de notre lâcheté historique commune, depuis la seconde guerre mondiale et endiguer le feu du désespoir, qui ne cesse d'évoluer sur nos institutions et sur notre jeunesse, afin de jouir des nouvelles générations d’idées. Notre rôle est d'éradiquer toutes ces vielles racines soumises et mortuaire, afin de rétablir de nouvelles bases de civilisation, vierges de tout reproche et prête à accepter les lois de notre nature profonde. Jusqu’au jour d’aujourd’hui, nous avons accepté de vivre comme des assistés de la charité des institutions financières internationale sous la condition de nous convertir à un ordre politico-socio-économique préétabli et nous avons tu, ce qui en nous faisait notre particularité et nous sommes inscrits dans ce mouvement de globalisation mondiale.
Nous ne sommes pas sans savoir qu’en théorie, l'État existe avec sa force, ses institutions, ses grands commis, ses rites et ses traditions et même dans ce cas, nous lui trouvons bien des défauts. Pour y remédier, on peut y organiser des contre-pouvoirs, on peut décentraliser, on peut donc faire de la démocratie. Mais réviser la Constitution pour imposer le respect luxueux de toutes les règles démocratiques du droit constitutionnel occidental ou pire un ensemble de règles rétrogrades issues du fond des âges, c'était autoriser les dérives arabes de l'individualisme, de la division sociale et politique, du tribalisme et des clans extrémistes. Le toit de notre édifice économique et social tremble, bien que posé sur les massives colonnes du temple dédié au modèle d’organisation libéral. Mais il suffit seulement d'un petit souffle, venu de l’est ou de l’ouest, pour que les roseaux qui soutiennent notre jeune Etat soient secoués et plient tant il est vulnérable au jeu des influences. Quand nous voyons des sociologues de tous horizons venir, chez nous, faire l’apologie de tout ce qui est à l'origine de notre affaiblissement, sous le prétexte qu'il faudrait nous occidentaliser, alors nous devons nous demander si, en agissant de la sorte, l'on ne veut pas maintenir notre décadence à son plus haut niveau, nous empêcher de lever la tête. Il nous faut nous battre pour arracher à notre pensée arabe et africaine, cette volonté d'absolu et cette part de rêve et la rendre opérante en politique. Tous parlent de différences et pourtant ils veulent fabriquer des jeunes tunisiens qui ressembleront à tous les jeunes du tiers- monde comme des clones, par un mécanisme de formatage socio-éducatif institutionnalisé. Or, à l'intérieur du monde en général et du monde arabe en particulier, un jeune tunisien, a une identité propre originale, qui diffère de toutes les autres en dépit de toute tentative de globalisation, celle d'être TUNISIEN.
La Tunisie à l’horizon 2025 doit élaborer des solutions à des problèmes liés, à la croissance, le pouvoir d’achat, la monnaie, la productivité, la compétitivité, l’avenir du travail, les compétences, le niveau de revenu, la disponibilité du capital, le secteur public, le secteur privé et les mutations sociales et technologiques, qui lui correspondent. Cette thématique correspond aux virages décisifs que notre pays doit parvenir à négocier dans les huit années à venir, pour rester en course et exister dans le monde, qui exigent des choix stratégiques bien marqués et adaptés. L’Etat doit :
- résoudre, arrêter, le décrochage de la prospérité ;
- Rétablir une croissance rationnelle des revenus ;
- Augmenter l’employabilité des jeunes et leur faire bénéficier de l’expérience professionnelle des seniors et faire baisser le chômage ;
- Réformer et rénover l’organisation du travail et la notion d’emploi ;
- Construire les compétences de demain, en phase avec les besoins du pays ;
- Améliorer la compétitivité de tous les secteurs ;
- Relancer la productivité ;
- Renforcer le capital de long terme ;
- Assurer la visibilité mondiale et le ranking du pays en matière de qualité des produits et services ;
- Développer le potentiel technologique et numérique du pays.
Si la Tunisie parvient à surmonter ces défis en y apportant de vraies solutions, un effet de déblocage devrait se produire qui lui permettrait de tirer pleinement parti de ses atouts, pour relancer le moteur de la croissance et de la création d’emplois, en tenant ainsi compte et en capitalisant le potentiel humain. Le chemin du progrès en termes de performance, impose que des réformes justes et équilibrées soient faites. L'Etat doit se moderniser et se remettre en cause, mais il ne peut le faire avec la situation socio-économique présente et surtout financière et monétaire actuelles. Pourquoi ? Parce que la valeur du dinar ne correspond pas ou plus à la réalité économique de la Tunisie, qui a sensiblement évolué par rapport à ses partenaires tant européens que maghrébins, africains et arabes. Notre monnaie est devenue beaucoup trop faible, pour notre économie et pénalise lourdement les termes de nos échanges extérieurs, ce qui donc nous handicape à l'exportation. Beaucoup de problèmes seraient résolus avec une monnaie adaptée à l'économie.
En Tunisie, une erreur très répandue dans la sphère financière, est de croire que notre compétitivité peut se rétablir avec une dévaluation monétaire systématique. Mais il faut savoir, qu’une dévaluation monétaire ne peut servir qu'à dépasser une difficulté concurrentielle passagère, à courts termes, jamais à régler un problème structurel de compétitivité persistant. L’autre erreur très répandue, est de croire en l’équation : baisse des coûts de fabrication = baisse des coûts du travail = baisse des revenus. Pour preuve, certains pays bénéficient de coûts de fabrication inférieurs à la Tunisie avec des salaires supérieurs aux nôtres. La conséquence de ces erreurs du sens commun est, un déficit commercial et une balance des paiements qui sont toujours ‘’dans le rouge’’. Ce déficit commercial pèse forcément sur les parts de marché et sur la production marchande tunisiennes.
L’économie tunisienne – et plus particulièrement la prospérité de la population – a vu sa dynamique s’essouffler depuis plus de 30 ans. Jusqu’au milieu des années 1990, la Tunisie figurait dans le peloton de tête des Etats en développement, en matière de croissance du PIB par habitant. Aujourd’hui elle accuse un retard notable, par rapport à ses voisins de la région certes, mais aussi à la moyenne mondiale. La confiance des Tunisiens s’en ressent fortement, pesant d’autant sur les perspectives de futur. Comment expliquer ce décrochage ? Comment la Tunisie peut-elle renouer avec sa grandeur passée ?
L’expérience de ces six dernières années a montré que les gouvernements de la Tunisie qui se sont succédés jusque-là, étaient dans l'incapacité de réformer et de moderniser notre pays, sans pénaliser durement la population et ses ressources et précariser leurs conditions d'existences. Ils s’accrochent à des notions fictives comme la croissance, qu’ils considèrent comme la panacée universelle du succès économique. Notre réalité démontre malheureusement, que la croissance en question, n'est rendue possible dans le contexte actuel que par l'endettement public chronique. Or le paradoxe c’est que les dettes des Etats sont, par définition, impossibles à rembourser par un effet d’accumulation. En effet, plus de 80% de l’endettement public sont représentés par le service de la dette, c’est-à-dire des intérêts progressifs sur capital. S’ajoute à cela que ce pourcentage ne fait et ne fera qu'augmenter exponentiellement dans les années à venir. La croissance se situe, par conséquent, dans la création monétaire par les banques centrales consécutivement à chaque crédit souscrit, avec ses intérêts. Ainsi, 92% à 96% de la masse monétaire, les monnaies, circulant dans le monde, est issue de la dette publique mondiale. Aussi, si toutes les dettes des Etats étaient remboursées, les économies s'effondreraient immédiatement et les comptes bancaires des ménages se retrouveraient à zéro, du fait que les liquidités viendraient à disparaître. Dans ce système, c'est l'austérité qui empêche la croissance et seul l'investissement peut la relancer. L’économie mondiale doit toujours être en crise pour que le système continue de fonctionner, ce qui est une preuve indéniable que le modèle économique libéral et le système monétaire international sont à bout de souffle et qu’il nous faut absolument en construire un autre pour garantir l’avenir prospère de l’Humanité.
Dans le même ordre d’idée, le système fiscal tunisien est lourd et sa pression étouffe tant les particuliers que les entreprises, et a des répercussions directes négatives sur les emplois, les salaires et le pouvoir d’achat de tous les Tunisiens. Il favorise la fraude et le non-paiement des impôts ainsi que l’évasion monétaire. Il nous faut donc impérativement simplifier et alléger notre fiscalité en imposant différemment et équitablement les sociétés et les particuliers avec des assiettes et des taux rationnels, acceptables, justes et égalitaires. Les entreprises, doivent pouvoir réinvestir une partie de leurs revenus imposés dans la création de services et par conséquent de postes tournés vers l’innovation/les nouvelles technologies, l’augmentation de salaires ou l’amélioration des conditions de travail et de sécurité. L’Etat et les entreprises doivent être au service l’un de l’autre et l’innovation au service de notre croissance. L’entreprise qui considère qu’elle doit protéger ses intérêts et l’Etat qui protège les Tunisiens ne doivent pas être en opposition. Revaloriser les salaires notamment pour prendre en compte les charges fixes qui pèsent le plus sur le quotidien des citoyens. Imposer et récompenser l’exemplarité au sommet de l’Etat et dans la fonction publique. L’Etat-employeur doit prendre ses responsabilités et s’imposer une ligne de conduite.
Les simplifications administratives, fiscales et sociales, combinées aux baisses de prélèvements obligatoires pourraient redonner des marges aux acteurs économiques pour leur permettre d’investir, d’assurer la formation accélérée des salariés, d’être plus agiles, de monter en gamme et, au final, de gagner des parts de marché partout dans le monde. Les réformes du code du travail devront s’attacher à simplifier le droit social existant, retirer des contraintes et faciliter le dialogue avec les salariés. En plus, le gouvernement devra tenir un cap cohérent, lisible et compréhensible par tous pour ramener, petit à petit, la confiance dans le pays et relancer l’investissement nécessaire pour une nouvelle industrialisation tunisienne. Même nos partenaires étrangers loueront nos choix logiques : des salariés formés et motivés, des compétences nombreuses et de haut niveau, une administration exigeante mais aidante, une cohérence d’action dans la durée de la part de notre gouvernement, un environnement réglementaire et législatif drastiquement simplifié, des relations continues avec les élus locaux, qui doivent se traduire par des baisses de la pression fiscale nationale et locale et une meilleure gestion des deniers publics. Au final, nous devrions obtenir la confiance des forces vives nationales, notre image internationale changera profondément, notre croissance devrait repartir. La Tunisie deviendrait en quelques années, l’« eldorado » de l’esprit d’entreprise.
Le dialogue avec les salariés et leur préparation à la transition technologique devraient dissiper peu à peu leurs inquiétudes de se faire dépasser par la technologie. En matière sociale, la discussion se doit d’être d’un bon niveau. Pour cela, il nous faut entreprendre une réforme des instances représentatives des intérêts socio-professionnels et des salariés. Les interlocuteurs doivent être bien formés et plus pertinents quant à leur place sociale et sociétale. L’autre sujet est la participation, le fait de mieux partager la valeur créée, entre les catégories, des salariés aux dirigeants, question qui est un sujet de débats sans fin. Nous devons initier une réforme fiscale sur les plus-values et le renforcement des outils d’intéressements. Transparence, éthique et exemplarité, voilà comment la grande majorité des dirigeants doivent gérer désormais ces sujets, y compris leurs propres revenus.
Aujourd’hui, face à la crise économique qui perdure, les Tunisiens perdent confiance, n’y croient plus, se sentent démunis. Tout cela affecte et impacte négativement notre productivité. Nous devons redéfinir un cadre de confiance qui pourrait donner envie aux Tunisiens d’entreprendre, d’investir et de créer en Tunisie, pour sécuriser leur avenir et celui du pays au lieu de partir à l’étranger. Nous avons des investisseurs potentiels, des idées, un savoir-faire. Le rôle de l’Etat doit être de mettre en relation et de coordonner l’action de tous ces éléments dans les meilleures conditions possibles. Même les démarches administratives doivent être simplifiées, pour faciliter la création d’entreprise pour tous les investisseurs qui le souhaitent et leur permettre de se lancer. Si aujourd’hui la Tunisie veut grandir, elle doit unir toutes les forces vives dont elle dispose. L’investissement, l’engagement et l’effort sont la clé de notre possible rayonnement.
En matière de compétitivité et de productivité, la Tunisie a su entretenir une longue tradition d’icône de l’excellence sur la scène mondiale. Elle a su, dans les années 1990 à 2000, s’adjuger une place appréciable de prototype dans la bataille de la mondialisation, en servant d’exemple de ce qu’il fallait faire. Pourtant, notre pays ne saurait tenir de tels atouts surfaits pour acquis : la compétitivité tunisienne se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins, et est confrontée à de nouveaux défis majeurs, alors que le pays peine, depuis près de 20 ans, à raviver sa dynamique économique. Déficitaire depuis plus d’une décennie, la balance commerciale de la Tunisie tend encore à se détériorer, signe manifeste d’une compétitivité à bout de souffle et en perte de vitesse. Accusant un solde négatif (- 8%) jusqu’en 2016, le commerce extérieur de la Tunisie a vu s’accentuer sa dégradation surtout depuis le déclin significatif du secteur touristique. Outre le déficit des échanges de biens, la balance des services a elle aussi basculé dans le négatif (- 4%), tandis que le nombre des entreprises exportatrices s’est réduit de façon exponentielle. Quant à notre productivité, qui figurait il y a peu parmi les meilleures des pays en développement, elle a également accusé un recul. L’économie tunisienne connait un tassement de ses gains de productivité, qui n’évoluent plus qu’à la baisse. Une analyse par catégories de secteurs montre que cette faiblesse de la compétitivité tunisienne n’a rien de conjoncturel ni de conjecturel. Le label Tunisie ne se vend plus au meilleur prix. Notre économie accuse un retard dans les secteurs clés par rapport à plusieurs de nos voisins, notamment sub-sahariens. Ainsi, l’Afrique Continentale, a largement accru son excédent commercial sur les services à fort contenu cognitif. En comparaison, sur ces secteurs à forte valeur ajoutée, la Tunisie n’a pas su se développer et se vendre à l’international.
Loin d’être une question strictement régionale maghrébine ou africaine, le problème de notre compétitivité s’inscrit dans un cadre plus global. En effet, la mondialisation a certes ouvert de nouveaux marchés aux entreprises tunisiennes et leur a permis d'établir de nouvelles ‘chaines logistiques’’ (Savoir-faire d'application qui vise une gestion opérationnelle sur le terrain de l'enchaînement des tâches, ainsi que le bon fonctionnement du système logistique), bénéficiant de conditions plus avantageuses en matière de coût du travail. Mais, avec la montée en puissance de la Chine, de l’Inde et d’autres économies émergentes, la mondialisation a engendré une nouvelle génération d’économies qui accroissent considérablement la concurrence, et contestent de plus en plus fortement les positionnements des acteurs économiques. Les entreprises issues des économies émergentes représenteront près de la moitié des grandes entreprises en 2025, soit 10 fois plus qu’en 2000.
En parallèle, les économies du monde entier sont exposées à la pression nouvelle qu’exerce le développement rapide de technologies de pointe que sont la robotique avancée et l’intelligence artificielle. L’introduction de robots pilotés par intelligence artificielle devrait nous permettre d'améliorer notre productivité et notre qualité de produits et de travail. Ces technologies devraient permettre aux machines d’effectuer non plus des activités seulement physiques et répétitives, mais aussi d’apprendre et de raisonner. Lorsque l’on considère que le débat public se porte sur l’automation et ses conséquences sur l’avenir du marché de l’emploi, l’essor de ces nouvelles technologies aura une incidence évidente sur la compétitivité. Les entreprises qui parviendront à intégrer efficacement ces technologies seront en mesure d’accroître et d’améliorer leur productivité, d’optimiser leur compétitivité. L’exploitation du potentiel technologique représentera ainsi une source d’avantage compétitif majeure face aux acteurs qui tarderont à en tirer parti.
Face à ces tendances probables, il convient impérativement de préparer au plus tôt l’adaptation de notre société et de notre économie. Il y a d’abord lieu de consolider les composantes de notre compétitivité sur lesquelles nous pouvons agir. Afin d’accéder aux secteurs d’avenir des marchés mondiaux, la Tunisie doit parvenir à renforcer sa position:
* D’abord en matière d’Innovation. Notre capacité à innover (données, connaissance, client, brevets, marques et copyrights) deviendra capitale pour générer valeur ajoutée et emplois, de manière croissante, dans les secteurs porteurs d’avenir, tels que la recherche et la production pharmaceutiques, la finance, les technologies de l'information et de la communication, qui se trouveront de plus en plus dans une logique concurrentielle, un écart se creusant rapidement entre les acteurs les plus rentables et les autres dans ces domaines. Les recherches économiques ont montré que les secteurs à fort contenu cognitif se portent à l’avant-garde des évolutions socio-économiques. Or, en matière de capital d’innovation, nous devons trouver de nouvelles manières d’encourager l’investissement privé, parallèlement aux efforts de financement des pouvoirs publics. Nous devons aussi créer des écosystèmes d’innovation appuyés sur des partenariats établissant des liens plus étroits entre, le secteur privé, les établissements d’enseignement supérieur et de recherche fondamentale, les laboratoires de recherche publics et les sources de financement de l’innovation.
* Ensuite en matière de Productivité. Nous devons trouver les moyens de redynamiser notre productivité. Les approches de ‘’réglementation intelligente’’ se sont révélées de puissants moteurs de productivité dans certains secteurs comme les télécommunications ou le transport routier. Dans ce domaine, il nous faut revoir le cadre législatif et réglementaire de certaines activités, afin de le simplifier et de le moderniser. La technologie et la révolution numérique joueront certainement un rôle fondamental, pour aider notre société à dynamiser sa productivité et sa compétitivité en accélérant la transformation des modèles d’innovation, en fonction des flux de données collectées dans le monde en temps réel. Les plateformes et marché numériques offriront aux entreprises tunisiennes l’opportunité d’élargir leurs marchés à la dimension virtuelle du monde en devenant d’abord visibles et par la suite, en améliorant leur positionnement dans les échelles de compétitivité. Ces plateformes sont une opportunité pour les acteurs économiques de toute taille et de toute origine géographique de se positionner mondialement en développant leurs propres plateformes.
La transformation digitale, ces changements associés à l'application des nouvelles technologies numériques, afin d'améliorer les performances et de renforcer la compétitivité dans une perspective concurrentielle mondiale, doit être intégrée et vécue par tous les tunisiens (particuliers et entreprises ou administrations), non comme une finalité, mais
comme une culture et un mode de vie, un processus de changement continu, conduit par leurs dirigeants et évoluant selon la pression et les lois du marché. C'est une véritable compréhension des enjeux qui permettra à chacun d’exister dans le monde de demain convaincus de l'impératif de leur transformation digitale pour faire face aux bouleversements sociétaux. Les Etats et leurs acteurs socio-économiques qui oublieront d'élaborer leurs stratégies digitales perdront leurs opportunités de croissance. On pense immédiatement aux usages du web, aux réseaux sociaux et aux stratégies commerciales (achats, ventes et distribution) en ligne (consoles hors ligne, réalité augmentée, réalité virtuelle, objets connectés et l'ensemble des usages innovants découlant de la révolution technologique du numérique). Le numérique sera le reflet de la dimension technologique, assisté par le digital s’affirmant comme le miroir des pratiques technologiques des utilisateurs, permettant d'expliquer la dimension de l'usage de ces technologies numériques par les consommateurs.
Négocier de manière optimale le tournant technologique, représente bien plus qu’une opportunité sur le front socio-économique. C’est aussi un impératif pour la Tunisie dans son ensemble, dès lors que nous ambitionnons de restaurer le dynamisme de notre pays et lui assurer une place dans le monde, de permettre à nos entreprises et nos produits de se démarquer dans un contexte de concurrence internationale nettement accrue, ou encore de garantir l’efficience de notre service public aux yeux des citoyens. Au-delà de ces aspects, la maîtrise technologique conditionnera l’amélioration du fonctionnement de nos institutions, tout en contribuant à dynamiser pour l’avenir le marché du travail par la création, entre-autre, de nouveaux métiers.
Les technologies numériques et digitales s’affirment comme des moteurs décisifs pour l’avenir de la Tunisie, en ce qu'elles transformeront radicalement les façons de vivre, de travailler, d’effectuer des transactions, d’administrer et même de gouverner dans une optique démocratique :
Les technologies numériques et digitales créent à la fois de nouvelles opportunités et de la valeur pour les consommateurs. Au-delà des bénéfices évidents induits par le commerce en ligne en matière de choix et de coûts, le digital offre des perspectives prometteuses en termes de qualité, permettant des services plus fiables, plus précis, ou encore d’éducation, avec des opportunités nouvelles d’apprentissage en ligne pouvant venir compléter et consolider les enseignements en présentiel. Enfin, les réseaux sociaux constituent un moyen puissant de construction de liens entre les individus et d’amplifier les initiatives de cohésion sociétale, mais également, pour les citoyens, de faire entendre leur voix.
Le numérique et le digital tendent à modifier la nature et les méthodes de la concurrence économique dans le monde, en faisant prévaloir une logique de vainqueur. Les Etats, qui parviennent à s’affirmer comme avancés sur le plan technologique, surclassent nettement leurs concurrents, aussi bien en termes de croissance qu’en parts de marché ou de bien-être social. Dans le monde, les Etats les plus digitalisés sont nettement plus visibles et croissent plus vite en termes de ranking que leurs homologues les moins avancés dans leurs usages digitaux.
La technologie transforme aussi, fondamentalement, le marché du travail. Des sites professionnels en ligne facilitent et accélèrent la rencontre entre offre et demande de compétences, tandis que les plateformes digitales ont rendu possible de nouvelles formes de travail indépendant, que ce soit à temps plein ou partiel. Nous devrions d’ailleurs mettre en place, dès à présent, une plateforme nationale pour mettre en relation au quotidien les consommateurs avec des fournisseurs de savoir-faire et des banques de métiers et de compétences. Ces opportunités qui convergent avec des aspirations nouvelles quant au travail parmi la jeune génération, semblent appelées à prendre de l’ampleur et à diversifier la nature de l’emploi à l’avenir. Les technologies numériques et digitales vont enfin profondément transformer le secteur public et mener à des évolutions radicales en termes de performance des pouvoirs et services publics. Certes, le changement est déjà à l’oeuvre en Tunisie, dans certains domaines, mais nous pouvons aller bien plus loin dans nos efforts de modernisation, afin de s’assurer par exemple, que la dépense publique soit utilisée au mieux et que la qualité des services perçus par le citoyen se trouve renforcée conformément aux standards et normes. Par ailleurs, les plateformes digitales, comme outils de consolidation de la démocratie, permettent de faciliter les interactions et la communication entre citoyens et administrations et élus, tout en permettant un retour d’information en temps réel.
La Tunisie recèle déjà des atouts nécessaires pour devenir un pays leaders de la technologie sur la scène mondiale. La longue tradition d’innovation dont elle peut se prévaloir s’appuie largement sur les compétences qu’elle sait développer. Pour que la Tunisie puisse concrétiser pleinement son potentiel, il lui faut en premier lieu envisager les technologies et leur impact sous un jour moins pessimiste que celui qui prévaut encore dans le pays. Si les entreprises ont un rôle essentiel à jouer dans l’adoption et le déploiement des technologies existantes, les pouvoirs publics peuvent eux aussi contribuer à favoriser le développement des nouveaux modèles liés au numérique, et plus précisément :
- Réexaminer les cadres législatifs et réglementaires existants, afin d’éliminer les obstacles qui entravent le développement et débarrasser les textes juridiques des règles devenues obsolètes.
- Investir dans le haut et le très haut débit, et dans l’ensemble des infrastructures de circulation des données, essentielles à la concrétisation de la transformation technologique numérique et digitale.
- Promouvoir de manière renforcée le capital-innovation issu du secteur privé, ainsi que les écosystèmes de recherche et développement du secteur public.
- Doter les individus des compétences dont ils ont besoin pour s’épanouir et réussir dans un monde technologique numérique et digital. Or, en Tunisie, c’est encore loin d’être le cas puisque, selon l’OCDE, près de 60 % des Tunisiens sont dépourvus des compétences digitales élémentaires pourtant exigées dans 90% des emplois actuels.
Le numérique et le digital représentent donc les clés pour l’avenir de la Tunisie dans les dix prochaines années. De la capacité de notre pays à réaliser la transition technologique de son économie et de la société, dépendront ses chances, non seulement de renouer avec sa croissance et son dynamisme socio-économique passés, mais aussi de prospérer durablement dans le monde de demain.
En matière de Coûts unitaire du travail, la Tunisie n’est plus en position de force, à une période où il a été contenu, voire réduit, dans certains pays européens avec l’élargissement de l’Union à 25. L’écart de coût de la main-d’oeuvre demeure une source de désavantage compétitif majeure pour les activités très exposées à la concurrence internationale comme le textile, et le phénomène risque de devenir plus pointu dans les années à venir à défaut d’action.
Enfin en matière de Compétences. Notre compétitivité future dépend largement des talents, du savoir-être, du savoir-faire et des compétences de notre population active. Notre système d’éducation est capable de produire une élite professionnelle hautement qualifiée et compétente, si nous faisons les changements qui s’imposent. Toutefois, la Tunisie peine à doter une partie de sa main-d’oeuvre des compétences dont elle a besoin pour prospérer à l’avenir, dans un environnement de travail très largement digitalisé. Avec l’accroissement de l’automation, les interactions homme-machine vont devenir plus intenses et plus complexes. La performance de ces interactions, dont dépendra la productivité, nécessitera des compétences plus pointues, de nouvelles interfaces technologiques, des modèles de collaboration innovants dans certains cas, et un niveau d’investissement supérieur à ce qu’il est, de la part des entreprises comme des individus, pour développer les compétences requises. Flexibilité et adaptabilité deviendront ainsi les pierres d’angle, de l’employabilité future et par là même, de la compétitivité. Aussi une attention particulière devra être portée, à la réforme des institutions éducatives et des méthodes d’enseignement et d’acquisition des compétences, à la formation continue et à l’apprentissage tout au long de la vie professionnelle. Notre marché du travail doit devenir plus fluide et plus malléable, tandis que notre société doit repenser l’accompagnement des transitions professionnelles pour les individus touchés par ces mutations, de même que les filets de sécurité sociaux qu’elle leur offrira.
Les prochaines années seront déterminantes pour redynamiser la compétitivité et la productivité tunisienne. Nous devons veiller à poser au plus tôt les fondations des piliers de notre prospérité à venir. Quel que soit le futur, ce défi représentera sans conteste l’un des enjeux cruciaux de cette décennie. Les jeunes doivent retrouver le goût des métiers techniques et aimer ce qu’ils font. Epanouissement, plaisir du travail bien fait, contacts, tous les métiers vont évoluer. Ils devront se former tout au long de leur vie et doivent être prêts. Il n’y a pas de fatalité au chômage comme à la désertification de nos campagnes par l’exode rural. Les salariés doivent être responsables de leur stratégie de formation. Il faut les accompagner et les inciter à changer, mais ça permet à des gens de quitter des métiers qui leur déplaisent pour d’autres plus épanouissants. La réforme doit permettre l’introduction d’outils de management, d’excellence opérationnelle, de décloisonnement de la fonction publique pour que les choses puissent changer heureusement. Le travail doit retrouver de son intérêt et chacun doit redevenir fier de son métier et avoir le sentiment d’être écouté et pris en compte.
Cette vision de la Tunisie en 2025 est possible. Elle peut même être réelle, si nous acceptons de faire les efforts nécessaires et de dépasser nos postures égoïstes. C’est ce dont nous devons être intimement persuadés comme parties prenantes à la construction de notre avenir. Mais pour cela, il ne faut pas se tromper sur les réformes à mener, ne pas tourner le dos au monde, faire de l’envie d’entreprendre le moteur de nos politiques économiques, simplifier et baisser les prélèvements obligatoires, mettre en oeuvre un management moderne tant dans le secteur privé que dans la sphère publique, pour la motivation et l'épanouissement de tous au travail. Nous pouvons le faire. J’en suis persuadé !
Monji Ben Raies
Universitaire,
Enseignant et chercheur en droit public et sciences politiques,
Université de Tunis-El Manar,
Faculté de Droit et des Sciences politiques de Tunis.
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