Du fond de leur prison italienne : les témoignages de Ridha, Maher et Hichem
Appelons-les ainsi! Respect de la vie privée oblige, leur véritable identité est préservée. Trois jeunes détenus tunisiens rencontrés début mars dernier à la prison de Ribibbia à Rome, en présence d’un conseiller consulaire de l’ambassade, Mohamed Ali Mahjoub, ont volontairement accepté de se confier à Leaders. D’autres ont décliné notre invitation et on comprend leurs raisons. Un jeune étudiant tunisien, issu de la deuxième génération, Marwan Hammami, a accepté de nous servir d’interprète avec les autorités italiennes et de «médiateur culturel»Du fond de leur détresse, écorchés vifs, portant sur le visage les stigmates de leurs souffrances, ceux que nous avons rencontrés nous interpellent
Ridha: Je ne veux plus revenir ici
Juste 24 ans. Originaire de Kabaria, marié à une Italienne et père de deux filles. Condamné au total à 10 ans et 4 mois de réclusion criminelle dans différentes affaires : 3 ans et 4 mois pour vol et 7 ans pour trafic de drogue.
J’avais 16 ans alors en 2009, lorsque que j’ai succombé à la tentation de partir clandestinement en Italie. Issu d’une famille très pauvre, renvoyé de l’école primaire, je n’avais d’autre espoir pour m’en tirer que d’aller en Europe. Je ne peux pas vous l’expliquer: c’était plus fort que moi. Evidemment, avec le recul et l’expérience, aujourd’hui je ne l’aurais jamais fait. Je n’en avais guère mesuré les conséquences et encore moins cru combien cela allait être dur...
Parti des côtes libyennes avec des amis de quartier, j’ai été débarqué à Lampedusa. De la Sicile, je suis monté au nord, à Padova, et essayé d’y trouver du travail. Ça a été très difficile. Quelques incartades m’avaient renvoyé dans des centres de correction pour mineurs. Encore très jeune, je devais faire face à tant d’épreuves. Remis en liberté, j’ai dû vivoter en effectuant des petits boulots.
Ayant fait la connaissance d’une Italienne, nous avons commencé à vivre ensemble et eu deux filles, aujourd’hui âgées de 5 et 4 ans. Pour régulariser ma situation, nous avons décidé de nous marier et c’est ainsi que je suis rentré à Tunis en mars 2014. A mon retour à Rome, j’étais arrêté à l’aéroport, ayant été condamné par contumace. Je ne connaissais pas un avocat pouvant assurer ma défense, et n’ai pas pu contacter le Consulat. Du coup, les délais de recours en appel étaient épuisés et me voilà livré à mon sort. Aujourd’hui, je ne réalise jamais assez combien j’ai fauté. Je veux m’en sortir et ne plus jamais revenir ici. J’essaye toujours d’éviter les autres détenus tunisiens, ils ne m’apportent rien d’utile. Ils ont les mêmes problèmes que moi. Autant fréquenter d’autres détenus.
J’ai déjà obtenu un diplôme en menuiserie et je prends actuellement des cours de formation en pizza et en électricité. Cela me sera peut-être utile à ma sortie de prison.
Maher: J’attends la proclamation de mon innocence
28 ans. Originaire de Bizerte, natif de Sfax où ses parents s’étaient établis. Marié à une Italienne. Condamné à 8 ans et deux mois, pour tentative de meurtre. Recours en cassation introduit.
C’était en décembre 2010, quelques jours seulement avant le déclenchement de la révolution. Tous les horizons m’étaient fermés. Je ne savais plus quoi faire. J’avais pourtant un métier, soudeur, un emploi dans une entreprise de renommée, mais j’étais habité par une mal-vie totale. Surpris en état d’ébriété, j’ai écopé 45 jours de prison. Cette courte expérience carcérale en Tunisie m’avait encore plus poussé au ras-le-bol. J’avais des amis à Kerkennah qui pouvaient m’aider à partir pour l’Italie, à un prix d’ami: 800 D seulement. Je n’ai pas hésité à rompre les amarres, du port d’El Attaya...
Commencera alors mon errance depuis Lampedusa, à Catania, puis Rome. Les petits boulots. J’ai fait la connaissance d’une Italienne et nous avons vécu en concubinage. Le hasard aura voulu que je l’épouse ici même, dans cette même salle, quand j’ai été incarcéré dans cette prison en 2015, et je vous dirai pourquoi.
En avril 2014, j’étais rentré en Tunisie pour un mois. Revenu en Italie, tout commençait à s’améliorer pour moi. Jusqu’à cette fatidique journée de mars 2015. J’ai alors eu une altercation avec un compatriote tunisien. Ça s’est mal passé et il m’a accusé d’avoir tenté de le tuer en lui tirant dessus. Au départ, c’était une simple altercation pour laquelle je n’ai été retenu au poste de police que pendant trois jours, puis remis en liberté. Mais, ça s’est par la suite rapidement compliqué et me voilà condamné à 8 ans et deux mois. Clamant sans cesse mon innocence, j’espère voir la vérité éclater au grand jour et obtenir, en cassation, un non-lieu.
Hichem: C’est très dur!
24 ans. Originaire d’Ezzahrouni. Père d’une fillette. Condamné à 2 ans et sept mois.
C’était en 2009. J’avais 15 ans et j’étais exclu de l’école primaire. On est six enfants à souffrir de conditions très pénibles : un père au chômage et une mère s’ingéniant à subvenir à nos besoins en effectuant des travaux de couture pour les voisines. Aîné de la fratrie, je me sentais responsable de faire quelque chose tant pour alléger les charges sur ma mère que de contribuer aux maigres ressources de la famille. L’unique issue à mes yeux, alors, était de partir rejoindre mon oncle établi en Italie. J’y voyais le grand salut ! Une filière d’émigration clandestine s’offrait alors aux jeunes comme moi. Le prix était élevé, mais comme j’ai recruté trois autres candidats pour partir avec moi, j’ai obtenu une remise spéciale et n’ai payé à l’époque que mille dinars.
Pour embarquer, il fallait se rendre en Libye, attendre que le passeur décide du moment opportun. La traversée s’est effectuée par une nuit houleuse, très risquée. Les mots ne suffisent guère à la raconter. Etant mineur, j’ai été placé dans un centre spécialisé jusqu’à l’âge de 18 ans. Puis, je devais me débrouiller. Mon oncle, père de deux enfants, était lui-même dans une situation difficile. Il ne pouvait pas me prendre en charge durablement. Il fallait que je trouve du travail. Ayant des connaissances en tôlerie automobile, je parvenais, en de rares occasions, à trouver un boulot, pour quelque temps seulement. Pendant ce temps, je me suis installé en concubinage avec une Italienne qui m’a donné une fillette, aujourd’hui âgée de 1 an et quelques mois.
Un premier démêlé à la justice m’a coûté une arrestation provisoire en 2014. Remis en liberté, j’ai essayé de m’en sortir, croyant que l’affaire était close. Mais, voilà qu’un beau jour de juillet 2016, alors que je me promenais avec ma concubine et notre bébé en poussette, je me suis fait interpeller et arrêter sur-le-champ. Un jugement était prononcé à mon encontre pour trafic de drogue. Je purge ainsi une peine de 2 ans et 7 mois de prison. Je suis placé dans une cellule à trois détenus, nous étions tous Tunisiens. La prison, c’est atroce.
Avant, j’appelais ma mère pratiquement tous les jours. A présent, j’attends encore la validation de son numéro de téléphone par le consulat pour pouvoir la contacter. C’est très dur pour moi, comme pour elle.
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