Que de chemin parcouru par l’Armée en matière de lutte antiterroriste depuis le début des opérations
Le terrorisme, qui demeure une menace structurelle, ne cesse d’être d’actualité que ce soit par les derniers attentats de Paris, Londres, San Petersburg ou, tout récemment, en Egypte; ou par les discours des politiques pour répondre à l’urgence de la crise après des années de cécité.
Une cécité d’abord politique où face à la menace qui se précise, nos politiques avaient plutôt «les yeux grands fermés». L’on se rappelle de la version farfelue de la pratique du sport par des jeunes dans les maquis de Chaambi pour éliminer le stress et le cholestérol!!. Cécité militaire, ensuite, avec la fameuse et non moins absurde déclaration du Commandant de l’époque selon de laquelle le mont de Chaambi et ses environs sont définitivement nettoyés et sécurisés.
Cette cécité, se soignant difficilement, ne devrait être ni relativisée, ni banalisée encore moins oubliée. Un exemple de cette banalisation vient de nous être donné par un télé-Imam algérien qui réclame tout simplement l’ouverture d’une ambassade pour l’état islamique (Daech) à Alger!!
En fait, la guerre au terrorisme nous a surpris dans une posture désavantageuse pour ne pas dire désastreuse à tout point de vue: La préparation des hommes, la spécificité et la raréfaction des ressources au regard des besoins réels, la complexité des cadres d’engagement, le manque d’expérience sont autant de facteurs défavorables, identifiés par les militaires en charge de l’élaboration de la doctrine pour que soient repensés, précisés, améliorés le cadre d’action et les modalités d’engagement de nos unités militaires.
Les difficultés de l’asymétrie rencontrées par l’Armée
Nos unités militaires devaient faire face à un ennemi hybride, équipé d’une panoplie d’armement russe: fusil d’assaut kalashnikof AK47, RPG, fusil à lunette SVD, mitrailleuse RPD…etc. Cet ennemi, bien qu’il semble être une cible aisée à détruire, est très difficile à trouver aussi bien en zone montagneuse qu’urbaine.
En effet, supprimer un terroriste quand il est localisé parait simple mais le repérer et surtout prévoir ses coups est un autre problème. C’est un phénomène propre à tout conflit asymétrique. Ce type de guerre n’est pas nouveau. La lutte entre David et Goliath était déjà asymétrique. L’un des adversaires, parce qu’il est trop faible pour vaincre selon les règles établies, choisit la ruse pour frapper l’autre.
Là est la principale difficulté rencontrée par notre armée face à ce type d’adversaire, son inadaptation à la lutte antiterroriste.
Lutte antiterroriste: Ce qui a changé
En fait la lutte antiterroriste a pris un nouveau cours chez nous avec la nouvelle donne sécuritaire transnationale lorsque la communauté internationale apprenait laborieusement à composer avec la nébuleuse venue d’Irak et de Syrie et, ainsi, conférer à la lutte antiterroriste une tournure telle que le monde n’en a jamais vu auparavant. La conséquence collatérale en Tunisie ne s’est pas vue attendre, l’armée nationale s’est retrouvée confrontée à deux fronts, au Sud, elle fait face aux groupes disséminés et en fuite en raison des prolongements des guerres menées en Libye contre les branches locales de l’EI; au Nord, face aux groupuscules éparpillés dans leur territoire de prédilection constitué du triangle Kasserine- Jendouba -Le Kef.
Dans cette configuration de lutte antiterroriste, l’Armée s’est déployée de telle sorte que la mise hors d’état de nuire de l’ennemi n’allait pas tarder et constituer ainsi le premier résultat d’un nouveau dispositif qui s’est avéré d’une efficacité comme cela n’a jamais été observé auparavant. Ben Guerdenne en est le meilleur exemple.
Aussi, la tactique adoptée a-t -elle donné un résultat probant; elle serait inspirée de celle recommandée par le Pentagone et suivie par les commandos US. L’armée américaine décrit cette tactique par la formule des 4 F: «Find, Fix, Finish et Follow up» Il faut donc pouvoir localiser les terroristes, suivre leurs agissements et les mettre hors d’état de nuire tout en obtenant le maximum de renseignements pour générer d’autres opérations. C’est une tactique résolument tournée vers la mobilité et la rapidité de l’action.
C’est ce que l’armée nationale a vite saisi; l’engagement des Forces Spéciales est devenu incontournable dans la lutte antiterroriste. Ses hommes ont affiché des capacités d’adaptation et une endurance exceptionnelles. Néanmoins, les FS interviennent en appui des forces conventionnelles et elles n’ont pas vocation à contrôler le terrain conquis. De ce fait, les accrochages avec les groupes terroristes ont montré que les effets décisifs ne peuvent être obtenus qu’au sol, là où vivent les gens et par des hommes qui mènent un combat rapproché, qui plantent les drapeaux et qui contrôlent des zones. Cela est d’autant plus vrai que l’on combat des «fantômes» dissimulés dans la nature ou au milieu de la population. Ces petites organisations, on peut les bombarder pendant des semaines, des mois et même des années, s’il n’y a personne au sol pour les dominer au plus près et contrôler le terrain, cela ne donne pas grand-chose .
Gloire au petit fantassin
On a évoqué le combat rapproché; il serait utile de préciser, pour les profanes, que ce genre d’opération est mené exclusivement par les fantassins débarqués. C’est cette catégorie de personnel qui a payé le plus lourd tribut à la lutte antiterroriste. Il est établi que les fantassins représenteraient plus que 80 % des victimes pour la Patrie depuis 2011. Les autres sont essentiellement des sapeurs (géniemilitaire) qui peuvent aussi revendiquer légitimement l’appellation de combattant rapproché.
Dans l’immense majorité des cas, ces hommes ont été tués dans des combats d’ampleur limitée (qui, il est vrai, ne le sont jamais pour ceux qui l’ont vécus) par le feu d’armes légères ou par des engins explosifs.
Nous voilà donc soumis à un dilemme fondamental: engager des combattants rapprochés et avoir des chances de l’emporter mais voir fatalement certains d’entre eux tomber, ou ne pas les engager mais avoir des résultats très aléatoires. D’où l’utilité du petit fantassin qui n’est pas forcément le plus récompensé. Mais ceci est une autre polémique à exclure du débat public car elle peut heurter quelques esprits sensibles.
L’Armée est le dernier rempart des institutions de la Nation. Et comme «ce sont les hommes, et non les pierres, qui font la force des remparts»; nos militaires se sont montrés intraitables et toujours à la hauteur de leur mission et là je pourrais reprendre une maxime célèbre dans le jargon militaire «pourvu que l’arrière tienne» or, malheureusement l’arrière ne tient plus! C’est pourquoi nous ne voyons pas de raisons pour que la situation générale s’améliore. Les effets cumulés des risques politiques, économiques et sécuritaires se conjuguent pour créer un climat extrêmement incertain.
Sont – ce là des raisons suffisantes pour assister impuissant sans rien dire ou rester l’arme au pied sans agir ? L’histoire nous a montré que même si nous vaincrons militairement les groupes terroristes, seule une action collective, boostée par une synergie nationale, peut mettre un terme à cette gangrène. Or, comme on dit « la victoire rend idiot», il y a donc risque que les réussites réalisées au prix du sang ne soient perdues faute d’être fructifiées à bon escient.
Mohamed Kasdallah, Col (r)