Abbès Mohsen - Le nouveau code des collectivités locales : comment éviter le délitement de l'Etat ?
La Tunisie est un pays de tradition administrative ancienne. Pour la première fois dans l’histoire, l’Etat instauré en 1956 a eu pour ambition de prendre en charge la société et de faire de cette ambition le fondement de la légitimité du pouvoir. Même si cette mission devint moins visible dès les années qui suivirent la faillite de 1985-86 et le firent recourir à l’endettement extérieur, le pouvoir maintint ce cap. Cependant, le développement de l’investissement privé lui-même encouragé par la paix sociale et la stabilité politique, fit que l’emploi devint de moins en moins le fait de l’Etat. Combiné aux dérives provoquées par la famille proche des hautes autorités de l’Etat contre lesquelles l’Administration tenta en vain de s’opposer, ce sentiment d’abandon provoqua la colère puis l’explosion de janvier 2011. Même si les gouverneurs dont la capacité ne fait pas de doute n’y étaient pour rien, ils furent les premiers visés par la vindicte populaire. Leur sécurité, voire leur vie furent menacées. Leur remplacement ne calma qu’un temps les foules qui continuèrent de s’en prendre longtemps à leurs successeurs. De 2011 à 2015, ce furent deux cent gouverneurs qui furent nommés, révoqués ou mutés.
Le corps des gouverneurs continua, durant l’élaboration tumultueuse de la Constitution de janvier 2014 à nourrir la méfiance voire l’hostilité des nouvelles élites parlementaires. Le chapitre 7 de la Constitution ne les mentionne pas. Pis encore, il jette les fondements d’un «pouvoir local» dont on n’a peut-être pas mesuré toute la dangerosité pour la Tunisie. On a oublié ou feint d’oublier que la Tunisie est un pays de petite taille, constitué de villes, de bourgs, de campagnes, et de tribus. On a également oublié que la cohésion de la société tunisienne, malgré ses disparités, doit beaucoup à l’action de l’Etat. Attenter à l’institution gubernatoriale et au gouvernorat, circonscription déconcentrée de l’Etat, c’est attenter à l’Etat et mettre en danger la cohésion nationale. Voudrait-on aboutir au démantèlement de l’Etat, qu’on n’agirait pas autrement. L’Etat démantelé, ce seraient de mortelles forces centrifuges qui le remplaceraient inéluctablement même si on les pare provisoirement de la flatteuse et très séduisante apparence de la décentralisation.
La question est donc la suivante : comment garantir aux citoyens tunisiens la liberté, l’égalité et la protection sans provoquer un délitement général de ce qui les unit?
Autrement dit, comment assurer harmonie et collaboration entre le futur Conseil de région et le Gouverneur malgré les dispositions d’une Constitution aujourd’hui décriée même par ses inspirateurs?
Les réponses passent par une claire définition des attributions des uns et des autres et par la nécessité de doter les cadres supérieurs de l’administration régionale d’un statut qui les mette à l’abri des contingences politiques, et tout porte à croire qu’elles seront nombreuses, longues et diverses.
I - Les attributions exercées au niveau régional
Maintenant qu’il semble acquis que l’Etat doive se délester d’un certain nombre d’attributions au profit de la Région et que celle-ci les exercerait à travers sa future assemblée élue, dirigée par un président élu, deux types d’attributions sont d’ores et déjà identifiables : celles d’ordre économique et social et celles que nous regrouperons sous le vocable générique d’attributions régaliennes.
Les premières concernent le développement de la vie économique et la mise en œuvre de moyens permettant la promotion des activités économiques dans l’agriculture, l’industrie et les services.
Il en découle que les investissements que faisait jusque-là l’Etat ressortiraient désormais pour tout ou partie à la Région. Cela voudrait dire que les services administratifs(les actuelles directions régionales) qui géraient ces investissements et ces crédits dussent passer sous le contrôle de la Région, de son conseil et de son président. Sans préjuger de l’efficacité, de l’équité et de la probité de ceux-ci que nous supposerons acquises, il est nécessaire de cerner les contours des attributions de ces institutions.
A- Les nouvelles attributions de la Région
La région exercera des attributions provenant de deux origines : les premières sont d’origine législative et sont donc impératives et définitives. Les autres sont d’origine contractuelle
1/ attributions propres de la Région
Aux termes de l’article 307 du projet de loi (mouture de novembre 2016) sur les collectivités locales, la Région exercerait quinze attributions propres:
1. L’élaboration du plan directeur d’urbanisme et de développement de la région
2. L’entretien des bâtiments publics d’Etat
3. L’élaboration de programmes de formation professionnelle et leur appui en vue de favoriser l’employabilité en coopération avec les établissements d’enseignement et les entreprises économiques
4. L’appui à l’ouverture des établissements d’enseignement sur le milieu économique le milieu culturel.
5. L’appui aux équipements régionaux et aux activités culturelles et sportives
6. Le renforcement de la complémentarité entre les communes ainsi que l’intégration et la solidarité entre les habitants
7. La coordination entre les intervenants publics en vue de donner les meilleurs services à la population et aux investisseurs
8. L’appui au dialogue social et la résolution des conflits du travail
9. L’organisation et l’appui au transport public et scolaire
10. Le suivi du marché du travail et la responsabilité des initiatives de nature à créer de l’emploi.
11. Le suivi de la situation de l’environnement en coordination avec les municipalités et l’engagement des initiatives nécessaires en vue de protéger l’environnement et enraciner la culture de la citoyenneté
12. L’appui à la société civile dans les programmes d’amélioration du niveau de vie et du progrès social et le soutien aux élèves et aux étudiants en vue de poursuivre leurs études
13. L’attention aux personnes âgées et aux personnes sans soutien
14. La promotion de l’égalité des sexes
15. L’attention à la qualité du service rendu par les services publics
2/attributions transférées
Outre ces attributions conférées par la loi, la Région aurait en plus vocation à exercer des attributions transférées par l’administration centrale de l’Etat. L’article 308 du projet dispose en effet que l’Etat peut transférer à la Région des attributions relatives aux équipements de santé, d’éducation, de sport et d’infrastructures (voierie, réseaux d’électricité, de gaz, de téléphone, d’eau, et d’eaux usées).
La région balaierait ainsi tout le champ de compétence attribué au Gouverneur par le décret du 21 juin 1956 et surtout la loi du 13 juin 1975. Que resterait-il donc à celui-ci?
Il ne lui resterait que deux compétences: l’ordre public et le contrôle a posteriori des collectivités locales par voie juridictionnelle.
On peut évidemment se réjouir de ces avancées considérables sur le chemin de la démocratie et de la gouvernance ouverte. Mais on est en droit de s’interroger sur les résultats pratiques sur lesquels va déboucher la mise en œuvre de ces attributions.
Quatre problèmes doivent requérir l’attention:
Primo: conférer ces compétences à la Région revient ipso facto à les soustraire à l’Etat. Car ce qui est retiré à son représentant local, le Gouverneur, finira par échapper inéluctablement à l’Etat central. Il est facile de prévoir que l’exécutif à Tunis ne pourra plus exercer pleinement ses attributions dans les quinze domaines énumérés par l’article 307 ni dans ceux qu’il aurait cédé contractuellement aux termes de l’article 308. Comment imaginer des ministres des affaires sociales, de la santé, de l’équipement, de la formation professionnelle donnant des directives au Président élu d’une assemblée élue ? Et comment imaginer un directeur régional de ministère obéissant à des instructions régionales données contre l’avis de son département ?
Secundo: comment imaginer un Gouverneur regardant impuissant s’envenimer un conflit du travail parce que les élus régionaux chargés par le nouveau code de le résoudre n’ont ni la distanciation nécessaire, ni la compétence, ni l’accès au gouvernement pour le régler ?
Tertio: livrés à eux-mêmes, obéissant à d’obscurs calculs politiques, comment les élus et leur président géreront ils les intérêts souvent antagonistes de la population ?
Quarto: dans l’exercice de ses compétences, laRégionnew-look aura besoin de hauts fonctionnaires techniques. Sera- t-elle en situation de donner des ordres à des fonctionnaires d’Etat ? Ou devra-t-elle se constituer aux dépens de la population une pléthore de fonctionnaires régionaux budgétivores qu’elle aurait recrutés et qu’elle aurait à rétribuer?
Des risques de conflits apparaitront à brève échéance et il est facile de prévoir que toute intervention de l’administration centrale sera mise au débit de la « hogra », et de la contre-révolution. De proche en proche, le pouvoir central abdiquera ses attributions et sa compétence et laissera les régions ivres de liberté se débattre dans leurs problèmes financiers non résolus et leurs vaines revendications. Entre la centralisation excessive dont a souffert notre administration locale et les périls que fait naître une décentralisation désordonnée, il existe des propositions qui se fondent sur la bonne entente entre les institutions et la coopération entre Région et Gouverneur.
A moins de considérer l’Etat comme l’ennemi à abattre à tout prix fut-ce d’une vraisemblable guerre intestine, on peut considérer que les dispositions de la Constitution de 2014 sont applicables mais qu’elles requièrent pour cela de la sérénité. Il s’agit de leur donner toutes les chances de succès et d’éviter de tragiques et coûteux retours en arrière. Une révolution coûte cher, une contre-révolution autant sinon plus. Pour garantir une bonne coopération des institutions à l’échelle régionale et donc entre la région et l’Etat, il est urgent de fixer le champ de compétences du Gouverneur.
Ce dernier est,aux termes du projet de Code, appelé à être dépossédé de ses compétences de Président du Conseil régional. Soit.
Mais certaines de ses attributions de représentant de l’Etat sont réellement menacées
B- Les attributions du gouverneur
Aux termes du décret du 21 juin 1956 le Gouverneur était le délégué du gouvernement. Il est depuis la loi du 13 juin 1975, le représentant de l’Etat. Il importe de garder toutes les dispositions résultant de la loi du 13 juin 1975 qui ne sont pas en contradiction avec le nouveau Code des collectivités locales et leur en adjoindre d’autres pour « reprofiler » la fonction gubernatoriale tout en préservant une institution respectée.
1/ la nécessaire réaffirmation des attributions anciennes
a) le gouverneur est délégataire des pouvoirs des ministres
Le Gouverneur est, aux termes de l’article 13 de la loi du 13 juin 1975 le délégataire du pouvoir de chaque ministre. Bien que la loi ne mentionne pas expressément qu’il est seul habilité à recevoir délégation de pouvoir, cela est entendu. On n’expliquerait pas autrement la « guérilla » que les ministres menèrent de juillet 1977 à mars 1989 contre cette disposition. Depuis le décret du 24 mars 1989 le gouverneur est enfin le délégataire d’un certain nombre de pouvoirs ressortissant jusque-là aux ministères. Il faudra concilier cette disposition avec celles du projet de code des collectivités et en particulier son article 307 attribuant à la collectivité régionale des pans entiers de la compétence de l’Etat.
Mais il faut plus. Il est indispensable que le « standing » du Gouverneur soit réaffirmé par la reconnaissance d’un vrai pouvoir initial dans ce que la loi appelle l’administration générale et qui ne lui a jamais été reconnu. Un certain nombre d’attributions doivent lui être reconnues par le texte qui les crée ab initio. C’est ainsi que le gouverneur doit devenir le premier administrateur de sa région et que tous les documents officiels doivent émaner initialement de lui : passeport, carte d’identité, permis de conduire, carte grise, carte de séjour….Il est très étonnant de constater par exemple que les passeports soientaujourd’hui délivrés par les ambassades de Tunisie à l’étranger où officie souvent un agent recruté localement alors qu’on refuse cette prérogative au Gouverneur pourtant assisté d’un haut fonctionnaire de police et d’un personnel nombreux et compétent. On peut faire la même remarque pour les cartes d’identité, le permis de conduire et les permis de séjour…
b) le gouverneur est responsable de l’ordre public
Aux termes de l’article 11 de la loi du 13 juin 1975 modifiant le décret beylical du 21 juin 1956, le gouverneur est responsable du maintien de l’ordre public et l’article 12 l’habilite à requérir la force armée. La vérité est que depuis le milieu des années quatre-vingt et plus précisément depuis les grands conflits sociaux de 1984, qui ont correspondu à une « professionnalisation » de plus en plus grande de la police, de la révision de ses chaines de commandement, de la centralisation de son processus décisionnel, le Gouverneur éprouve de plus en plus en plus de difficulté à diriger « sa » police. Elle s’est en quelque sorte, autonomisée par rapport au Gouverneur, représentant de l’Etat. Ce phénomène doit être corrigé car c’est au représentant du gouvernement, unique dépositaire de l’autorité de l’Etat, de décider de l’intervention de cette force et d’en régler la graduation. Nous verrons plus loin quelles conditions préalables tout cela nécessite.
2/ la redéfinition des attributions renforçant la concertation entre Gouverneur et Région
Ce sont à la fois des compétences d’Etat et des compétences de la Région
a) comme agent du Conseil de région: le Gouverneur aura ainsi été du 17 aout 1957 jusqu’à la promulgation du nouveau Code des collectivités locales le personnage central de la Région, qu’un abus de langage nous a fait appeler « conseil de gouvernorat ». Il en aura été à la fois le Président et l’exécutif. Non seulement il n’y sera plus rien mais une partie de sa compétence comme agent de l’Etat aura été aspirée par le nouveau Conseil régional.
Représentant de l’Etat et Président du Conseil de gouvernorat (et depuis février 1989 du Conseil régional) il était l’incarnation d’un dédoublement fonctionnel. On peut toujours regretter cette concentration de pouvoirs. Mais chacune des deux qualités du Gouverneur renforçait l’autre dans l’intérêt de la population. Comment faire pour que celle-ci ne sorte pas perdante du nouveau schéma d’organisation posé par le projet de Code des Collectivités?
Même dans le cas probable d’adoption de la législation projetée, le dédoublement fonctionnel devrait être sauvegardé et cela pour deux raisons:
- La première est qu’il évitera les conflits trop prévisibles entre Président du conseil régional et Gouverneur (sauf si on a décidé de supprimer l’Etat et le remplacer par des émirats, perspective qui n’est pas malheureusement pas si chimérique !)
- La seconde est que la double qualité du Gouverneur, représentant de l’Etat et agent de la Région bénéficiera à la population ; il obtiendra du gouvernement crédits et subventions pour le budget du conseil que le Président élu gérera.
Comment y parvenir? Un juste équilibre de pouvoirs ferait qu’à l’instar de ce qui se passe au niveau national, soit instauré un régime de collaboration des pouvoirs entre législatif et exécutif: l’assemblée sous la Présidence de son Président, délibèrerait et adopterait les décisions. Elle serait une sorte de parlement régional. Le Gouverneur comme autorité exécutive promulguerait et veillerait à l’application des mesures adoptées. Ainsi le Gouverneur pourrait-il être réintroduit comme Exécutif de l’assemblée régionale élue et élisant librement son Président. La démocratie et la libre gouvernance seraient sauves et une saine administration garantie.
Incidemment, cela réglerait le très prévisible problème du contrôle juridictionnel a posteriori assez difficilement imaginable par rapport à notre culture.
b) comme représentant de l’Etat. S’agissant de la légalité des actes le gouverneur doit, comme agent de l’Etat, garder la possibilité de se substituer au cas où le Conseil ou son Président aurait manqué de prendre une mesure obligatoire.
Le maintien du Gouverneur dans le jeu permettrait enfin et surtout de garantir par les transferts financiers qu’il obtiendra du pouvoir central l’indispensable péréquation des ressources et éviter que les Régions riches s’enrichissent toujours et les Régions pauvres s’appauvrissent encore
II- Le statut des personnels supérieurs de l’administration régionale: gouverneurs et délégués
La mise en œuvre de ces propositions présuppose que le Gouverneur soit apolitique, bien préparé à sa mission, et qu’il bénéficie d’un minimum de stabilité. Ceci conduit inéluctablement à opter pour la création d’un vrai corps de hauts fonctionnaires. Cela avait été prévu par les textes du 21 juin 1956 mais jamais systématiquement réalisé.
A- La carrière
Tout d’abord le décret de 1956, tout en créant un vrai corps, avait veillé à en ouvrir le recrutement à plusieurs catégories de hauts fonctionnaires :
1/ le recrutement des personnels de l’administration territoriale
Si 50% des effectifs de gouverneurs devaient en 1956, provenir du corps des délégués, d’autres corps d’origine étaient considérés les bienvenus pour alimenter celui des gouverneurs. Ainsi 25% étaient prévus d’être recrutés parmi les magistrats et les administrateurs du gouvernement, le gouvernement se réservant le libre choix des 25% restants (soit trois ou quatre gouverneurs sur quatorze).
La constitution du corps doit désormais prévoir que le recrutement des Délégués se fasse par la voie de l’ENA (cycle moyen) ou par un concours externe.
Les Premiers Délégués et les Secrétaires généraux de gouvernorat devraient pour leur recrutement obéir au même schéma de formation (cycle supérieur de l’ENA ou séjour plus long dans le grade de Délégué).
Les Gouverneurs enfin, devraient être recrutés pour moitié parmi les Secrétaires généraux et Premiers délégués la moitié restante étant dévolue aux hauts fonctionnaires, le choix du gouvernement ne portant plus que sur trois ou quatre personnes sur un effectif de vingt-quatre. Cela était déjà le cas durant les dernières années, mais de manière fortuite. Il devrait désormais être consacré par les textes.
2/ l’avancement et la carrière
Si des règles d’avancement de classe et d’échelon doivent être édictées pour le corps des délégués afin de les encourager , les protéger et leur permettre d’arriver aux postes enviés de Secrétaire général et de Premier Délégué, il en va autrement pour le poste de Gouverneur qui doit être confiné dans un grade unique. L’opinion publique ne comprendrait pas qu’il y eût des gouverneurs de troisième classe, de deuxième classe ou de première classe.
En revanche, les adjoints du gouverneur doivent pouvoir évoluer dans des catégories ascendantes ayant pour but d’amener les meilleurs d’entre eux vers la consécration suprême.
Ces règles qui se sont révélées d’application impossible en 1956 en raison du manque de cadres qualifiés et en raison de la mission très spéciale que fixa Bourguiba à « ses » gouverneurs devraient aujourd’hui encadrer et structurer la vie régionale.
Les Délégués doivent eux aussi être nommés par décret, soigneusement choisis et protégés par un vrai statut.
Tout ceci présuppose que le Ministère chargé de l’Administration territoriale se dote d’une loi des cadres contraignante prévoyant le nombre de Gouverneurs et de leurs adjoints. Il appartiendra au gouvernement d’en fixer l’importance.
B- les servitudes
Mais le corps des personnels supérieurs de l’administration régionale doit se singulariser par des servitudes qui le distinguent des autres catégories du personnel civil. Ce sont elles qui font la grandeur de la fonction.
A cet égard, les dispositions du Titre IX du décret du 21 juin 1956 sont saines et « posent » ces agents. Il prévoit des dispositions spéciales dérogatoires au statut particulier des administrateurs civils : l’article 39 interdit aux cadres supérieurs de l’administration régionale d’assumer une quelconque responsabilité au sein d’un groupement politique, professionnel ou confessionnel.
Il est interdit à leurs épouses d’exercer aucune activité publique ou privée rémunérée sans autorisation préalable du Ministre de l’Intérieur.
Cette autorisation est également requise pour toute acquisition d’immeubles ou de cheptel vif, ou l’exploitation agricole. L’exercice d’une activité commerciale ou industrielle dans leur ressort territorial leur est formellement interdit.
Enfin l’article 44 leur fait obligation de résidence dans «l’agglomération où ils exercent leurs fonctions».
On objectera que les délégués actuels ont été cooptés par des partis, dans le cadre d’un nébuleux et sordide système de quotas. Il appartient au gouvernement d’y mettre bon ordre par les voies qu’il jugera les plus indiquées pour restaurer le crédit de ces agents. Un délégué « étiqueté » risque en effet de se retrouver isolé et de perdre cette capacité qu’il doit avoir à aller vers les gens et surtout à les inciter à venir à lui.
Les Gouverneurs devraient être en situation de dissiper toutes les suspicions et les équivoques tenant à leur éventuelle appartenance à un parti politique. Peut-être sera-t-on surpris de savoir que depuis 1971, les gouverneurs et leurs délégués, quoiqu’on en ait dit, n’étaient pas choisis à raison de leur appartenance au PSD ni au RCD ?
Il est du devoir de nous tous de faire réussir la réforme projetée. Encore faut-il se garder des effets de mode et se libérer des haines et des rancœurs. Des pays plus riches ont, au cours des trente dernières années, tenté de décapiter leur administration territoriale. Cela leur a coûté cher et ils en avaient les moyens. Mais ils ont été, quelques années plus tard obligés de faire machine arrière. Cela les a discrédités et leur a coûté encore plus cher.
Il est urgent de renforcer les attributions des personnels supérieurs de l’administration régionale au lieu de les affaiblir pour complaire à des conseilleurs qui ne seront pas les payeurs. Tout échec de la réforme et le retour contraint à des schémas anciens serait mortifère pour l’Etat. Il faut « professionnaliser » ce corps pour que les élus et le très puissant futur Président du conseil régional trouvent un interlocuteur coopératif, compétent, objectif, désintéressé et d’égale importance. Il en va bien sûr de la pérennité de l’Etat, de la réussite de la réforme mais surtout de l’unité nationale.
Abbès Mohsen