Armes chimiques en Syrie: Trump redore son blason et le sud déguste une fois de plus !
L’horreur d’une attaque chimique, probablement aux agents neurotoxiques, s’est encore abattue sur la Syrie, tuant des dizaines de victimes dont de nombreux enfants et faisant des centaines de blessés.
Le gaz Sarin - peut-être - a infligé une mort atroce à la population de Khan Cheikhoun, dans la province d’Idleb au nord-ouest de la Syrie. Ce gaz avait été mis au point par les Nazis.
102 ans âpres la première attaque au chlore
La tragédie infligée à Khan Cheikhoun survient 102 ans presque jour pour jour après la toute première attaque au chlore de l’Histoire, le 22 avril 1915. C’est cette funeste attaque avec ses 170 tonnes de gaz qui a fait entrer l’Humanité dans l’ère de la Guerre Chimique. Elle avait été lancée par l’Allemagne, à Ypres en Belgique, lors de la Première Guerre Mondiale après l’échec de la bataille de Neuve Chapelle en France, en octobre 1914. Lors de cette dernière bataille, les Allemands tirèrent sur les Anglais 3000 obus remplis avec un irritant pulmonaire, le chlorosulfate de diansidine, mais le poison a été détruit par l’explosion et la mise à feu. Les soldats de Sa Majesté ne réalisèrent donc pas qu’ils avaient été visés par une arme chimique (qui avait fait long feu). Le chlore permit à la chimie allemande d’effacer le souvenir de son échec à Neuve Chapelle!
L’Allemagne, à l’époque, était le leader mondial de l’industrie chimique et surpassait dans ce domaine aussi bien la Grande Bretagne que la France et les Etats Unis. Le recours à cette arme lui était fortement conseillé par le chimiste Fritz Haber (Prix Nobel de chimie 1918) qui y voyait le moyen de mettre fin à « la guerre des tranchées » et de bousculer définitivement les armées française et britannique dont 1100 soldats subirent une mort atroce et 7000 autres furent blessés ou devinrent aveugles. L’armée britannique riposta rapidement aux attaques chimiques germaniques en utilisant à son tour le chlore, le 25 septembre 1915, lors de la bataille de Loos en France. Les hostilités allaient durer encore trois longues années. Les Allemands utiliseront de nouveau le chlore sur le front russe après la déconfiture, en janvier 1915, de leurs 18 000 bombes au bromure de xylyl, un irritant que la température hivernale empêcha de passer à l’état gazeux. Le chlore infligera à la Russie de très lourdes pertes. Le souvenir de ces morts atroces poussa si fortement l’URSS à développer les armes chimiques pendant la Guerre Froide qu’elle finit par inquiéter sérieusement les Américains - qui développèrent alors les armes chimiques binaires dans les années 1970. Les deux superpuissances entamèrent quatre années de négociations à Genève avant de parvenir enfin à un accord sur les armes chimiques en 1976.
A la proclamation de l’Armistice, le 11 novembre 1918, les armes chimiques (chlore, phosgène et gaz moutarde) avaient tués entre 90 000 et 100 000 personnes et fait 1,3 million de blessés.
Des barils de chlore et une convention sur les armes chimiques
Une enquête des Nations Unies avait déjà confirmé que les militaires syriens avaient utilisé, lors de trois attaques séparées, des barils de chlore contre la population civile. Le chlore est une arme de guerre interdite depuis 1925 par le Protocole de Genève. Ce dernier prohibe l’usage des agents bactériologiques et chimiques. En 2013, la Syrie a ratifié la Convention sur les armes chimiques (CIAC) entrée en vigueur en 1997 et dont le siège est à La Haye. Au cours de l’été 2014, l’armée américaine a neutralisé en mer Méditerranée, dans un bâtiment spécialisé, le « Cape Ray », les composants les plus dangereux de l’arsenal chimique syrien. Il s’agissait de 581,5 m3 de difluorure de méthylphosphonyl servant à produire le gaz neurotoxique Sarin et 19,8 tonnes de moutarde soufrée (ou ypérite), un liquide cytotoxique et vésicant qui provoque des cloques même à travers les vêtements ou le caoutchouc et qui attaque les yeux et les poumons. Cette opération de destruction avait été acceptée par Bachar al Assad en septembre 2013 et dans le cadre d’un plan de désarmement onusien après l’emploi de gaz toxiques, en août 2013, par l’armée syrienne, contre la résistance dans la banlieue de Damas et dans la Ghouta. A l’époque, Les Etats Unis avaient menacé de frappes aériennes le régime s’il n’acceptait pas le plan de désarmement de l’ONU.
Aujourd’hui, devant l’horreur de l’attaque de Khan Cheikhoun et devant des photos de cadavres d’enfants syriens qui soulèvent le cœur, les mesures de 2013 ne paraissent plus de mise. Débâcle du droit international et retour à la loi de la jungle ! Aucune enquête n’a été diligentée et rien ne permet d’écarter que tel ou tel belligérant n’a pas de stocks d’armes chimiques en sa possession. Sur le site Global Research, le Pr Michel Chossudovsky démontre que le Pentagone, à partir de 2012, a fourni, par l’intermédiaire de « contractors » les armes chimiques et l’entraînement adéquat à des groupes terroristes en Syrie!
Il n’en demeure pas moins que les pays occidentaux, cette fois, ont fait preuve de beaucoup d’indécence. Viser le régime syrien - qui semble bien capable de tels crimes - l’Iran et la Russie tel est leur but ultime. Mettre fin à cette atroce guerre ne fait vraiment pas partie de leur programme. Faut-il encore souligner que ce conflit a fait 400 000 victimes, deux millions de blessés et d’handicapés, a provoqué l’exode de plus de dix millions de Syriens et la destruction de 65% du territoire - et des joyaux comme Homs ou Alep - la ville d’Abou Nawas et d’al Maâri. Une guerre qui a vu 122 bombardements d’hôpitaux ! Les réactions ont été bien plus tièdes lorsqu’il y a quelques jours, 200 civils - dont de nombreux enfants - ont été fauchés à Mossoul, victimes d’une frappe de la coalition ! Il s’agissait alors d’un évènement estampillé « erreur » ou « dommages collatéraux » et les excuses valaient solde de tout compte!
L’envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie, Staffan de Mistura, évoquant la réunion de Bruxelles consacrée à l’avenir de la Syrie, relevait dès mardi 4 avril : « C’est vrai, à chaque fois qu’apparaît un moment où la communauté internationale est capable de rassembler 70 pays demain, il y a quelqu’un, quelque chose qui essaie de saper ce sentiment d’espoir en utilisant le sentiment d’horreur et d’indignation. » Mais, c’est bien connu, la guerre engraisse les charognards et les vautours.
Indécence encore quand le conservateur du musée Yad Vashem à Jérusalem s’apitoie sur les enfants victimes des armes chimiques en Syrie ! Larmes de crocodile ! On n’a pas entendu cet « humaniste » quand Israël a brûlé au phosphore blanc les enfants de Gaza en 2008-2009 et on ne l’a jamais entendu quand la « vaillante » armée sioniste assassine froidement des enfants palestiniens - mêmes sourds ou autistes!
La bombe atomique du pauvre
Les pays du Sud ont souvent été victimes de cette « bombe atomique » du pauvre qu’est la guerre chimique. En 1924, les Britanniques utilisèrent les gaz de combat en Irak pour mater des révoltes : on compta 10 000 morts. L’infâme Winston Churchill osera déclarer à cette occasion : « Je ne comprends pas la sensiblerie par rapport à l’utilisation du gaz contre des tribus non civilisées. » En 1935-36, l’armée italienne, sous la conduite de Mussolini, utilisa les gaz de combat pour occuper l’Ethiopie. Rappelons ici que la première bombe larguée d’un avion l’a été sur le Fezzan libyen en 1913 : ce fut l’œuvre de l’armée italienne.
La guerre contre la « République du Rif » d’Abdelkrim Khattabi, en 1921-26, a vu l’Espagne utiliser les armes chimiques - phosgène, gaz moutarde et chloropicrine - contre les patriotes et la population du nord marocain. Ces viles armes furent déployées suite à la cuisante défaite du corps expéditionnaire espagnol lors de la bataille d’Anoual le 27 juillet 1921. Ce fut une effroyable débâcle et un des plus grands désastres militaires jamais subi par une armée coloniale. Le général Manuel Fernandez Silvestre - qui voulait se sauver - fut tué avec 14000 de ses hommes. L’arsenal chimique de la vengeance fut obligeamment fournit par la France. Là encore, l’Occident réalisa une honteuse et mesquine première : on utilisa l’aviation pour lâcher les poisons sur la population. Lors de la guerre du Vietnam (1960-1970), l’armée américaine utilisera le désherbant Agent Orange pour détruire les rizières et les arbres de la jungle qui cachaient les résistants. Aujourd’hui encore, le Vietnam a des sols stérilisés et il compte un nombre effroyable de nouveau-nés porteurs de graves malformations congénitales, l’Agent Orange étant un produit tératogène. En Afghanistan, l’armée soviétique eut aussi recours aux gaz de combat pour lutter contre les talibans (1979-1989). Le Vietnam utilisera les armes chimiques contre le Cambodge (décembre 1978-janvier 1979) et le Laos.
« La bombe atomique du pauvre » a été hélas abondamment utilisée lors du conflit irano-irakien dans les années 1980. L’Occident - et notamment la Suisse qui vendit produits et usines à Saddam - ferma les yeux sur l’Irak et réserva toutes ses flèches à la République Islamique d’Iran. Celle-ci finit par mettre seule, sur pied, un programme chimique. Pourtant, les deux pays étaient signataires du Protocole de Genève.
La Syrie devrait se faire encore plus de soucis
Les frappes de Tomahawk devraient inquiéter la Syrie… car chaque fois que les Américains interviennent de par le monde, c’est le plus souvent pour y provoquer désastres et tragédies sans nom. Il suffit de regarder ce qui se passe en Irak et en Libye ! Etats effondrés, populations meurtries et dispersées, infrastructures démolies. L’intervention américaine en Corée du Sud s’est soldée par près de trois millions de morts et au Vietnam par quatre millions de victimes. Pour certains analystes comme Gideon Levy* (Haaretz, 9 avril 2017), les missiles ont été tirés en coordination avec la Russie et, via cette dernière, avec la Syrie. Il s’agissait avant tout de venir à la rescousse de Donald Trump, mal en point sur le plan intérieur!
Mais certains trouvent leur intérêt dans ce tohu-bohu : le tir des 59 missiles a été salué à Wall Street par une augmentation de l’action de Raytheon, fabricant américain des Tomahawk !
Vous avez dit compassion pour les enfants martyrs de Khan Cheikoun ?
*Ce journaliste israélien est d’avis que Trump est en mesure d’amener Israël à la paix avec les Palestiniens… en tirant seulement un « Tomahawk diplomatique sur Jérusalem » et de rappeler que la seule fois où les Américains ont déraciné un « Etat voyou » ce fut le régime d’apartheid d’Afrique du Sud.
Mohamed Larbi Bouguerra
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