Halte à la supercherie! Le syndicat IJABA n’est pas la Fédération de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique
J’ai reçu plusieurs appels émanant de collègues et amis intrigués par l’information diffusée dans tous les médias (radios, télévisions, presse électronique et presse écrite) et relative à une grève générale des enseignants-chercheurs du supérieur dans toutes les institutions universitaires du pays, décrétée pour les 11 et 12 avril .
J’ai pu vérifier en écoutant plusieurs radios hier et aujourd’hui et en consultant la presse électronique que tous ces médias étaient convaincus que la grève annoncée allait être partout suivie en Tunisie. C’est cette unanimité qui a causé la perplexité d’un grand nombre d’universitaires habitués à décider des mouvements de grève ou, à défaut, à en être informés par leurs syndicats de base affiliés à la Fédération générale de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique (FGESRS) et non par les médias.
Il n’est donc pas étonnant que la nouvelle surprenne plus d’un universitaire puisque la FGESRS n’a lancé aucun mot d’ordre de grève et que le syndicat IJABA (اتحاد الجامعيين الباحثين التونسيين), à l’origine du mot d’ordre, est inconnu dans le milieu des universitaires. Ce qui, en revanche, abasourdit tous les observateurs de la scène médiatique et les universitaires, c’est la légèreté avec laquelle tous ces médias annoncent dans leurs titres un débrayage général. Ignorent-ils que le syndicat IJABA, dont ils disent dans leurs informations, qu’il est l’organisateur de la grève, est un syndicat ultra- minoritaire et qu’il n’est représenté que dans de rares institutions? Ont-ils oublié que la FGESRS était le seul syndicat universitaire capable de mener un mouvement d’une grande ampleur en raison d’une légitimité historique qui lui permet d’être le seul syndicat présent dans la quasi-totalité des institutions universitaires (204 sur l’ensemble du territoire), et d’être très bien représenté dans les rares établissements où IJABA a pignon sur rue? Une information objective aurait permis au lecteur de comprendre que le syndicat IJABA est à l’origine du mot d’ordre de grève dans un secteur où la FGESRS est le syndicat majoritaire sans préjuger de l’issue du mouvement.
A quoi imputer une méprise aussi grave chez les journalistes qui ont diffusé l’information? A une méconnaissance de la situation syndicale à l’Université ou à une malencontreuse précipitation générale? Où sont les rédacteurs en chef censés rectifier le tir, non pour censurer, mais pour rétablir la vérité? L’obligation de la formation et du recyclage restera-t-elle, comme dans de nombreuses sphères, un vœu pieux?
Ces journalistes oublient-ils une règle élémentaire du journalisme selon laquelle les faits sont sacrés? En l’occurrence dans le cas de figure, le fait est qu’IJABA ne peut, en aucun cas, aujourd’hui arrêter le travail à l’Université tunisienne.
Je n’arrive plus à comprendre ce qui se passe dans nos médias qui sont pourtant dirigés par des journalistes de renom. A l’image de ce qui se passe un peu partout et dans tous les domaines, les dérapages deviennent de plus en plus fréquents et pas uniquement sur les colonnes des feuilles de chou ou de la presse à scandale auxquels certaines chaînes de télévision, qui jouent sur le voyeurisme et le côté émotionnel des événements, emboîtent le pas. Nos médias seraient-ils obnubilés par la recherche du buzz au point de fermer les yeux quand certains journalistes transgressent les règles professionnelles et éthiques de l’exercice du métier?
Malgré ces dysfonctionnements, nous ne devons pas oublier le grand professionnalisme et le courage exemplaire dont font preuve la grande majorité de nos journalistes pour porter haut l’étendard de la liberté d’expression et défendre l’un des plus grands acquis de la Tunisie postrévolutionnaire. Les institutions en charge de la formation des journalistes, les représentants de la profession, la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle devraient réfléchir sur de nouvelles stratégies susceptibles de mettre fin à ces ratés qui risquent de compromettre les acquis engrangés – et ce n’est pas une hyperbole – à la suite de luttes homériques.
Habib Mellakh