Ainsi parlait Chateaubriand : «les solutions se mènent par les rêves»
Le passé, le présent, un monde obscur et affligé, dévasté par les guerres, les souffrances, les pertes. Nous combattons sans cesse le mal, cet ennemi que nous ne pouvons pas vaincre. Ce chemin nous est-il prédestiné ? Sommes-nous condamnés à nous détruire comme nous avons détruit tant d’espèces avant nous ? Ou pourrons nous évoluer, au contraire, assez vite pour changer et changer notre destin. L’avenir est-il vraiment joué d’avance ? Qui sait … ?
L’homme a toujours envie du pouvoir, quand il le croise sur son chemin. Ceux dont les ténèbres guident la vie, feraient n’importe quoi pour ne pas le perdre. Pourtant, l’histoire du monde nous montre que la soif de pouvoir conduit même les hommes les plus sages à leur perte. Le mal comme le bien coexistent et coulent inlassablement dans les veines de tous les hommes. Ils ont ainsi un grand potentiel pour faire le bien ou pour faire le mal et il arrive un jour où ils doivent choisir leur voie. Mais le mal est là, simple, et très peu lui résistent quand ils y ont gouté. Plus ils s’en servent et plus il leur est facile d’y recourir. Aucun destin n’est écrit et véritablement immuable. Ceux qui le prétendent perpétuent un mensonge inventé par les Hommes. Aussi le monde a grand besoin de héros, de guides pour lui montrer le bon chemin, car il y a toujours un autre moyen. Les héros font ce que ne font pas les autres. Non pas parce qu’ils le veulent, non pas pour eux ni pour leurs amis. Ils choisissent les chemins indésirables, les routes les plus sombres, pour que la paix l’emporte sur la brutalité. La violence ne dure pas, entrecoupée de périodes plus ou moins longues d’accalmie et c’est la preuve que le monde, l’Homme, sont capables de se remettre de tout.
Le Peuple Tunisien s’est rebellé contre un pouvoir en place sclérosé, il y a maintenant six ans, pour se retrouver devant un grand ‘’n’importe quoi !’’, une économie en veilleuse, un chômage en hausse, et une menace terroriste toujours plus présente, un grand vide en termes de stratégie et de programmes. La démocratie est-elle à ce prix ? La promesse de démocratie s’est transformée en une grosse pagaille. Les questions essentielles restent encore sans réponse, 35% des jeunes tunisiens diplômés sont toujours sans ressources et vivent chez leurs parents, de plus en plus tard. La jeunesse est en colère et gronde sa révolte. Tous les indicateurs sont au rouge, comme autant de feux d’alarme. Effondrement du tourisme, chute des investissements, de la productivité, et hausse des dépenses publiques de fonctionnement, détérioration du pouvoir d’achat et de la qualité de vie, effondrement de l’organisation sociale et des valeurs. L’endettement public a doublé et même au-delà, sans qu’il y ait le moindre investissement productif à la clef. L’économie souffre d’une énorme inquiétude populaire et syndicale et notre monnaie ne vaut plus rien. Face à ce triste tableau et au départ massif de notre force vive, nos jeunes diplômés, à l'étranger, il m'est apparu utile de souligner l'urgence d'un sursaut national, afin de restaurer une certaine idée de la Tunisie.
De gauche comme de droite, les locataires des sièges gouvernementaux nous expliquent qu’à l’échelle de la globalisation, nous serions trop petits et trop Tunisiens. A les écouter, le monde serait devenu trop rapide et trop vaste pour un petit polygone qui devrait se résigner à devenir un parc à thème avec ses monuments (témoins de ses gloires passées et d’une grandeur révolue), ses terroirs (à conserver dans la composition entre tradition et modernité), mais aussi avec ses grèves et ses commerçants agressifs que des peuples travailleurs et plein d’entrain seraient encore bien bons de visiter. Ici et là quelques sociétés multinationales (luxe, distribution, énergie, banque, enseigne) qui seraient parvenues à s’adapter. Toute la classe dirigeante et politique partage cette indéniable conviction d’un déclin inéluctable, mais ne fait pas un geste pour y remédier. Et ce pessimisme mortifère porte ses miasmes dans l’ensemble de la société, qu’elle soit civile, politique ou tout court …
La panne tunisienne est surtout dans les têtes de dirigeants à courte vue, qui ne veulent plus ou ne peuvent plus projeter la Tunisie sur le monde et sur le futur. La victoire n’est plus concevable, l’espoir est étouffé. Or, dans tous les pays en croissance, il existe un patriotisme puissant et ouvert sur le monde et sur l’avenir. On réduit toute ambition à des mesures de gestion, certes importantes, mais secondaires en dernière analyse. Croit-on que l’on motivera le peuple qui a construit une partie de l’histoire du monde méditerranéen et arabo-musulmane, en réformant son code du travail ou en baissant ses dépenses publiques ? Ceux qui le croient se piquent de pragmatisme, ils ne connaissent pas la psychologie des peuples. Nos dirigeants devraient se rappeler qu’aucun effort ne s’accomplit jamais sans en valoir la peine, sans enthousiasme et sans ambition ? nous devons suivre ce conseil de Chateaubriand : « les solutions se mènent par les rêves ». Et si nous nous remettions à croire en nous ?
Qu’est-ce-qui incite beaucoup de jeunes Tunisiens à s’envoler vers d’autres horizons ? Pourquoi la Tunisie n’a pas su retenir ces jeunes éduqués et pleins de projets novateurs ? Notre pays est plein de ressources et de possibilités, mais il est aussi « fatigué », Victime d’un management inadapté aux marchés actuels, assommé par des coûts financiers prohibitifs et une mauvaise gestion des deniers publics et dans l’incapacité de prendre les décisions nécessaires à la relance de l’activité économique et de la compétitivité dans tous les secteurs. Notre pays est riche d’une main d’oeuvre de pointe, d’une agriculture qui pourrait être performante, si nos décideurs s’en donnaient la peine, d’un emplacement central en Afrique, d’une population active, parmi les nationalités les plus éduquées au monde et d’une population plus jeune que beaucoup de pays qu’ils soient européens, africains ou arabes, mais alors pourquoi restons-nous les mauvais élèves de l’économie mondiale ?
Les gouvernements successifs en Tunisie ont eu tendance à ne chercher qu’à préserver l’économie dans son état actuel, tant au niveau du secteur industriel que du marché du travail, plutôt que d’accompagner le changement avec des investissements dans l’éducation, la recherche, la formation, les TIC ou encore l’innovation.
Est-ce ainsi que l’on peut gérer un pays, dans un monde en plein changement ? Quand une des principales mesures proposées par les gouvernements successifs et les différents candidats aux élections, pour réaliser des économies, consiste à réduire les effectifs de fonctionnaires, quand les « relances » de l’économie et l’augmentation du pouvoir d’achat devraient passer par une crédibilité égalitaire des salaires ou une baisse des taxes, quand l’insécurité et toute forme d’extrémisme sont combattues par un renfort du renseignement, de l’armement et des services de Police. On ne peut voir dans toutes ces mesures, des solutions, mais simplement une accentuation des problèmes par l’usage de techniques dilatoires. Ces mesures sont l’arbre qui cache la forêt, autant de moyens pour masquer la réalité des problèmes, repousser les échéances, et prendre le risque que le pays s'enlise encore plus dans ce marasme inextricable. Nos responsables se confortent dans une sorte de protectionnisme confortable, dans cette peur du changement et de l’inconnu. Aussi les jeunes, ambitieux et pleins d’illusions, n’obtiennent pas, en définitive, les opportunités auxquelles ils aspirent et auxquelles ils ont droit en Tunisie et ils sont poussés au départ. Trop peu d’entreprises de notre pays investissent réellement dans la jeunesse et lui font confiance.
L’un des accents doit être mis sur ce point car faire revenir ces jeunes c’est redonner des perspectives prometteuses à la Tunisie. En réformant notre pays en profondeur par l’innovation, nous pouvons redonner un nouvel élan au développement, nous pourrons du même coup donner des perspectives intéressantes aux entreprises, aux personnes éduquées, aux Tunisiens de manière générale, et également à des investisseurs et cerveaux étrangers qui apporteront à notre pays leur expérience et leurs demandes comme des opportunités.
Dans l’immédiat, il faut capitaliser les départs intellectuels, car si la situation se redressait et permettait d’offrir des perspectives intéressantes dans le territoire, ces jeunes, qui étaient alors partis et qui se sont enrichis d’autres pratiques, pourront revenir et amener avec eux de nouveaux savoir-faire, de nouvelles visions, de nouvelles techniques et technologies et faire ainsi avancer notre pays en les adaptant au contexte sociologique tunisien.
Il est essentiel de toujours donner la priorité à une société vivable mais les mentalités sont difficiles à transformer, victimes qu’elles sont de la sclérose de l’inertie. Dans le domaine de l’économique, le dogme de la croissance est toujours agité comme le fanion de la performance et de ce fait il est difficilement remis en cause, et lorsqu'il l'est, ce n'est pas pris en compte sérieusement comme alternative envisageable. Mais pourtant, la croissance ne rime pas réellement avec une bonne qualité de vie, ni avec le bien-être social, ni même avec la viabilité sociétale. En fait, dans le contexte actuel, nous n'avons rien à espérer d'une croissance supplémentaire, sinon une aggravation des inégalités socio-économiques et environnementales et le sacrifice de l’élément humain. Et même l'idée du développement durable, tel qu’elle est conçue, est perfide et désincarnée. De prime abord, la notion de développement durable est un oxymore qu'il est impossible de dépasser sans une remise en question totale. De plus, ce sont toujours les mêmes objectifs qui sont envisagés, à commencer d'abord par le développement économique. Mais on oublie trop souvent que la croissance repose d’abord sur les ressources, or ces ressources lorsqu’elles existent, ne sont pas infinies, ce qui rend la croissance intenable sur le long terme, malgré ce que peuvent en dire les plus optimistes. Son but est principalement d’intérioriser la croissance "verte", la gestion du risque d’impact environnemental, ce qui ne contredit pas et ne critique pas véritablement la notion de croissance et les autres concepts propres au modèle libéral. Le développement durable a donc été créé pour instaurer un statut quo et continuer à vivre selon les mêmes principes de vie empruntés. L’abandon du paramètre de la croissance permet en revanche de remettre à plat le modèle que nous avons tendance à prendre pour acquis. Il s’agit de remettre sur le même pied d'égalité et de réconcilier planète et humanité. Parce que sans Hommes, la planète n'existe pas.
Dans cette logique productiviste, notre pays est victime d’une obsolescence programmée qui le mène à la décadence. La logique d’abandon du paramètre de la croissance à tout prix ne doit pas être conçue pour sauver la planète, puisque de toute façon elle en a vu d’autres et elle a encore des milliards d'années devant elle ! C'est pour nous sauver, nous, espèce humaine (peuples et populations), mais aussi toutes formes de vie que nous avons contribué à faire disparaître jusque-là. C’est pour RESTAURER, autant que faire se peut, nos conditions de vie en accord avec le biotope et la biodiversité.
Il « était un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître ». Le protectorat des deux dernières décennies de la fin du XIXème et de la première moitié du XXème siècles. De cette époque ne restent que quelques rejetons qui font bien pâle figure face aux grands noms de l’époque. La grande histoire s’est désormais muée en une juxtaposition de petits évènements désordonnés qui apparaissent comme les manifestations d’une délinquance qui ne méritent que quelques lignes dans des tabloïds locaux.
Il nous a fallu un temps infini pour émettre notre Constitution et poser les principes institutionnels, lesquels ne connaissent, jusqu’à aujourd’hui qu’une mise en oeuvre très fragmentaire. A un autre niveau, après quasiment un an de discussions et de rebondissements, le patronat a convaincu la quasi-totalité des syndicats de la nécessité d'administrer un traitement de choc, aux chômeurs. Bien naturellement, sans prendre en considération un élément clé du problème, l’humain !
Il est dantesque de constater que le monde tourne de plus en plus autour des lobbys et autres influences des plus forts. Jean Cau écrivain français, (auteur du livre, ‘’Les écuries de l'Occident. Traité de morale’’), disait dans un de ses écrits : « Le siècle est fou. Fou de lâchetés, de démissions, de mensonges, d'impostures et de laideur, et ce qu'on appelle "crise de civilisation" n'est en vérité que le refus apeuré de toute hauteur ». Force est de constater, que cet homme, avait tristement, raison ! Ce qui est sûr c'est que ce n'est pas en aimant se détester que les Tunisiens pourront avancer. Il ne faut pas non plus se croiser les bras et attendre un "homme providentiel" qui réglerait tous les problèmes sous l’autorité d’une ‘’vox dei’’ : cela n'existe pas. Ce dont la Tunisie a besoin, ce n'est pas d'un politique pétrit de certitudes, certain de détenir la vérité, mais d'un guide, un accompagnateur capable de remotiver. Toutefois, avec la polarisation de la vie politique tunisienne, ce n’est plus aussi simple de trouver quelqu'un qui soit capable de parler à tous, sans recourir au bon vieux truc de la mobilisation CONTRE quelque chose ou quelqu'un que l’on diabolise. Si la politique doit comporter une part de "rêve", elle exige aussi d'être réaliste pour retrouver un certain équilibre. Et il est en partie réaliste de penser que la Tunisie ne peut plus peser seule face aux autres superpuissances, qui n'ont jamais été aussi menaçantes qu'actuellement, dans l’ordre mondial. D’autant que les États-Unis d'Amérique nous rejouent l’air de l’isolationnisme sous la houlette de Donald Trump, la Russie qui cherche à restaurer sa grandeur dépassée et qui devient expansionniste territorialement, la Chine qui part à la conquête du monde, commercialement. Nous avons besoin au contraire de faire partie d'une Union de pays en Afrique du nord, même si cela veut dire ressusciter l'Union du Maghreb Arabe avec ses défauts, mais qui sont perfectibles et qu’il nous faudra corriger. La Tunisie appartient à cette région du monde dont l’importance n’est plus à démontrer, que ce soit au niveau économique, politique et géostratégique. Aussi, on ne peut voir se construire d’avenir en Tunisie, sans y compter le cadre maghrébin. Il est donc primordial de concilier nos intérêts communs dans leurs composantes, économiques, politiques, juridiques, scientifiques et technologiques et aussi culturels, en prenant en considération les dimensions, africaine, méditerranéennes et arabe. Quant au marasme dans lequel s’enfonce l’Etat tunisien, nous pouvons y remédier. Le Maroc, qui a la même configuration que nous, a bien une économie exportatrice et la moitié moins de chômage que nous, tout en étant dans la même zone régionale et dans la même catégorie au regard de l’échelle de l’évolution. Pourquoi ne pas profiter de son expérience ? Les gens ne veulent plus d’un prétendu réalisme fondé sur l’absurde, ils veulent une utopie partant de la réalité !
L'espèce humaine est en effet menacée, il n'y a plus personne pour dire le contraire, depuis Paris 2015. Aucun arbre ne monte jusqu'au ciel, notre monde comme nos ressources sont limitées ou gaspillées, quand elles ne sont pas épuisées. Nous avons dépassé le seuil de renouvellement salutaire et nous sommes en train de creuser la tombe de l'humanité du fait de l’inertie des décideurs. Une vraie révolution civilisationnelle nous attend, face à une humanité de moins en moins civilisée et qui ne sait que fuir droit devant elle vers toujours plus. Les politiques d'aujourd'hui ne fonctionnent que s'il y a de la croissance. L'idée d'inventer une autre politique basée sur sa remise en cause est novateur, et c'est peut-être une solution contre la surexploitation des ressources, la consommation toujours plus grande des ménages, le gaspillage, la pollution, ... et la mondialisation qui met à la porte ne nos sociétés des milliers de gens et jette à la rue des milliers de jeunes, tous les ans. Mais comment concilier tout cela dans le monde d'aujourd'hui, pour que chacun s'y retrouve ? Pour engendrer cette décroissance, il faut absolument arrêter la "mondialisation économique" mise sur un piédestal par le système medio-politique en place depuis des décennies, et qui n’est qu’une fuite en avant perdue d'avance. Ce concept de croissance crée effectivement des inégalités de richesses et accentue l'appauvrissement des pays en voie de développement, qui se retrouvent alors obligés de graviter autour des pays riches qui ont su (via tout une pression financière et militaire) piller leurs richesses naturelles à un moment ou à un autre de leur histoire, en tendant leurs mains. Donc, avec la décroissance, il faut faire en sorte que l'ensemble des peuples des pays en développement puissent développer leur propre pays, et non émigrer vers des pays plus riches.
Nous vivons une crise mondiale assise sur l’échec du modèle libéral et la faillite du système monétaire international. Il est donc plus que temps de tout remettre en question et de réfléchir sur un modèle original pour le monde et pour le bien-être des peuples. Le patriotisme c'est bien, mais n'oublions pas qui nous sommes. Nous devons penser à demain, avec le changement climatique, prémice d’une extinction annoncée et autres maux de sociétés. Nous avons l’obligation d'avoir un coeur pour les autres, ceux qui subissent les guerres, la famine les tortures, l’exclusion et autres calamités. C'est une histoire d'humanité. Penser à nos enfants et voire à construire un avenir meilleur pour nos fils et nos filles, partout dans le monde. Nous sommes une même espèce et devons travailler pour la cohésion de l'humanité, travailler pour la nation humaine dans un monde juste et vivable.
Nous, à notre échelle, devons montrer à notre pays un meilleur chemin. Tout le monde peut trébucher, se fourvoyer sans pour autant être perdu à jamais. Tout, même un système de gouvernance, a besoin un jour ou l’autre d’une aide pour se remettre en question. La peur, les personnes dans la détresse et qui ont mal en sont un motif suffisant. Mais si effrayante soit elle, c’est cette douleur ressentie dans la population qui apporte la force, si on s’autorise à la ressentir dans toute sa réalité. L’accepter permet la puissance, laquelle permet de se relever. La résilience est le plus merveilleux des dons, que de pouvoir endurer les erreurs et la douleur sans être brisé et ce don trouve sa source dans le pouvoir le plus humain qui soit, l’ESPOIR.
Nous avons besoin de réussir à espérer encore. L’humanité a toujours été terrifiée par la différence et l’inconnu, que dire d’une population, composante d’un Etat rescapé d’un processus transitionnel, qui joue son avenir. Mais cela doit être fait et nous pouvons commencer par tirer les leçons de notre vrai passé, notre HISTOIRE. Le passé, un monde indéterminé qui conditionne le présent, un monde aux possibilités innombrables, aux dénouements infinis, qui propose une multitude de choix qui scellent notre destin. Chacun de ces choix, chacun de ces instants est comme une vaguelette dans le fleuve du temps. Avec le nombre nécessaire et suffisant de ces vaguelettes, c’est le cours du fleuve qui change, car l’avenir n’est jamais connu d’avance. Nous devons impérativement diagnostiquer les raisons du désastre, du désordre et du désespoir qui plie les genoux d'un monde à bout de souffle, de mythes, de style de vie, d’être et de morale. La société internationale et ses institutions ne sont sûrement pas responsables de la mauvaise gestion des comptes publics tunisiens par les gouvernements successifs depuis six ans, ne sont pas responsables de l'idéologie qui nuit à la gestion paritaire de certains comptes de la nation, notamment les comptes sociaux, ne sont pas responsables du caractère idéologique de certains syndicats Tunisiens, qui tentent systématiquement de bloquer toute réforme améliorant notre économie, ne sont pas responsables du manque de productivité de la fonction publique, ne sont pas responsables de l'appétence des Tunisiens pour l'immobilier, au détriment de l'entreprise, de la création de richesses et d'emplois, ne sont pas responsables du fait que les banques ne prêtent pas aux entreprises pour l'immatériel (embauches, études et recherches, export, rachats, reconversions), ne sont pas responsables de notre incompréhension de l'économie réelle, ne sont pas responsables de nos idéologies étriquées, contre le Maghreb au nom de la sacrosainte souveraineté, ne sont pas responsables de l’indolence et de l’inconscience collective qui règne dans le pays Tunisie.
Ne perdons plus de temps dans une logique d’« après moi, le déluge », mais plutôt à imaginer les nouveaux outils qui nous permettrons de proposer notre modèle de société. Il devra être crédible, vivable, financé et pérenne. Nous ne vivons pas seuls, ni en villages isolés. Et même si on ne peut changer le monde d'un coup, je reste persuadé que nous pouvons montrer l'exemple au niveau de notre région et/ou de notre pays. Alors nous devons passer à l'action. Maintenant !
Enthousiasme, confiance, espérance, des mots malheureusement quasiment disparus de notre langage national qu’il va falloir réhabiliter et que nos enfants devront apprendre. Un certain nombre de sociétés et de citoyens portent pourtant haut, loin et fort les qualités, le savoir-faire et la motivation de notre nation.
Sur un autre plan, la société politique tunisienne est en crise d’adolescence. Toutes nos personnes politiques viennent du même moule, qui n'a pas su évoluer et donc faire évoluer les mentalités. La Tunisie vit une crise de responsabilité. Les élections sont annoncées officiellement pour le Dimanche 17 décembre 2017, date butoir. L’ISIE, s’est engagée à tout préparer pour cette échéance. La concertation, avec le gouvernement, les partis politiques et la société civile, présage-t-elle de l’aspect hautement technique de la préparation de l’évènement. Des doutes légitimes subsistent lorsque l’on considère la masse de ce qui reste à faire pour l’évènement:
- L’adoption du Code des collectivités locales par le gouvernement en Conseil des ministres, ensuite son adoption par l’Assemblée des représentants du peuple, sa signature et sa promulgation, tout cela avant la fin août 2017 (soit à peu près trois mois) ; il n’est pas aisé de discuter et d’adopter un instrument comme celui-là lorsqu’on sait qu’il s’agit d’un texte qui compte environ 400 articles, tous déterminants pour l’avenir de notre pays.
- Ensuite, la délimitation, avec précision, des circonscriptions municipales, pour dresser une carte territoriale afin d’assurer la répartition des centres et bureaux de vote par l’ISIE. Cela suppose que tout le territoire tunisien soit desservi en municipalités (création de municipalités nouvelles lorsque certaines zones n’en sont pas pourvues) ;
- L’inscription des électeurs sur les listes électorales, à partir du 19 juin 2017 ;
- Le gouvernement doit donner congé et dissoudre les délégations spéciales, au plus tard le 19 avril 2017. Cette opération sera accompagnée de tout un ensemble de mesures complémentaires relatives au personnel à recruter, au financement de la campagne d’élections ;
- L’ouverture du dépôt des candidatures, de la campagne électorale, son déroulement, …
- La mise en place du Conseil supérieur de la magistrature ;
- La mise en place des Tribunaux administratifs régionaux ;
- Détermination des conditions de déroulement des élections régionales et municipales ;
- L’organisation du vote des sécuritaires.
Serons-nous prêts dans une période aussi courte ? Le risque d’erreurs est grand et il ne faudrait pas que dans la précipitation, les opérations soient bâclées ou que des conditions essentielles soient escamotées au nom du respect des délais, que ce soit la mise en place du cadre législatif et règlementaire ou que ce soit l’encadrement juridique des personnels de l’ISIE. Accélérer les procédures et les opérations n’est sûrement pas la bonne méthode, ni raisonnable. Il y a aussi le risque de voir une mainmise des partis les plus importants et qui bénéficie des moyens humains et financiers nécessaires. Quant aux autres, soit ils sont trop nouveaux, soit qu’ils ne représentent que des tranches marginales de l’électorat. La scène politique est sinistrée depuis 2014, bloquant par la même le développement d’une vraie culture démocratique émergente et résiliente. Le libre choix démocratique est quasiment devenu un choix bipolaire, toutes les autres composantes politiques étant dans une phase d’introspection et cherchant encore leurs marques. Il ne s’est pas développé jusqu’à présent d’opposition constructive et dynamique en dehors de l’Assemblée des représentants du peuple.
Il s’ensuit que les élections annoncées sont d’ores et déjà un désastre juridique et intellectuel au niveau de la préparation mais aussi, tant il est vrai que le jeu est faussé à la base par des ambitions mesquines et terre à terre de conquête du pouvoir pour le pouvoir. Aucun candidat ne croit en notre potentiel positif, ce qui donne la part belle à l'exploitation de la bassesse et de l'agressivité enfouies en chacun de nous. Aucun candidat ne rêve ni ne nous fait rêver, d’amélioration. Ils ne pensent qu’à leur ascension, sans se soucier du reste ni de personne. Pourtant les rêves et les idéaux sont nécessaires pour espérer changer un système ancré dans le temps et qui a épuisé ses ressources. Mais pour rendre réel ce changement, un renouvellement des mentalités est nécessaire. Pour atteindre son but, le chemin entre rêve et réalité doit être pavé de persévérance, de conviction, d'intégrité, d'une dose de remise en question, de patience, d'humanité et, d'amour, sans lequel on ne peut s'accepter les uns les autres dans nos différences, ni apprendre à les respecter, ni construire un édifice commun (une société, une nation). Sur ce chemin, on y rencontre forcément des murs de pensées, la corruption, des intérêts égoïstes, la quête du pouvoir, du confort laxiste, de la violence, etc., ...et plus banalement, du découragement, de la résignation, des petits compromis, qui peuvent essayer de nous faire perdre insidieusement le cap. L’essentiel est de continuer d'avancer dans la bonne direction, sur ce chemin pas seulement pavé de bonnes intentions et de naïveté, mais de choix concrets quotidiens, d'abord invisibles pour le monde mais dont la somme pourrait voir naître une vraie réforme.
« Que ne vive point en Tunisie qui ne sert dans ses rangs », nous commande l’un des vers au coeur de notre hymne national.
Avions-nous, et maintenant encore, besoin de toucher le fond pour croire en l'avenir et réagir ? Misons plutôt sur un projet porteur d'humanité, d'écologie et de solidarité qui assure un avenir tunisien.
Monji Ben Raies
Universitaire,
Enseignant et chercheur en droit public et sciences politiques,
Université de Tunis-El Manar,
Faculté de Droit et des Sciences politiques de Tunis