News - 09.04.2017
Dr Slimane Ben Slimane parle du 9 Avril 1938
Nous sommes le 9 avril 2017. Près de 80 ans sont passés depuis les évènements sanglants de 1938 qui marquèrent un tournant dans la lutte de notre pays pour l’indépendance.Ci-après le témoignage du Dr Slimane BEN SLIMANE extrait de son livre « souvenirs politiques ». Membre du Bureau Politique du Néo-Destour, le Dr BEN SLIMANE parle de sa tournée dans le nord pour mobiliser tunisiennes et tunisiens en faveur de cette action stratégique du parti nationaliste.
« La tension montait dans le pays et le Résident Général Guillon était venu prononcer des discours à Béjà et Souk El Arba, le Dimanche 3 Avril, la veille de notre arrestation. C’était pour dire : « Depuis quelques jours, il y a des agitateurs qui entendent la troubler (la collaboration franco-tunisienne). Des propos ont été tenus publiquement qui constituent une propagande coupable, criminelle. Ces responsables seront poursuivis. Sous la garantie des lois, ils auront à répondre de leurs actions... ». Nous avions appris la nouvelle de cette tournée du Résident dans l’après-midi du Dimanche 3 Avril. Mustapha El Ichi, gros propriétaire à Souk El Khemis et ami du Néo-Destour, était venu nous inviter à dîner chez lui. Plusieurs membres de cette famille sympathisaient avec le Néo, l’un d’eux était un responsable dans la cellule de Souk El Khémis. Nous avions accepté l’invitation.
Après avoir dîné, nous avions repris le chemin de Souk El Arba pour rentrer à notre quartier général….
Le lendemain matin, 4 Avril, nous devions tenir une réunion à Oued Melliz. Nous nous préparions à partir avec Mohamed Ben Amara, un bon et sympathique militant de Souk El Arba lorsqu’on est venu nous avertir que nous étions convoqués au commissariat. Avant de nous y rendre, nous avions revu Mohamed Ben Amara et nous lui avions dit de partir déjà pour Oued Melliz et d’y tenir la réunion prévue. Ce fut une réunion sur un fond d’événements sanglants et il restera dans l’esprit des Tunisiens que nous étions présents à cette réunion et à ces événements.
Au commissariat, nous avions attendu un bon moment avant de voir le Commissaire… Probablement, on était en train de préparer l’inculpation au caïdat et ailleurs pour nous incarcérer. En effet, quelques instants après, on est venu nous avertir que nous étions arrêtés.
Conduits à la prison, nous avons été enfermés ensemble dans une cellule. Si Youssef me dit que le repas des Ichi était un mauvais augure. De notre cellule, nous entendions de temps en temps les cris des manifestants dans la ville. Le geôlier nous en avait dit un mot à la sauvette. On ouvrait d’autres cellules pour de nouveaux destouriens. Le soir arrivé, il a fallu se coucher sur la dure. Ce n’était ni facile ni agréable. Si Youssef était déjà un vétéran. Je faisais mes premières armes. Quelques heures après, dans la nuit noire, on entendit ouvrir énergiquement la porte de notre cellule et, réveillés, on vit des lampes électriques tenues par des hommes trapus qui criaient “Allez, levez-vous !“. Levés, nous fûmes conduits devant la prison où, après quelques conciliabules entre les gendarmes et les civils, nous fûmes installés dans une auto qui démarra. Nous étions encadrés par des inspecteurs de police et silence pendant tout le voyage. En cours de route, on procéda à un changement de gendarmes de l’escorte.
Arrivés Mardi 5 Avril au petit jour à Tunis, nous fûmes transférés au Palais de Justice. Le juge d’instruction, Darrodes, nous inculpa et nous voilà envoyés à la prison civile .
L’atmosphère générale était encore détendue. Installé seul dans une cellule, j’apprenais l’arrivée de Salah Ben Youssef et Hédi Nouira. Nous n’étions pas complètement isolés de l’extérieur. Les premiers jours de la prison se passaient sans trop de secousses. Ce sont les événements de l’extérieur qui influaient, sur la vie de la prison. C’est à partir du 9 Avril que les choses ont commencé à changer.
Pendant notre courte promenade de l’après-midi de ce même jour, le bruit de la fusillade nous arrivait nettement et à l’ampleur du drame qui se jouait dans les rues entre les Tunisiens désarmés et les forces de répression brutale qui souhaitaient impatiemment ce jour, l’angoisse me prenait au cœur. Au moment de la fusillade, il y eut un branle-bas dans l’administration de la prison. Je crois qu’on avait même tiré du mirador. Troublés, angoissés, car nous étions dans le tunnel sombre de la lutte, avec la répression implacable de l’ennemi et la résistance inflexible des patriotes, il fallait rester debout et ferme devant les souffrances et la mort des autres, et surtout, il ne fallait pas succomber soi-même devant les souffrances et la mort. Angoisse et fermeté !
Vers la fin de la journée du 9 Avril, des cris de manifestants nous arrivaient de l’extérieur. Le lendemain, 10 Avril, ce fut l’arrestation de Bourguiba et d’autres destouriens. L’après-midi, nous étions tous réunis dans une chambrée… »
Ce témoignage est destiné aux jeunes et à nos dirigeants d’aujourd’hui. Plus particulièrement, à ceux qui sont censés assurer notre transition démocratique et qui ignorent le rôle du Dr Slimane BEN SLIMANE dans la lutte nationale et le combat pour une Tunisie démocratique dont il fut une des figures de premier plan.
Professeur Moncef BEN SLIMANE
(1) Lors d’une conversation avec Youssef Rouissi –Avril 1967-celui-ci m’apprit qu’au moment de notre arrestation à Souk El Abra, puis de notre transfert à Tunis, nous avions décédé, lui et moi, de déclarer devant le juge d’instruction français tous les mots d’ordre de notre dernière tournée, en particulier : sabotage des voies de communication, refus de payer l’impôt, de répondre à la mobilisation pour le service militaire, etc. Tahar Sfar qui était notre avocat à cette époque, était venu nous voir pour nous transmettre les directives de Bourguiba : taire ces mots d’ordre extrémistes devant le juge d’instruction.