Mohamed Larbi Bouguerra: Le secret d’Obama pour survivre au stress de la maison blanche
A l’heure où s’ouvre à Tunis la 33ème édition de la Foire Internationale du Livre**, il est intéressant de parcourir l’interview accordée par le Président Obama à Michiko Kakutani, rédactrice en chef de la critique littéraire au New York Times. Cette interview a eu lieu à une semaine du départ de la Maison Blanche du premier président noir des Etats Unis (The New York Times, 16 janvier 2017).
Bien entendu, le passage de ce président à la tête de la superpuissance américaine est loin laisser de bons souvenirs dans notre sphère culturelle arabe quand on pense à son discours à l’Université du Caire, à ses piteuses reculades lorsque le régime de Damas a franchi « la ligne rouge » et utilisé les armes chimiques au printemps et au cours de l’été 2013 contre son propre peuple, à ses dérobades dans le conflit israélo-palestinien et à l’immense aide militaire accordée à ce gouvernement de racistes et de fanatiques que dirige l’extrémiste Netanyahou qui l’a pourtant tant humilié.
Ce qu’il dit des livres éclaire cependant sa personnalité et permet de saisir l’homme, ses ressorts profonds et sa résistance face à l’énorme pression du quotidien, à la Maison Blanche, au centre névralgique du pouvoir américain qui a des bases militaires dans 50 pays de la planète.
Dans le Bureau Ovale, le vendredi 13 janvier 2017, Obama s’est longuement confié à la journaliste du New York Times et lui a parlé du « rôle indispensable » que les livres ont joué au cours de sa présidence et tout au long de sa vie de nomade en Indonésie d’abord puis à Hawaï par la suite. Les livres – « ces mondes portables »-lui ont tenu compagnie dans sa jeunesse. Ils lui ont permis de découvrir qui il était, ce qu’il pensait et ce qui était important.
Durant les huit années passées à la Maison Blanche, dans une époque saturée d’informations bruyantes, face à un sectarisme politique exacerbé et devant des réactions impulsives, les livres ont été une source durable d’idées et d’inspiration pour Obama. Il leur est redevable de la compréhension des complexités et des ambiguïtés de la condition humaine. « A cette époque d’évènements trop rapides et d’informations trop nombreuses, la lecture m’a donné les moyens de faire baisser rythme et tension et a permis de me mettre à la place de l’autre. Ces deux éléments ont été inestimables pour moi. Je ne saurais dire s’ils ont fait de moi un meilleur président mais je peux affirmer qu’ils m’ont permis de garder mon équilibre au cours de ces huit années dans un endroit qui vous happe avec force et où l’intensité ne baisse pas» déclare-t-il à Michiko Kakutani. A cet égard, Obama déclare que les écrits de Lincoln, de Martin Luther King, de Gandhi et de Nelson Mandela ont été « particulièrement précieux quand on cherche un sens à la solidarité. Dans des moments très difficiles, la fonction présidentielle peut fortement isoler. C’est pourquoi, par moment, vous avez envie d’enjamber l’Histoire à la recherche de personnes qui ont eu ce sentiment d’isolement ».
Comme Lincoln, Obama a appris à écrire et c’est ainsi que, pour lui, les mots sont devenus un moyen de se définir et de communiquer au monde ses idées et ses idéaux. Michiko Kakutani écrit que « La vision historique longue et l’optimisme de M. Obama trouvent leurs racines dans ses lectures, dans sa connaissance de l’Histoire (et ses zigzags inattendus), dans sa fréquentation assidue d’artistes comme Shakespeare qui voyait la condition humaine dans son entier : avec ses folies, ses cruautés et ses dérapages fous mais aussi avec sa résilience, sa décence et ses actes de générosité. « Les œuvres du grand dramaturge anglais ont été pour moi fondamentales, fondatrices pour comprendre comment certains schémas se répètent et impactent les êtres humains ». Obama rappelle que les œuvres de Baldwin, de Hughes, Wright, Dubois et Malcolm X lui ont donné la conscience de sa condition de Noir aux Etats Unis, lui qui est né d’un père qui a quitté le Kenya à l’âge de deux ans et d’une mère originaire du Kansas. Plus tard, au cours de ses deux dernières années de faculté, il s’est livré à une profonde introspection et a méthodiquement travaillé sur les philosophes, de Saint Augustin à Nietzsche et d’Emerson à Sartre pour mettre à l’épreuve ses propres croyances. Aujourd’hui encore, la lecture constitue une part essentielle de sa vie. Il a récemment offert à sa fille Malia une liseuse Kindle avec des livres qu’il tenait à partager avec elle comme « Cent ans de solitude » de Gabriel Garcia Marquez. Tous les soirs, à la Maison Blanche, il lisait parfois tard dans la nuit. Une façon pour lui d’échapper mentalement aux dossiers et aux mémoires de politique sur lesquels il avait travaillé toute la journée, « un moyen de sortir de la bulle Maison Blanche » confie-t-il. Certaines lectures l’ont aidé dans sa campagne, en 2008 et lui ont permis de renouer avec ses grand ’parents originaires du Midwest. Obama a appris par cœur le début du roman « A la courbe du fleuve » de l’écrivain britannique V.S. Naipaul (Prix Nobel de littérature 2001) : « Le monde est ce qu’il est ; les hommes ne sont rien, celui qui devient rien n’a pas de place dans ce monde-là ». Je pense toujours à cette phrase quand j’évoque la dureté du monde parfois, notamment quand il s’agit de politique étrangère. Je résiste et je combats cette vision cynique et plus réaliste du monde. Pourtant, il y a des moments où il m’arrive de sentir que cette phrase est vraie ».
M. Obama est entré à la Maison Blanche comme écrivain et le voilà qui retourner à la vie privée comme écrivain puisqu’il se propose, avec son épouse, de publier ses mémoires – journal de son séjour à la tête des Etats Unis et qu’il « n’a pas tenu avec la discipline qu’il aurait souhaitée » confesse-t-il au New York Times.
L’ancien président aime la société des écrivains et début janvier il a déjeuné avec cinq auteurs qu’il admire. Il déclare au quotidien new-yorkais qu’il va « élargir le lectorat des bons livres » via le website du Centre Présidentiel, ce qu’il a toujours fait du reste en publiant régulièrement une liste de livres recommandés et en encourageant le public à « parler des livres ».
Et Barack Obama de conclure : « A une époque où une grande partie de notre politique essaie de traiter ce clash des cultures né de la globalisation, de la technologie et de l’émigration, le rôle des livres et de ce qu’ils disent est d’unifier. Il consiste à s’opposer à la division, d’entrer en contact avec les gens plutôt qu’à les marginaliser : ce rôle n’a jamais été plus important ».
L’ironie du sort a été que ce président cultivé cède sa place à un homme de la téléréalité. Ce qui n’est pas sans rappeler le personnage de Big Brother dans le splendide ouvrage « 1984 » du Britannique Georges Orwell…qu’Obama ne cite malheureusement pas dans ses lectures et où le totalitarisme, la surveillance et l’espionnage continuels sont décrits avec une minutie chirurgicale.
Mohamed Larbi Bouguerra
** Il est à souligner que le livre et les écrivains tunisiens étaient aussi présents au Salon du Livre de Paris (24-27 mars 2017).