Nejib Chebbi : L’impasse
«Une seule solution s’offre à nous pour économiser ce temps on ne peut plus précieux : la démission volontaire du ministre (de l’Education) », estime Néjib Chebbi dans une Tribune libre adressée à Leaders. Il explique pourquoi.L’épreuve de force entre le ministre de l’Education et les syndicats de l’enseignement a atteint un point de non retour. Pour la deuxième année consécutive, le sort de nos enfants et l’avenir de notre pays se trouvent pris en otage. Les syndicats n’ont pas de revendications salariales ou presque, ils ne demandent, ni plus ni moins, que le départ du ministre de l’éducation, pour les avoir humiliés et avec lequel ils ne peuvent plus s’entendre. C’est une première ! A les entendre, ce n’est plus au Bardo que se font et se défont les gouvernements mais à la Place Mohammed Ali ! Et à les croire, on ne verrait plus à quoi serviraient les urnes ni pourquoi le peuple serait-il à nouveau appelé à voter!
D’un autre côté, le ministre aime la polémique et s’adonne volontiers à ce sport qui irrite les enseignants et leurs représentants syndicaux. Ce faisant, on oublie et la stabilité politique du pays et les enjeux, ô combien cruciaux, de la réforme éducative.
Dans le domaine de la connaissance et de l’innovation, la Tunisie est à la traine, on le sait. Son système éducatif est obsolète, son système de formation déconnecté du lycée, des universités et des centres de recherche. La révolution numérique nous atteint plus par son impact que par son intégration maîtrisée dans notre système d’éducation, dans notre administration ou notre système de production. Le réseau de clusters que nous a légué l’ère Ben Ali a rejoint notre patrimoine archéologique.
Il faut reconnaître que sur ce point, le ministre de l’Education a mis le doigt sur l’origine du mal. Il a élaboré un projet de réforme de l’enseignement primaire et secondaire. La compartimentation de notre régime de gouvernance en départements distincts de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la formation, ne lui a pas permis de pousser la réforme jusqu’à son terme, l’obligeant à se contenter de déclarations de bonnes intentions sur les passerelles à établir entre les différents cursus de formation. Passerelles, pourtant nécessaires au succès de la réforme et à la mise en orbite de notre pays sur la voie du progrès scientifique et technique. Il n’a pas oublié de signaler la place qu’occupent les ressources humaines dans ce grand projet : revisiter le rôle respectif de l’apprenant et de l’enseignant dans la nouvelle école apprenante», réviser à la lumière de cette nouvelle ingénierie pédagogique, les critères de recrutement des enseignants et organiser pour cela leur formation initiale, continue et tout au long de la vie. Il n’a pas oublié non plus d’évaluer le coût de ces différentes réformes et de les programmer dans le temps, à l’horizon de 2019. Ce qui nous interpelle et nous interloque à la fois c’est qu’il ne semble pas avoir saisi l’importance décisive d’associer les enseignants, les élèves et leurs parents à cette grande œuvre d’avenir.
Il est pourtant mieux placé que quiconque pour savoir que les tiroirs de l’administration tunisienne et particulièrement ceux du ministère de l’éducation regorgent de belles réformes qui n’ont jamais abouti en raison précisément de leur caractère bureaucratique, parachuté et coupé de l’élément humain appelé à leur donner vie !
Aujourd’hui, force nous est de reconnaître que ce beau projet, par delà ses imperfections, ses limites et ses insuffisances, est bel et bien dans l’impasse. Le ministre ne pourra pas le mener en passant pardessus le corps enseignant, irrité, hostile et hermétique à tout discours sur la réforme proposée.
Le gouvernement ne peut congédier sous la pression l’un de ses membres sans se déjuger lui-même, compromettre l’autorité de l’Etat et fragiliser encore plus le pays. Les syndicalistes, de leur côté, bien que divisés sur les moyens, semblent unis sur l’objectif et déterminés à l’atteindre : faire partir le ministre. Combien de temps encore va durer ce bras de fer ? Combien de temps va s’écouler encore avant de voir la nation prendre en main la première de ses priorités : réformer son système d’enseignement, de recherche et de formation et l’arrimer à son système de production?
Une seule solution s’offre à nous pour économiser ce temps on ne peut plus précieux : la démission volontaire du ministre. C’est d’abord un acte de réalisme politique, les choses étant ce qu’elles sont, il ne peut continuer à briguer la direction de ce département. C’est ensuite un acte de courage et d’abnégation. L’homme politique en gagnerait en crédibilité et en respect. Quant aux tendances anarchistes, non encore imprégnées de culture démocratique, le pays, aidé en cela par les syndicalistes eux-mêmes, n’aura que plus de temps et de moyens pour les ramener à la raison.
Nejib Chebbi