Mohamed Bel Haj Amor : Le grand militant patriote
Mohamed Bel Haj Amor nous a quittés le 30 janvier dernier pour un monde meilleur. Il demeurera un homme marquant pour tous ceux qui ont été ses amis, ses collaborateurs, ses compagnons de route et même ses adversaires politiques. Il est peut-être parti sur la pointe des pieds, mais sa vie aura été animée de bout en bout.
Certains —les plus nombreux— retiendront l’image du grand militant patriote qui s’est engagé depuis le lycée de Sousse dans la lutte nationale, ce qui lui vaudra d’être arrêté suite aux manifestations estudiantines d’avril 1952, d’être jugé et condamné à la prison ferme et à l’exclusion définitive de tous les établissements scolaires de Tunisie. Peine qui sera par la suite commuée en exclusion temporaire, ce qui lui permettra de reprendre ses études. En bon destourien engagé dans la lutte nationale, il passera par toutes les étapes et fera partie des structures « consacrées », l’Uget, le Néo-destour et l’Ugtt. Il prendra part au congrès constitutif de l’Uget tenu en juillet 1953 à Paris, pour ensuite faire partie du bureau exécutif pendant plusieurs années.
En marge de la politique, ingénieur diplômé de l’Institut national d’agronomie de Tunis, il consacrera une bonne partie de sa vie au développement rural et agricole, assumant plusieurs responsabilités au ministère de l’Agriculture, d’abord comme commissaire au développement agricole jusqu’à la direction du Groupement interprofessionnel des agrumes et des fruits qu’il quitta en 1977, lorsque son parcours politique viendra se télescoper avec son parcours d’ingénieur et de grand commis de l’Etat. Il assuma en outre plusieurs responsabilités au sein de la corporation des ingénieurs tunisiens et arabes. Secrétaire général de l’Union nationale des ingénieurs tunisiens, co-fondateur et vice-président du Conseil de l’ordre des ingénieurs tunisiens et président de l’Union des ingénieurs agronomes arabes, il se consacra à la défense de l’intérêt des ingénieurs et des agriculteurs en Tunisie et dans la région. En homme ouvert et « évolutif», il épouse vite la cause démocratique en s’impliquant dans la fondation du Mouvement de l’unité populaire autour d’Ahmed Ben Salah dès 1975, puis en constituant le Parti de l’unité populaire (PUP) en 1981 qu’il dirigera jusqu’en janvier 1999. Son passage au MUP lui vaudra deux années de prison, peine prononcée par la Cour de sûreté de l’Etat en 1977. Il connaîtra avec ses camarades les affres de la torture et des conditions carcérales inhumaines, mais cela n’entamera pas sa détermination à continuer la lutte pour une nouvelle Tunisie.
Il s’est toujours défini comme socialiste non marxiste, mais a été de tout temps le défenseur de la nécessité pour le pays d’avoir un grand secteur privé national dans l’ensemble des activités concurrentielles.
Ses camarades comme ses adversaires se souviennent de son charisme et de sa grande capacité d’écoute. Son intégrité et son attachement aux principes de dialogue étaient exemplaires et en avaient fait l’arbitre de plusieurs litiges. En 1999, le Parti de l’unité populaire le désignera comme candidat à l’élection présidentielle face à Ben Ali. Il avait hésité un moment pour finalement accepter, considérant que cette candidature devait servir d’exemple, démontrer qu’une autre politique était possible et mettre au jour les dérives de la dictature en matière d’accès aux organes d’information et de boycott des opposants par les autorités nationales et régionales.
Sans se faire d’illusions sur les résultats dans un pays où le mot « élection » rimait avec «falsification», il mena une campagne de terrain et organisa, non sans mal, nombre de meetings dans les différentes régions du pays. Au cours de sa campagne, il n’eut de cesse de dénoncer les inégalités sociales et régionales qui frappaient le pays. Il proposait alors de concentrer les efforts sur la réforme des institutions, l’enseignement, la formation et le développement durable, sujets qui restent à ce jour d’une brûlante actualité. Son discours politique fut clairement dirigé contre l’hégémonie du parti unique et le népotisme du pouvoir.
Il sera le premier secrétaire général d’un parti de l’opposition à quitter ses fonctions de sa propre volonté. Il continuera après cela à être actif au sein du Conseil de l’ordre des ingénieurs et de l’Union des ingénieurs arabes dont il a été l’un des présidents les plus en vue. Il continuera aussi à rencontrer beaucoup de dirigeants et activistes politiques de tous bords, surtout après 2011. S’il fut surpris en janvier 2011 par la chute brutale du régime, la révolution fit naître en lui l’espoir de voir se construire de son vivant la Tunisie nouvelle pour laquelle il s’était battu toute sa vie. Il restera, tout au long de son parcours, fidèle jusqu’au bout à son village natal de Moatmar, et à sa région du Sahel. Agriculteur, fils d’agriculteur fier de ses origines rurales, il était un homme simple qui aimait profiter de la plage de Skanès et des longues discussions politiques qui animent les après-midi et soirées des villes et villages du Sahel. Mohamed Belhaj Amor était un sage, bouillonnant d’activité. Il restera l’une des figures marquantes du microcosme politique de la Tunisie sous Bourguiba et Ben Ali. Le président Béji Caïd Essebsi, qui fut l’un de ses avocats lors du procès de 1977, a été parmi les premiers responsables politiques à présenter ses condoléances à la famille. Il délèguera son représentant personnel Lazhar Karoui Chebbi, un autre avocat de Si Mohamed au cours du même procès, pour assister à ses funérailles.