Pour une révolution dans l’agriculture : se passer des pesticides, protéger notre santé et notre environnement
Le fameux Salon International de l’Agriculture (SIA) de Paris, le 54ème du nom, s’est achevé dimanche 5 mars 2017. Il a, outre les candidats aux élections présidentielles françaises, attiré 650 000 visiteurs et 1050 exposants de 22 pays.
Ce Salon a permis de mesurer l’engouement des Français pour les produits de l’agriculture biologique, cette agriculture respectueuse des hommes et de la nature. Cette agriculture qui garde aux produits leurs saveurs et ne met en péril ni la santé des consommateurs ni celle des agriculteurs ni celle du voisinage comme les écoles, les hôpitaux... Cette agriculture qui n’utilise pas d’intrants toxiques et qui tient compte des alliés naturels du paysan : les lombrics et tous les vers de terre, les abeilles et tous les pollinisateurs, les oiseaux qui éliminent les insectes nuisibles des récoltes et des arbres fruitiers.
Notre ministre de l’Agriculture devait déclarer au SIA que « la Tunisie pourrait trouver facilement sa place dans le secteur de l’agriculture biologique » ajoutant que « l’agriculture tunisienne est en train de passer d’une agriculture classique vers une agriculture moderne tout en gardant une dimension humaine».
Alors, M. le ministre, à quand l’interdiction des épandages de pesticides par avion dans notre pays ?
Nécessaire recours a l’agriculture biologique
Notre pays n’est pas autosuffisant en céréales et il vient de passer commande de 125 000 tonnes de blé et d’orge à l’étranger. Les Tunisiens qui achètent plus de pain que nécessaire devraient tenir compte de cette donnée - s’ils veulent agir pour une moindre dépendance alimentaire de notre pays.
On ne peut qu’applaudir cependant à la création de cinq zones pilotes d’agriculture biologique et de 24 circuits touristiques et écologiques. Ce qui est de nature à soulager la balance commerciale de notre pays qui utiliserait – on l’espère - moins de pesticides toxiques importés et pourrait même arriver à s’en passer. A l’heure actuelle, 5000 tonnes de pesticides sont importés. Bien des utilisateurs affirment que ces produits chimiques sont de mauvaise qualité et inefficaces.
Passer à l’agriculture biologique ne se fait cependant pas avec un claquement des doigts. Il y a des obstacles à surmonter, de mauvaises habitudes à éliminer, une publicité à revoir et une formation des agriculteurs à faire. Mais rien n’est impossible au cœur vaillant de nos agriculteurs. Il suffit de les soutenir et de les accompagner en faisant appel à des chercheurs, des techniciens et des instituts de recherche. Il faut aussi que la loi encadre l’importation, les utilisations, le stockage, la revente de ces produits toxiques.
La France remporte la palme pour la consommation des produits de la chimie de synthèse en agriculture en Europe. Elle en utilise d’énormes quantités pour la production des céréales, du vin, des plantes fourragères, des fruits… La société civile, les associations ont toujours dénoncé cette frénésie de produits chimiques dont les résidus se retrouvent dans l’assiette du consommateur et dans l’environnement notamment dans les nappes phréatiques et des sols gorgés de produits toxiques. Les retombées négatives - voire dramatiques - de cette utilisation énorme ont été évoquées le 8 décembre dernier au Parlement Européen à Bruxelles : des victimes des pesticides sont venues témoigner sur les conséquences désastreuses que ces poisons ont eu - ou ont encore - sur leur vie avec leur cortège de lymphomes, d’allergies, d’infertilité, de troubles neurologiques…. Les pesticides de troisième génération (pyréthrinoïdes) sont soupçonnés d’induire des troubles du comportement chez l’enfant (Le Figaro, 3 mars 2017). Le New York Times (3 mars 2017) publie un long article sur un insecticide organophosphoré particulièrement dangereux : le chlorpyrifos. Cet acaricide est inscrit sur la liste du 19 juillet 2012 des pesticides autorisés dans notre pays comme, du reste, d’autres composés de cette classe de toxiques tel le redoutable malathion. Depuis 2015, la recherche montre que le chlorpyrifos est en mesure de provoquer des effets durables sur le cerveau des enfants exposés in utero. Aux Etats Unis, six millions de livres de chlorpyrifos sont utilisées sur plus de 50 espèces végétales comestibles. Son interdiction est envisagée dans ce pays. Scientifiques et juristes font du devenir de ce pesticide un test quant aux visées environnementales et de santé publique de l’Administration de Donald Trump toute acquise aux intérêts des multinationales de la chimie.
Face à cet effrayant tableau des méfaits des pesticides, l’action des associations et des syndicats a poussé le gouvernement français à lancer, en 2008, le plan Ecophyto placé sous la houlette du ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt. Il vise à réduire progressivement l’appel aux pesticides tout en maintenant une agriculture économique de qualité. D’ici à 2025, l’usage des pesticides serait réduit de 50% en France. L’Allemagne et les pays scandinaves ont adopté, depuis quatre décennies, une telle politique de réduction de ces intrants.
Réduire les pesticides ne nuit pas a la rentabilité
Question lancinante et légitime: si on diminue l’emploi des pesticides, ne va-t-on pas vers la ruine des agriculteurs ?
Il faut tout d’abord noter que les pesticides n’augmentent pas les rendements. Les engrais sont en mesure de le faire. Les pesticides ne peuvent que limiter les pertes provoquées par les nuisibles. Or, une étude réalisée par des chercheurs français de l’INRA, parue début mars 2017, montre qu’une réduction des intrants agricoles chimiques d’au moins 30% n’aurait pas d’effets négatifs sur la productivité agricole. Les chercheurs ont recueilli des informations sur 946 fermes de grandes cultures montrant des niveaux contrastés d’usages de pesticides et couvrant un large éventail de pratiques agricoles et appartenant toutes au réseau Dephy, créé dans le cadre du plan Ecophyto du gouvernement de réduction des pesticides. Les experts ont comparé la relation entre la fréquence des traitements et les rendements et en ont déduit la rentabilité économique de chaque ferme. Pour M. Nicolas Munier-Jolain qui a piloté l’étude - sans équivalent dans le monde - avec un doctorant, M. Martin Lechenet : « C’est une question très importante dans le débat public. D’un côté, il y a ceux qui estiment que l’agriculture conventionnelle est trop consommatrice de pesticides et assurent qu’on peut en réduire l’usage sans impacts négatifs ; et, de l’autre, ceux qui pensent qu’une baisse de l’usage des traitements phytosanitaires conduirait inéluctablement à la baisse des rendements. On a voulu approfondir le sujet ». Au final, les résultats de cette enquête sont significatifs : « L’usage des pesticides pourrait être réduit de 42% sans aucun impact négatif dans 59% des cas » Ce qui revient à « une réduction moyenne de 37% des herbicides, de 47% des fongicides et de 60% des insecticides ». La conclusion est sans appel, jubile M. Nicolas Munier-Jolain : « on peut baisser l’usage des pesticides sans affecter la productivité à l’échelle de la ferme… même s’il faut tenir compte des caractéristiques locales (région, type de sol, type de production, conditions climatiques). Dans 94% des cas, il est possible de diminuer la fréquence des traitements phytosanitaires en maintenant une productivité équivalente ou meilleure. Et en maintenant une rentabilité équivalente, ou meilleure, dans 78% des situations. Ces données suggèrent qu’une réduction des intrants agricoles chimiques de 30% est possible sans dégradation. Et on doit même pouvoir aller plus loin ». Mais il faut une adaptation des pratiques agricoles pour atteindre ces résultats. Il faut diversifier et mettre en place une rotation des cultures, il faut introduire des variétés plus robustes, fertiliser autrement, recourir au désherbage mécanique… comme le recommande un ouvrage de Grain « Hold up sur le climat » qui rappelle « car l’agro-industrie est la première cause du changement climatique » (Lire Denis Ruysschaert, « Pour une charte d’achat responsable sur l’alimentation des villes », Le Temps de Lausanne, 8 mars 2017, p. 10)
Dans le cas de notre pays et comme la production agricole est un enjeu sociétal central, cette démarche n’est possible que si l’agriculteur est assuré de ne pas y laisser des plumes : l’Etat doit alors l’accompagner pour lui donner confiance dans ces pratiques salutaires pour l’environnement et la santé des populations et populariser les méthodes de lutte alternative. Ainsi, l’agriculture tunisienne s’affirmera mieux sur le plan international où elle était présente au Foodex Japon du 7 au 10 mars 2017.
C’est de cette façon que nous pourrons développer l’agriculture biologique dans notre pays : en lui imprimant une Révolution copernicienne qui la libère des pesticides toxiques et protège la santé des Tunisiens, leur environnement et les générations futures.
Mohamed Larbi Bouguerra