Tunisie 2045 : quand la Tunisie devient une terre de refuge pour les Européens
L’heure est grave, ce jeune papa français doit se maintenir et sa petite fille malade au pays de la liberté et des droits de l’homme là où elle est en sécurité et bien prise en charge. Ce pays ? La Tunisie… en 2045. C’est dans ce scénario que le talentueux Ted Hardy-Carnac, jeune cinéaste français, nous immerge pendant les quelques minutes d’un court métrage profond en significations.
Ici les rôles sont inversés: c’est le nord qui demande refuge au sud. En 2045, l’Europe est dévastée par on ne sait quel fléau et la Tunisie devient le premier port de salut à quelques de heures de bateau. Stable et florissante, elle est alors une destination naturelle des réfugiés allemands, français et autres européens. Ainsi le papa et sa fille sont à la merci d’un cachet officiel que la fonctionnaire tunisienne effleure de sa main. Ce personnage, joué par l’actrice Nabiha Akkari, oscille entre la rigidité imposée par sa fonction et la tendresse attisée par son humanisme. Qu’adviendra de ces demandeurs d’asile?
Mais revenons à ce Ted, quelle mouche l’a piqué pour s’embarquer dans un tel projet? Sûrement la même qui l’a fait quitter son poste d’analyste crédit dans une grande institution de la place parisienne pour s’adonner complètement au 7ème art. Diplômé d’une Grande Ecole d’ingénieurs puis de l’ESSEC, il a troqué une carrière toute tracée de cadre supérieur contre l’incertitude du monde magique du cinéma. Mais qu’importe, il ne perd pas au change: après 4 courts métrages à succès, «Tunisie 2045» est une consécration avec84 sélections dans de prestigieux festivals nationaux et internationaux dont celle ce mois-ci au plus grand festival de cinéma français aux Etats-Unis, le French Film Festival à Richmond en Virginie. Avec aussi 11 prix décernés dont celui de la meilleure mise en scène au Nikon Film Festival où plus de 1000 films sont en compétition. Ce prix a valu au film d’être projeté pendant une semaine en prélude des long-métrages dans les salles de cinéma MK2 en France et d’être diffusé sur Canal+.
Alors à quoi est dû ce succès mondial? En premier, le scénario. Le film a été écrit et réalisé fin 2015 quand près d’un million de réfugiés avaient déferlé sur l’Europe créant la polémique entre pro et contre leur accueil. Alors du «et si on était à leur place?» est née l’idée empathique du court. Une fois le scénario ficelé, il restait à trouver un cadre de tournage à Paris qui rappelait la Tunisie et un casting ad hoc : autres clés de ce succès. Entre repérages et petites annonces, Ted et son équipe ont réussi à trouver le lieu et les acteurs taillés pour les rôles. Deux mois de préparation au total pour deux jours de tournage intensifs dirigés par une mise en scène habile, clé finale du succès.
Et pourquoi ainsi la Tunisie? Ted justifie ce choix d’abord par la raison: c’est un pays qui a montré que le sud pouvait transiter dignement vers la démocratie et que le chaos n’était pas la seule alternative à la dictature. Il n’est donc pas absurde de se le figurer en voisin paisible et prospère(à moyen terme) où les européens se réfugieraient naturellement en cas de catastrophe chez eux. Mais la raison profonde de ce choix doit sûrement venir du cœur: Ted Hardy-Carnac est tunisien par sa maman qui est née à Tunis dans une famille juive tunisienne et qui y a vécu jusqu’à ses seize ans. S’il n’a pas la nationalité, il ne manque pas de signaler l’attachement de sa famille maternelle à son pays. Notamment sa grand-mère qui a refusé toute autre nationalité que celle de ces aïeuls.
D’ailleurs, c’est peut-être en partie grâce à leurs récits que Ted magnifie ce pays et veut lui prédire cet avenir. Car avant le tournage Ted n’avait jamais visité la Tunisie…
Mourad Daoud