La Gouvernance, talon d’Achille de nos administrations et entreprises publiques
Nos administrations et nos entreprises publiques, souffrent d’une carence endémique de mécanismes et de culture de Gouvernance. Volontairement, je n’utilise pas la notion de « Bonne Gouvernance » ici, car la plupart de cesinstitutions publiquessont dépourvues même d’un niveau moyen de Gouvernance, avant de parler de « Bonne » Gouvernance. On y fait de la gestion, une certaine forme de management, mais pas de de Gouvernance.
Les conséquences désastreusesde cette carencesont connues de tous, sauf parfois de ceux qui en portent la responsabilité première. Ces conséquences correspondent à des déficits record des plus grandes entreprises publiqueset des services publics de plus en plus couteux et de moins en moins opérationnels. A cela il faut ajouter une conséquence indirecte de cette absence de bonne gouvernance : la relation exécrable que la plupart de ces institutions développent avec les citoyens et les usagers des services publics, qui ne trouve que peu de satisfaction à fréquenter ces services.
Par ailleurs, les déficits record de certains fleurons de l’économie tunisienne contribuent grandement audéficit budgétaire de l’état, appelétrop souvent à colmater les trous béants des finances de ces entreprises. Un déficit qui se compte malheureusement par milliards de Dinars.
Les causes profondes de cette situation préoccupante de services publics sont certes multiples, mais nous pouvons affirmer, sans grand risque d’erreur, que la mauvaise gouvernance est la cause principale de cette situation dramatique.
Remédier à cette carence debonne Gouvernance des institutions publiques est d’abord l’affaire des Dirigeants de ces institutions, mais aussi de l’état, représenté par les ministères de tutelle de ces institutions. Il se trouve qu’un ministère de la bonne gouvernance existe depuis plusieurs mois, c’est une bonne idée et un bon signe ; il témoigne d’une certaine prise de conscience de la problématique. Espérons que ceux qui en ont la charge prenne la mesure de l’enjeu pour le pays, mettent en place les mécanismes, les politiques et les expertises nécessaires, et ne se limitent pas aux discours creuxet la langue de bois, art fort bien partagé par le personnel politique.
Oui, la bonne gouvernance est d’abord une question de Politiquesmanagériales, mais en aucun cas une question de politique politicienne. Pour qu’elle devienne une culture de management, la bonne gouvernance exige de la vision, de l’expertise, de la rigueur et de l’endurance.
Les explications qui suivent et qui concernentles principaux mécanismes deGouvernance visent à démontrer à quel point ces mécanismes sont indispensables pour garantir un niveau de Qualité et des performances acceptables.
Alors qu’est-ce que la Gouvernance?
Commençons par clarifier une confusion fréquente entre Gouvernance et Management.
La Gouvernance et le Management sont en effet deux concepts qui couvrent des activités complémentaires, mais elles sont différentes.
La Gouvernance couvre 2 dimensions stratégiques essentielles, à savoir :la Planification et l’Evaluation de toute mission ;De son côté le Management couvre 4 dimensionsopérationnelles majeures, à savoir: la Conception, le Déploiement, l’Exécution et le Suivi d’une mission.
PDCA (Plan, Do, Check, Act)
Une démarche définie par le Statisticien Américain William Edwards Deming (1900 – 1993), visant à améliorer la productivité des usines dans les années 1960, est devenue une référence en matière de Gouvernance et de management des organisations.
Cette démarche nommée PDCA (Plan, DO, Check,Act), porte l’appellation de « Roue de Deming », en Français. Elle peut être schématisée de la manière suivante:
PDCA est une démarche de bon sens, elle démontre qu’aucun travail efficace et performant ne peut se passer des 4 phases suivantes:
- Planifier (Plan): Tout doit être fait dans le cadre d’une Vision, d’une stratégie et d’un plan d’action
- Réaliser (DO): Le travail à faire, est effectué selon des procédures et des processus de travail appropriés.
- Evaluer (Check): le résultat de tout travail doit être évalué, grâce à des Mesureseffectués sur la bases d’indicateurs d’évaluation appropriés et mesurables et des objectifs claires et atteignables.
- Agir (Act): Les résultats des évaluations doivent toujours faire l’objet d’un plan d’actions correctives, si des anomalies sont constatées.
Comme on peut le constater, la Planification et l’Evaluation sont deux piliers de la démarche PDCA. Elles représentent en effet les phases de Gouvernance du modèle
A- Planification
Dans sa représentation la plus commune et la plus fréquente, la planification consisteà découper et organiser une mission en sous-missions, définir des liens et des priorités entre ces sous-missions et proposer un plan de réalisation de l’ensemble.
Cette planification vise à simplifier la gestion et la réalisation des activités ; Elle permet d’établir des échéanciers, de définir les ressources nécessaires à la réalisation de chaque activité et par conséquent, les coûts et les budgets nécessaires.
Planifier est un métier qui nécessite des compétences, des outils et des techniques de plus en plus élaborés. La planification ne peut avoir ni la prétention ni l’objectif d’aboutir à une réalisation à 100% des plans proposés ; Elle doit juste viser à s’en approcher le plus possible, et ce grâce à des estimations solides, réalistes et pertinentes.
Pour cela, l’expérience, les outils, les processus et les procédures de planification doivent être de grande qualité. Mais il y a aussi besoin d’une gestion efficace des données et de systèmes d’information performants, que toute administration et toute entreprise publique se doit de mettre en place. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas, j’en veux comme preuve la qualité déplorable des systèmes d’information de plusieurs administrations et entreprises publiques, tant au niveau de l’infrastructure informatique et réseau que des solutions logicielles dont elles disposent. Nous sommes encore loin des solutions de type BI (Business Intelligence) et « E-Governement » !
Cette approche de l’Evaluation, bien que limitée, elle constitue un atout majeur de Gouvernance,lorsqu’elle est mise en place et appliquée proprement. Ce n’est pas toujours le cas.
Mais, la planificationen tant que pilier de la bonne Gouvernance des organisations, il faut l’entendre comme quelque chose de bien plus important que la simple définitiond’un échéancier oud’un plan annuel ou quinquennal (ou autre). C’est d’abord, la définition d’une Vision et d’une politique selon lesquelles un tel plan d’action et de mise œuvre sera élaboré.
Une Vision iciest une perception et une représentation de sa propre mission, au présent et dans le future (à court, moyen et long termes). Laquelle mission doit être totalement basée sur une perception précise des besoins du client ou de l’usager pour lequel cette mission est conçue. Elle sera forcément évolutive (cette mission) et ce en fonction de son contexte et/ou son marché, qui doivent être scrutés et analysés en permanence et avec grande attention et grande expertise.
C’est cette vision qui permet de définir une Politique pour son action. En effet, toute administration, toute entreprise et toute organisation au sens large du terme, se doit d’avoir une politique pour chacun de ses domaines d’action et d’activité.
Surun plan pratique, pour une entreprise X, nous trouverons une Politique de production, une politique commerciale, une politique de Gestion des Ressources humaines, une politique des Achats. Pour des ministères nous pourrions trouver, en fonction de son secteur, une politique sociale, une politique d’Education, une politique d’emploi, mais aussi une politique interne de gestion des carrières, une politique de recrutement, une politique de communication ou une politique de Relation avec le citoyen.Toutes ces politiques définissent le cadre, les orientations, les choix stratégiques et le référentiel de l’action de l’organisation concernée dans chaque domaine de son activité.
Des politiques justes et appropriées, c’est quelque chose d’essentiel, notamment pour l’efficience de toute organisation, quel que soit son activité et quel que soit sa taille. En effet l’efficience s’appuie sur 3 leviers qui commencent, tous les 3, par la lettre P:
- P comme Politique ;
- P comme Pratiques
- et P comme Prix.
• P, comme Politique: La Politique de management de toute activité détermine les choix et les priorités qui doivent guider l’activité en question. Cette activité peut consister à fournir un service public aux citoyens,Gérer les Ressources Humaines d’une entreprise ou fournir un produit à des clients. En l’absence d’une politique claire, ou en cas de politique incohérente, confuse, ou méconnu, l’action devient inévitablement désordonnée, incohérente et incompréhensible pour les autres parties prenantes. Il y va donc du sens même de la mission de l’organisation concernée et de son périmètre d’action. Or, se tromper de mission ou de périmètre pour une entreprise ou une administration, c’est comme un « hors sujet » pour un candidat à un examen, le Zéro n’est pas très loin. Faire de la bonne Gouvernance, c’est d’abord avoir une politique de référence, à laquelle doit se conformer l’ensemble de l’action de l’institution.
Malheureusement, l’examen de près du fonctionnement de nos administrations et nos grandes entreprises publiques laisse souvent un goût amer d’absence de Politiques claires, aussi bien dans l’accomplissement de leurs missions et leurs programmes, que dans le management de leurs propres ressources internes.
Pour ce qui est des deux autres P de « Pratiques » et de « Prix », on s’étendra moins sur ces deux concepts, dans le cadre de cet article.
P, comme Pratiques. En effet, une bonne politique ne suffira pas, si elle est juste déposée au fond d’un tiroir.
Tant que les Pratiques ne sont pas conformes à la Politique définie par l’organisation, les résultats seront toujours non satisfaisants. Il est indispensable d’évaluer en permanence les pratiques et s’assurer qu’elles soient conformes aux politiques décidées par l’organisation. Cela aussi fait partie de la bonne Gouvernance.
• P, comme Prix. Une performance, un service ou un Produit est jugé satisfaisant (ou pas satisfaisant)uniquement par rapport à un objectif et un coût. Cela s’appelle l’Efficience, elle consiste à livrer le bon niveau de Qualité au bon Prix. Le bon niveau de Qualité est celui attendu par le client ou l’usager et sur lequel l’organisation s’est engagée (ni plus ni moins).
B- Evaluation
L’évaluation est le second pilier de l’approche PDCA et de la Bonne Gouvernance.
L’évaluation est le maillon faible de la chaine de gouvernance des organisations. Cela est démontré dans tous les travaux spécialisés. Bien que constaté dans toutes les régions du monde, ce phénomène semble être plus fréquent dans les pays latins et les pays de sud que dans les pays Anglo-saxons.
Evaluer, c’est mesurer, constater, analyser, comprendre les causes profondes et corriger. Cela doit être fait de façon continue, comme une roue qui tourne sans arrêt.
Evaluer les besoins d’une personne, d’un client, d’un usager, d’un groupe, ou d’un pays est la condition première et indispensable pour pouvoir apporter des vraies réponses à des vrais besoins et obtenir ainsi sa satisfaction. Cette Evaluation n’est pas toujours facile, n’est pas toujours prise en compte, n’estjamais définitive, mais elle est toujours indispensable.
Evaluer est le seul moyen de bien connaitre une situation et décider des actions à mettre en place pour l’améliorer et la faire évoluer vers une situation plus satisfaisante.
Evaluer est une action clé de la bonne gouvernance, elle seule peut permettre de prendre des décisions justes et justifiées. L’Evaluation est un acte qui s’intéresse autant à la bonne performance qu’à la mauvaise. La bonne performance est alors confirmée et reproduite autant que possible et la mauvaise performance est analysée, traité et corrigée.
L’évaluation exige des critères fiables, mesurables et pertinents, ainsi que des objectifs claires et atteignables, par rapport auxquels l’évaluation doit être effectuée.
Toute administration, toute entreprise publique, ainsi que chaque service et chaque département de ces entreprises et ces administrations se doit d’avoir et de réclamer des critères d’évaluation, des objectifs par rapport à ces critères et des processus claires d’évaluation de sa mission.
Enfin, évaluer est bien plus qu’effectuer des relevés d’activité, c’est malheureusement ce que nous pouvons constater assez souvent, notamment lorsqu’on évoque la question de l’évaluation des performances dans les administrations et les entreprises publiques.
Faute d’une bonne gouvernance, fondée sur des vrais outils de Planification (Vision, Politiques, Stratégies et Plans) et d’évaluation (Objectifs, Critères, suivi, …), le Management des organisations devient extrêmement difficile.
En conclusion, non seulement la Gouvernance est différente du management, mais également, sans une bonne Gouvernance, le management devient aveugle, il navigue sans boussole.
Dr Houcine Abaab
Expertauprès des organisationsinternationales
Spécialiste du Management, de la bonne Gouvernance et des Systèmes d’Information
Enseignant à l’Ecole Centrale Paris