Mohamed Larbi Bouguerra: Arrêtons de massacrer la langue française !
Mardi 28 février 2017, finissant de lire le bulletin intitulé «L’Etat parallèle» du Pr Hamadi Redissi sur le Maghreb (p.8), mon regard est attiré par un encart en français du Ministère des Technologies de la Communication et de l’Economie Numérique (MTCEN). Comme le veut l’usage, on lit dans l’en-tête de cet encart « Républiques tunisienne » oui, république avec S ! Tiens, me dis-je amusé, c’est pour illustrer ce que dit M. Redissi qui évoque «un chef d’Etat parallèle» à côté d’ «un gouvernement parallèle», de «police parallèle», de «diplomatie parallèle» etc…! Poursuivant la lecture de ce texte, quelle ne fut pas ma surprise d’y relever une bonne vingtaine de fautes d’orthographe ou de frappe!
Voilà donc un texte qui vérifie admirablement ce mot de l’écrivain-traducteur Alexandre Vialatte: «Il existe en réalité cent façons de saboter le français académique». Dans ce registre, cet encart fait vraiment très fort!
Ce texte est en fait une horreur absolue où les accords, les accents et les majuscules sont comme distribués au petit bonheur la chance, comme aléatoirement. Horreur d’autant plus insoutenable que ce papier émanant d’un organe officiel de l’Etat tunisien cherche à attirer «des investisseurs»!
On se perd en conjectures. Qui a rédigé, qui a tapé cette grossièreté ? Au Ministère, aucun responsable n’a relu ce texte? Se peut-il qu’il ait été publié sans que le chef de cabinet, un directeur ou un chef de service ne l’ait lu ? Ou bien faut-il croire qu’au MTCEN la langue de ce texte est considérée comme normale et digne d’être portée à la connaissance du public et des investisseurs tunisiens et étrangers? Ces responsables devraient lire Ibn Khaldoun qui affirmait: «Pour communiquer avec les autres, il faut être bien entraîné à la maîtrise de la langue, à la formation des phrases convenables et à la combinaison de la composition littéraire». Il faudrait rappeler aussi à ces responsables ce mot de Goethe: «Celui qui ne connaît rien aux langues étrangères ne connaît rien à sa propre langue».
Bien sûr, cette langue n’est pas nôtre mais «un butin de guerre» disait le grand écrivain algérien Kateb Yassine. Evidemment, nous l’avons découverte dans le sillage du colonisateur mais nous nous en sommes emparés pour lui tenir tête, comme aurait dit Habib Bourguiba ou Mahmoud Materi.
Gardons-la donc pour aider au développement de notre pays… et évitons de publier de tels textes sans queue ni tête qui ne peuvent que nous couvrir de ridicule et faire croire que ce pays est une république bananière.
Aujourd’hui, il est clair que la rigueur et le sérieux font défaut dans bien des secteurs de notre administration. Il faut mettre un terme à cette dérive et à ces aberrations.
Salah Garmadi, réveille-toi! Toi qui as travaillé sur «la langue des enseignes de quelques rues importantes de Tunis» en 1965-66 comme «les trois bêti couchounes» écrit en caractères arabes sur une caféteria-pâtisserie de Bab Bhar et qui écrivais, sarcastique («Nos ancêtres les Bédouins», Cérès Productions et P.J. Oswald, éditeurs, Paris, 1975):
«J’ai mal à mes souhaits
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Mal au jargon de mes leçons
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Dites-moi chers amis dites mes chers vautours
Nos ancêtres les Gaulois sont-ils de retour?»
Mohamed Larbi Bouguerra