L’enseignement supérieur en Tunisie: La nécessité d’une labellisation ou accréditation
A l’aube de l’indépendance, l’Université Tunisienne, jeune et ambitieuse, a été édifiée presque sur le modèle unique français. Le manque de compétences universitaires tunisiennes nous a obligé à faire appel à la prestation et au service de la puissance coloniale qui a contribué fortement au fondement de l’Université Tunisienne dès sa naissance en Mars 1960.
Dès les années 70 du siècle écoulé, presque une décennie après sa création, l’université tunisienne, entièrement publique, compte dans ses rangs des compétences universitaires nationales de haut niveau ayant obtenu leur diplôme dans les prestigieuses universités européennes et occidentales.
Le développement du secteur universitaire tunisien est en route avec une offre de formation de plus en plus diversifiée couvrant presque tous les secteurs académiques connus.Les formations sont disposées dans des Instituts, Facultés et Ecoles faisant partie ou pas de l’Université mais agissant dans un cadre public et presque en majorité sous la seule tutelle du Ministère de l’Education Nationale.
L’arrivée du secteur privé et sa consolidation ces dernières années a transformé le paysage universitaire. Les premières prémisses d’une compétition publique/privée ont commencé à se faire sentir. L’accès aux formations d’excellence reste du ressort des instituts préparatoires et des Grandes Écoles mais on assiste à un phénomène de migration des étudiants, ayant des moyens suffisants, à des établissements privés offrant parfois des parcours d’ingénieurs dans des spécialités plus pertinentes que celles, classiques, proposées dans le public. La pesanteur administrative et le manque de moyens freinent souvent le développement des filières dans le public et le rythme de déploiement de nouvelles filières bien adhérentes au besoin industriel, local ou régional a été pris par le privé.
Cela pourra avoir des conséquences néfastes dans l’équilibre des forces et cette compétition pourra devenir alarmante si les indicateurs d’embauche montrent un taux d’accès à l’emploi plus élevé des diplômés du privé par rapport à leurs homologues du public. C’est tout l’enjeu de la politique que doit mener le ministère de tutelle pour garder l’équilibre des forces et garantir à ces deux composantes leurs champs d’action distincts et leur coexistence dans un esprit de compétition constructive. Parmi les avantages de cette compétition: la course à l’accréditation et la labellisation. Une démarche qui, une fois acquise, permettra à l’institution d’afficher une garantie à ses futurs diplômés d’un niveau de diplôme semblable aux standards internationaux, qui en plus de l’excellence du niveau de la formation, acquière au diplômé une facilité d’ouverture à l’international tellement convoitée par nos étudiants. Parmi ces organismes accréditeurs, on peut citer la CTI (Commission des Titres d’Ingénieurs), une commission indépendante crée en 1934 en France par une loi en vue d’assurer des missions d’habilitation d’écoles privées à délivrer le titre d’ingénieur, à l’admission par l’Etat des formations d’ingénieurs à l’étranger et se saisir de toute question relative aux formations d’ingénieurs.
Accréditation ou Label EUR-ACE
Solliciter une instance comme la CTI pour une accréditation de sa formation d’ingénieur est une démarche de taille que peuvent entreprendre les Institutions ou écoles d’ingénieurs en France ou à l’Etranger mais pas dans n’importe quel contexte. La CTI délivre une accréditation pour une ou plusieurs formations d’une même institution sur la base d’un dossier solide dont il faut bien prendre conscience à l’avance de sa complexité et des difficultés de sa construction. Les institutions peuvent solliciter l’accréditation, qui est une sorte d’agrément donné par une cohorte d’experts certifiant que le parcours académique du diplôme en question satisfait au niveau d’exigence (critères et normes) employé par la majorité des écoles d’ingénieurs de renommée internationale. De plus, et à défaut d’une demande d’accréditation globale, ces mêmes établissements peuvent demander un label Européen dit EUR-ACE. Les étudiants d’une formation labellisée EUR-ACE sont assurés, en sus de leurs diplômes, d’un ensemble de compétences et de savoir-faire conformes aux standards européens.
Ceci facilitera pour eux, une insertion dans le monde du travail ou encore, une poursuite d’étude en Thèse dans des laboratoires de recherche de haut niveau. Au cours du cursus, le label EUR-ACE permet une meilleure mobilité des étudiants entre établissements labellisés. De ce fait un élève ingénieur en Tunisie par exemple pourra suivre un semestre ou deux à l’étranger dans une école qui, elle-même, possède le label EUR-ACE ce qui garantie aux deux institutions une homogénéité des parcours et par conséquent un niveau de diplôme semblable. C’est une grande avancée pour nos établissements en Tunisie (publics ou privés) de pouvoir obtenir ce label qui permettra de les propulser au niveau européen et les rendre plus attractifs. C’est tout l’enjeu sur lequel bon nombre de nos institutions en Tunisie notamment privées sont en train de s’engager dans les prochaines années.
Quant à l’accréditation, elle représente une démarche plus complète et plus longue que le label EUR-ACE, elle valide tout un processus de la formation en question en passant en revue les mécanismes de recrutement, les programmes pédagogiques, le staff enseignant et la gouvernance. Aux côtés des ces volets déterminants dans le cycle de formation d’ingénieur s’ajoutent des composantes primordiales qui sont : le rapport avec le monde socioéconomique, la recherche et surtout l’ouverture de l’institution sur son environnement industriel et l’articulation des connaissances théoriques à la réalité du terrain et les besoins de l’entreprise.
Pour ce faire, les établissements tunisiens aspirant à entrer dans un tel processus doivent définir au préalable une réelle stratégie interne. Il ne s’agit pas de remplir mécaniquement les rubriques parfois complexes du dossier d’accréditation pour s’assurer de l’obtenir, il faut penser au préalable et en interne à faire soi-même un diagnostic complet des forces et faiblesses de son institution, une sorte d’auto-évaluation. Il est convenu que c’est une démarche lourde pour nos établissements qui coûtera en personnel et en temps mais elle est nécessaire et facilitera la tâche une fois le processus lancé. Il est aussi pertinent de solliciter dans cette démarche le savoir faire des pairs. C’est souvent le procédé le plus judicieux car il repose sur l’expérience avérée de personnes qui, par leurs vécus et leur pratique connaissent en détails les mécanismes de cette démarche.
Des organismes de conseil sont aussi présents notamment en Europe qui ont un savoir faire dans ce domaine et peuvent mettre en place toute la démarche nécessaire pour l’accompagnement de l’institution voulant s’inscrire dans l’accréditation. Il convient souvent de les solliciter car leur stratégie s’adapte aux cas particuliers de chaque institution et lui apporte aide et conseil.
Ghanem Marrakchi
Professeur des Universités
Université de Lyon – Saint-Etienne