Le militaire dans la cité, citoyen en uniforme
Ces derniers temps on ne peut manquer d'être étonné par le nombre de publications et de déclarations consacrées aux droits des militaires pour la participation au vote. Ces articles et ces interventions expriment , la plupart du temps , l'intérêt et le soutien accordés à cette catégorie mais aussi l'inquiétude de voir se désagréger le lien unissant l'armée à la société .
Les propos de cet article est d'apporter des éléments de réponse à deux questions:
- Comment rendre compte de la manière la plus objective possible de la nature et de l'état des relations unissant le militaire à sa cité ?
- De quel mécanisme doit- on disposer pour garantir et consolider ces droits ?
Le militaire dans la cité
Le fait d'évoquer juste le terme de « droit »des militaires peut paraître étonnant quand il concerne une catégorie dont on exige avant tout qu'elle ait le « sens du devoir » .Aussi, le statut spécifique des militaires établit que ceux-là jouissent de tous les droits et libertés reconnus aux citoyens. A savoir, les droits classiques, communs aux agents de la fonction publique mais adaptés à la spécificité militaire.Cependant, il en limite immédiatement la portée en précisant que l'exercice de certains d'entre eux est soit interdit, soit restreint. Il manifeste par-là que les militaires sont des citoyens et des agents publics particuliers.
Mais l’action des militaires s’inscrit dans un monde en mouvement, dans une société en évolution et au sein d'une institution en pleine mutation. La Tunisie a connu une révolution populaire salutaire et des bouleversements, qui étaient inimaginables par les générations précédentes,sont venus chambarder la donne.
La communauté militaire, dans ses différentes composantes, actives, de réserve ou en retraite, n'est pas étanche aux débats sociétaux, allant de la dégradation du pouvoir d'achat de l'individu et l’explosion des prix jusqu'à l'installation durable de la saleté sous toutes les formes possibles et imaginables en passant par le règne de la mauvaise foi et de la roublardise comme mode de gestion favori.
Dans un esprit d’intégration du militaire à la société, il faudra prendre acte de ces conséquences induites par ces évolutions de la société tunisienne afin d’adapter les droits des militaires, bien sûr, dans le stricte respect des principes jugés intangibles tels que la discipline, laloyauté, la neutralité et la disponibilité.
Certes, la hiérarchie militaire déploie beaucoup d'énergie et de savoir-faire pour indiquer aux militaires quels sont leurs devoirs. Et, elle est évidemment dans son rôle. Ses décisions sont d'ailleurs toujours prises au nom de l'intérêt général, sans considération excessive pour les droits individuels, le plus souvent placés au second plan.
Face à la machine administrative, à sa hiérarchie, au règlement qu'on lui impose, un militaire, en cas de problème, peut difficilement réagir seul, sans soutien moral, sans aide technique, sans conseil de personne extérieure au système.
Vers l'instauration d'une Association de Défense des Droits des Militaires
La polémique générée par les débats sur les droits de vote pour les militaires a mis à nu l'absence d'une instance permettant aux militaires, tous grades confondus, de défendre leurs intérêts, d'exposer leurs avis et de faire valoir leurs aspirations et doléances.Les deux associations d'anciens militaires se sont montrées aphones et étaient lors des débats aux abonnés absents.
Par ailleurs, ce volet de prise en considération du « militaire, citoyen en uniforme » a fait l’objet, sans réussite de ma part,de plusieurs articles et exposés. Même, la proposition qui vise l'instauration d'une institution autonome dénommée MÉDIATEUR MILITAIRE est restée sans réponse.Certains responsables nous ont prêté une oreille attentive, d’autres, comme par le passé, préfèrent nous ignorer. C'est la raison pour laquelle je reprends le parti de proposer la création d'une Association de Défense des Droits des Militaires (ADDM) qui sera régie par la loi n°88/2011 sur les associations. Ayant un statut plutôt civil, aucun militaire en activité n’a, par conséquent, l'autorisation d'y adhérer.
Ce qu'elle est, l'ADDM?
- L’ADDM est un organisme indépendant agissant dans le cadre de la société civile ; elle a pour objectif l’étude et la défense des droits et des intérêts moraux et sociaux, collectifs ou individuels, desmilitaires, de leurs familles et de leurs ayants droit et ayant cause.
- L’ADDM s’interdit toute actionpolitique, confessionnelle ou idéologique.
Ce qu’elle n’est pas?
- L’ADDM n’est pas une instance de décision ni de délibération. Elle n’a rien à voir le système interne de concertation sur la condition militaire.
- Elle n’a pas vocation à s’opposer à la hiérarchie militaire.
- Elle n’est pas une instance de représentation des militaires
- Elle ne se positionne pas en « syndicat » militaire et elle n’a pas vocation à rallier les syndicats traditionnels.
Enfin, pour y faire partie l’ADDM recherchera des bénévoles, motivés et disponibles ayant le profil ci-après :
- Etre convaincu de la nécessité d’aider les militaires en difficulté d’intégration sociale
- Aptitude à l’écoute
- Connaissance du milieu militaire
- Maitrise de l’analyse des situations et des dossiers
- Forte capacité rédactionnelle
Utopie? Peut-être!
Evidemment, je vois venir en trombe, à travers une lecture rigide de cette contribution, les quelques aigris et habituels « tuniso–sceptiques » pour manifester leur objection et désapprobation quant à l’utilité d’une telle association. Il reste qu’il est de la responsabilité de nos élites éclairées, militaires et civiles, de penser et repenser aujourd’hui ce que pourrait être notre armée et ses liens avec la société. L’intégration du militaire au sein de sa société n’est pas une exception tunisienne, bien d’autres pays, voisins immédiats et lointains, l’ont faite sans, pour autant, mettre en péril ni leur existence ni leur démocratie.
Rodé à la mobilisation des énergies récalcitrantes, mu par la soif de transmettre ses ressources morales, sociales et symboliques, le militaire doit s’investir totalement dans sa cité. A moins de vouloir réaliser des ablations in vivo dans le corps de la société.
Mohamed Kasdallah
Colonel (r)
- Ecrire un commentaire
- Commenter