Hazem Ben Gacem: De Béni Khalled à Harvard
«Je veux réactiver l’ascenseur social pour les jeunes Tunisiens.» Telle est en substance l’ambition majeure que poursuit Hazem Ben Gacem, 46 ans, originaire de Béni Khalled et banquier d’affaires diplômé de Harvard. Il vient de fonder avec son épouse Karen un programme de bourses d’études ouvert aux bacheliers tunisiens admis à poursuivre des études à l’université de Harvard. Un seul maître-mot, en effet, pour le diplômé en sciences économiques de Harvard (promotion 1992) : la méritocratie, qui, selon lui, devrait être le seul système guidant le devenir social et le parcours professionnel des étudiants, d’où qu’ils viennent. Outre les bourses d’études aux Tunisiens de Harvard qu’il prend en charge, il a octroyé un don financier (dont le montant ne nous a pas été spécifié) pour permettre au Centre des études sur le Moyen-Orient (Cmes) de Harvard d’ouvrir un bureau dans le quartier des Berges du Lac de Tunis, le premier dans le monde arabe. L’objectif est de donner la possibilité aux enseignants et aux étudiants de Harvard qui le souhaitent de mener des travaux de recherche sur le terrain en Tunisie et de promouvoir les échanges académiques entre les deux pays. Portrait.
Un simple « Hello » avait ouvert au père, Hmida Ben Gacem, les portes de Harvard. C’était en 1972. Fonctionnaire au ministère du Plan et des Finances, il recevait une délégation d’experts américains venus impulser la coopération bilatérale. Accueillant et compétent, il avait retenu l’attention des visiteurs qui n’ont pas manqué de lui proposer d’aller préparer un mastère à Harvard et une bourse de la Fondation Ford lui a été octroyée. Evidemment, à ne pas rater. Hmida Ben Gacem est ainsi parti immédiatement à Boston avec son épouse et leur enfant, Hazem, qui n’avait alors que deux ans. «J’étais trop jeune à l’époque pour en garder de vrais souvenirs, mais mes parents me montrent des photos où j’étais ébloui par la neige qui tombait», nous confie aujourd’hui Hazem.
De retour à Tunis, le père reprendra ses fonctions au ministère, mais le voilà rapidement proposé par le gouvernement tunisien pour se rendre à Abu Dhabi et contribuer, dans le cadre de la coopération technique, à la création du ministère émirati des Finances, tout naissant. «Les Emirats, à l’époque, rappelle Hazem, n’ont rien à voir avec ce que l’on connaît aujourd’hui. La capitale était plutôt une grande bourgade au milieu des sables. Mais, c’était merveilleux». Scolarisé depuis son jeune âge dans les établissements américains d’Abu Dhabi, il sera très studieux. L’année du bac, Hazem fera partie des lauréats. A l’heure du choix pour ses études universitaires, il ne rêvait que de Harvard, sur les traces de son père. «L’esprit d’émulation qui prévalait au sein des lycées américains du monde arabe, confie-t-il, nous incitait tous à candidater pour les établissements les plus renommés », parmi lesquels Harvard tient une place de premier choix.
Du côté de la fratrie, si aucun de ses frère et sœurs n’a intégré l’illustre université américaine, ces derniers ont également la main heureuse en affaires. Sa sœur, Leïla Ben Gacem, œuvre activement à la sauvegarde culturelle de la Médina de Tunis. Avec l’aide financière de Hazem, elle a acquis et restauré Dar Announ, demeure de l’illustre parfumeur tunisois située au milieu de la rue du Pacha, pour en faire une maison d’hôtes à la fois chic et familiale. L’équipe de jeunes collaborateurs qui la gère œuvre, en collaboration avec les associations de sauvegarde de la Médina, à l’organisation d’événements culturels tels que des visites guidées de quartiers historiques de la ville ou des concerts de musique organisés dans le centre de la Médina. Son jeune frère, Emir, travaille à la City de Londres en tant que spécialiste des Emerging Markets au sein du Crédit Suisse tandis que son autre sœur, Amira, habite aujourd’hui en Arabie Saoudite.
Démocratiser le rêve américain
Aujourd’hui, le profil de Hazem Ben Gacem apparaît comme une illustration tunisienne du rêve américain : originaire de Béni Khalled, son brillant passage par la plus vieille université américaine l’a mené vers des postes de haute responsabilité. Responsable des investissements en Europe de la banque d’affaires Investcorp depuis 1994, il a également fait partie de l’équipe Fusion & Acquisition de New York de la banque d’affaires Crédit Suisse. Il préside par ailleurs la société de haute couture italienne Corneliani et la société de luxe Georg Jensen.
Mais s’il vole à présent de ses propres ailes, l’homme garde toujours un pied dans le réseau institutionnel de Harvard : il est membre du Dean’s Council de la Harvard Kennedy School of Government et prend part à l’organisation des activités que l’université américaine mène à Londres, où il habite. L’ascension sociale par le mérite et le travail, il voudrait en promouvoir la possibilité et en faire bénéficier les lycéens tunisiens méritants, dont les qualités scolaires ne devraient pas, à son avis, être mises en valeur selon des considérations socioéconomiques. «Nous avons en Tunisie des talents fantastiques, provenant de toutes les régions, qu’il faut valoriser et mettre au service de la recherche, explique-t-il. Il manque seulement à ces jeunes un coup de pouce qui puisse les décider à prendre leur destin en main, à postuler pour des universités qui peuvent paraître inaccessibles mais qui en réalité ne le sont pas !»
Faire de la Tunisie un «hub universitaire à l’échelle internationale»
Ben Gacem conteste à ce titre le choix devenu systématique des étudiants tunisiens de poursuivre leurs études en Europe, et en particulier en France, estimant que le monde universitaire américain offre autant, voire davantage, d’horizons. La création de tissus interactionnels dans les sphères de l’éducation et de la recherche dont les sièges physiques se trouveraient à la fois en Tunisie et aux Etats-Unis empêchera pour sa part la fuite des cerveaux.
L’homme va plus loin : il voit dans l’ouverture en Tunisie d’un bureau d’études rattaché à Harvard une possibilité, par un effet boule de neige, que des universités similaires initient la même démarche, opérant ainsi une meilleure connexion entre les centres de recherche tunisiens et étrangers. «Si l’on dote la Tunisie, déjà forte de son histoire trois fois millénaire, de sa position géographique d’exception et de ses compétences intellectuelles, de structures de mutualisation des connaissances, il est évident qu’elle deviendra un éminent hub universitaire à l’échelle internationale», parie-t-il.
Co-commissaire de Tunisia 2020
En Tunisie, le nom de Hazem Ben Gacem a été révélé pour la première fois en septembre dernier lorsque le chef du gouvernement, Youssef Chahed, l’avait désigné co-commissaire, avec Mourad Fradi, de la Conférence internationale sur l’investissement Tunisia 2020. Sa contribution a permis de susciter l’intérêt d’importants fonds privés d’investissement. Lors du road-show de mobilisation organisé mi-octobre dernier à Londres, il a pu réunir autour du ministre Fadhel Abdelkéfi la fine fleur des investisseurs de la City. Aujourd’hui, il considère que le vrai travail commence pour faire aboutir les discussions engagées.
Néjiba Belkadi