Taoufik Habaieb: Ces contre-feux...éteints
Attention danger ! Face à la dégradation continue de son image, la Tunisie semble résignée, incapable de réagir. S’il n’est pas salafiste, le Tunisien est, aux yeux du monde, terroriste, immigré clandestin, dealer, assassin de la voisine, agresseur de vieilles dames, brigand, que sais-je encore ! Aussi brillants qu’ils puissent l’être, que ce soit en médecine, en sciences physiques, mathématiques et autres disciplines, beaucoup de nos compatriotes sont tout simplement occultés, victimes de l’amalgame.
Jadis sous le charme de la Tunisie et des Tunisiens, le monde s’en est rapidement dépris. Comme si nous étions à l’origine de tous les malheurs de la planète. Attisé par des médias populistes, ce faux procès se trouve nourri d’abord par les nôtres, mais aussi par ceux qu’on croyait des amis et des alliés à l’étranger.
Avec beaucoup de cynisme et de schizophrénie, certains de nos dirigeants politiques donnent libre cours à longueur de tribunes et de déclarations à la presse étrangère à un discours clivant, exhalant la haine et la rancune. Ils exportent au monde, sans le moindre scrupule, leurs attaques contre leurs rivaux, remettant en cause les avancées accomplies, entretenant ainsi un climat délétère propice à la violence et aux tentatives de déstabilisation des contrebandiers et autres hors-la-loi. Ils ne font que jeter de l’huile sur le feu déjà allumé à l’étranger par ceux qui se croient autorisés à juger de la réalité de la Tunisie, sans se demander qui en sont le plus responsables, ni mettre en exergue ses potentialités.
A la limite, une certaine presse européenne est libre de ses sentiments, même si on doit se demander ce que nous avons fait, en toute éthique, pour réduire leur capacité de nuisance. Mais que des députés, comme récemment en France, Guy Tessier et Jean Glavany, versent dans la stigmatisation, cela doit nous interpeller. De la réalité, ils n’ont perçu qu’un pan. Du potentiel, ils ont omis l’essentiel. C’est leur liberté. C’est notre responsabilité.
Pour certaines grandes puissances, la Tunisie est perçue essentiellement comme un foyer de terroristes, voire comme l’ultime rempart qui protège l’Europe contre l’immigration clandestine et l’afflux des terroristes. Au pire, l’ignorer, s’en détourner, s’en prémunir. Au mieux, renforcer son rôle de gardecôtes.
Pour les voraces dans le monde des affaires, notre pays ne vaut que par les contrats juteux qu’il pourrait leur concéder. Pendant qu’on y est, pourquoi n’exigeraient-ils pas ouvertement une discrimination positive en leur faveur?
Les dégâts en matière d’image sont catastrophiques: tourisme, investissement et candidats au voyage en sont les toutes premières victimes. Dès lors, qui se hasarderait à venir chez nous en vacancier ou pour y investir ? L’impact — convenons-en — est immédiat sur les comptes de la nation. La dépréciation de l’image d’un pays, d’un peuple, d’une nation ne se limite cependant pas à l’immédiat. Il faut compter au moins une génération – 25 ans— pour qu’on puisse espérer la voir se redresser. Par nos actes, par notre silence, nous ne scellons pas uniquement notre sort, nous condamnons aussi et surtout les générations futures.
C’est là une responsabilité de l’Etat ! Le capital-image, c’est l’essence même du capital-pays. On ne se mesure plus à l’aune de la population, de la superficie, du PNB ou du taux de croissance, mais à celle de l’image de marque, de l’attractivité, de l’appréciation…
On doit reconnaître que face à cette débandade tous azimuts, l’Etat est défaillant. Ni vision, ni stratégie, ni structures, ni compétences, ni budgets dédiés. A Carthage, comme à la Kasbah, on pare au plus pressé ! Au ministère des Affaires étrangères, la diplomatie publique reste un voeu pieux. Les ambassades et les consulats à l’étranger sont-ils suffisamment outillés pour s’acquitter de cette tâche fondamentale qui est la leur, avec l’efficience requise ? Les ministères du Tourisme et de l’Investissement, l’Ontt, la Fipa et le Cepex aussi. Il en va de même pour tous les autres départements concernés.
C’est contre-feux éteints que le pays semble avancer. Mais l’Etat n’est pas le seul responsable. Il doit rallier à cette oeuvre de valorisation de l’image de la Tunisie la classe politique, les élites et les acteurs économiques et sociaux, tant il est vrai que ce qui est en jeu, c’est en fin de compte notre capital commun.«Tirons notre courage de notre désespoir même», disait Sénèque.
Taoufik Habaieb