Le théâtre national palestinien au centre dramatique national du sud parisien
Correspondance spéciale d’Ivry-sur-Seine pour Leaders - Avec sa pièce « Des roses et du jasmin », Adel Hakim et les comédiens du Théâtre National Palestinien (TNP) livrent aux habitants d’Ile de France, à Ivry, le récit du conflit israélo-palestinien sous la forme d’une tragédie grecque que n’aurait pas reniée Sophocle.
En fait, Adel Hakim fréquente assidument les auteurs grecs puisque la première pièce qu’il a présentée, du 5 au 15 janvier 2017, au Théâtre des Quartiers du Monde, à la Manufacture des Œillets, à Ivry-sur- Seine était « Antigone »-une Antigone palestinienne évidemment - vis-à-vis de laquelle la presse parisienne, du Figaro à Libération en passant par Marianne, France Inter, le Monde Diplomatique, le Quotidien du Médecin et Le Monde- n’a pas été avare de compliments.
La pièce – écrite et mise en scène par Adel Hakim avec le concours du dramaturge Mohamed Kacimi- a été créée à Jérusalem-Est les 2,3 et 4 juin 2015. Elle a ensuite eu les honneurs du Théâtre Al Kassaba de Ramallah. Sur le vaste et beau plateau du nouveau centre dramatique national des Œillets à Ivry-sur-Seine, les neuf acteurs palestiniens jouent en arabe avec des surtitres en français.
Balayant le temps de 1944 à 1988, la pièce relate le parcours d’une famille dans laquelle se rencontrent les destins de trois générations. C’est un récit historique et un voyage au tréfonds de l’intime des êtres, des hommes et des femmes de Palestine. La Palestine est sous occupation (mandat de l’ONU) britannique, dans les années quarante, quand la pièce commence. Un premier attentat d’importance - œuvre de l’Irgoun, organisation militaire sioniste clandestine dirigée par Menahem Begin- vise le quartier général de l’armée anglaise de l’hôtel King David à Jérusalem, le 22 juillet 1944. Il va accélérer le départ des soldats de Sa Majesté et livrer la Palestine aux milices sionistes de la Hagana et de l’Irgoun. Celles-ci vont raser les villages palestiniens et procéder à d’atroces massacres comme Deir Yassine pour faire fuir les Palestiniens. Une jeune juive, Miriam, arrive de Berlin. Elle est recueillie par son oncle, Aaron. Elle tombe amoureuse de John, un officier anglais. Ils enfanteront Léa. Dans les années soixante, Léa tombe amoureuse de Mohsen, un jeune Palestinien dont le père Salah, céramiste à Jérusalem, a été mis à la porte de son atelier par les sionistes qui ont muré sa maison. Il finira dans un camp de réfugiés, évidemment ! Léa et Mohsen mettront au monde Yasmine et Rose. Vingt ans plus tard, au moment de l’Intifada de 1988, Yasmine et Rose se trouveront dans deux camps opposés. Yasmine, militante pro-palestinienne est en prison, interrogée, fort brutalement, par Rose, sa sœur (sans savoir d’abord les liens de parenté qui les unissent), militaire fervente et dévouée aux prétentions sionistes. Le spectateur se trouve face à trois générations d’une famille écartelée entre convictions politiques, sentiments et nationalisme. Sans oublier l’intransigeance religieuse d’Aaron, membre de l’Irgoun et qui a fait de Miriam une espionne au service de l’Irgoun au sein même du QG anglais. Deux personnages, Alpha et Oméga, deux acteurs, burlesques et pleins d’humour, assurent la transition entre les scènes et les époques. « Une bombe n’est pas une catastrophe naturelle » dit l’un ; « une bombe est fabriquée par des hommes, les êtres humains font partie de la nature » réplique son compère. Ces intermèdes sont nécessaires notamment après la relation de Salah des horreurs du massacre de Sabra et Chatila à Beyrouth, en septembre 1982, cet ignoble « fait d’armes » d’Ariel Sharon.
L’auteur, Adel Hakim, co-directeur du CDN du Val-de-Marne et directeur du TNP, écrit à propos de sa pièce où convergent les destins d’un Anglais, d’Israéliens et de Palestiniens sur trois générations: « A travers cette histoire, ce n’est pas seulement du Moyen-Orient qu’il s’agit ou de communautés particulières. C’est ce que nous vivons tous, d’une manière ou d’une autre. Le théâtre peut nous raconter une histoire, nous procurer un réel plaisir…saisir notre attention par l’intensité de l’action qui emporte les personnages….L’essentiel est la manière dont un spectacle sollicite notre réflexion, nous pousse à nous interroger sur nos destins, collectif et individuel ».
La fin de la pièce n’a rien d’un happy end ! La prisonnière palestinienne mourra violée et rouée de coups par les matons israéliens. Rose, incapable de surmonter la contradiction à laquelle elle fait face, se suicidera quand elle apprendra ses liens de parenté avec Yasmine.
C’est avec des roses et du jasmin que Adel Hakim fleurit les tombes des deux sœurs.
Sa démonstration est d’une limpidité cristalline. Eblouissante.
Le spectateur n’en sort pas indemne.
« Des roses et du jasmin » est à Ivry jusqu’au 5 février 2017. Si vous êtes dans la région parisienne, courez-y !
Elle sera à Genève le 25 février et du 28 février au 8 mars au Théâtre National de Strasbourg.
Mohamed Larbi Bouguerra