La retraite par répartition: Un système à sauver et à préserver
Le système de retraite qui prévaut aussi bien à la Cnss qu’à la Cnrps est un système dit par répartition pour le distinguer d’un système de retraite dit par capitalisation (seule exception, la Caisse de prévoyance et de retraite des avocats qui est financée et gérée par un mode différent : Décret n° 2008-355 du 11 février 2008, relatif à l’organisation et au fonctionnement de la Caisse de prévoyance et de retraite des avocats). La particularité d’un système de retraite par répartition est que les cotisations versées par les actifs au titre de l’assurance vieillesse sont immédiatement utilisées pour payer les pensions des retraités, alors que dans un système de retraite par capitalisation les actifs accumulent de l’épargne pour leurs «vieux jours», laquelle épargne sert généralement aux fonds de pension à spéculer sur les marchés financiers sur le dos de l’emploi et des salaires. Mais il s’agit là d’une autre histoire.
Quoi qu’il en soit, le système de retraite par répartition repose sur le principe d’une forte solidarité générationnelle puisque les cotisations versées par les générations présentement en activité servent à payer les pensions de retraite des générations devenues inactives entre-temps en attendant qu’elles soient prises en charge à leur tour par les générations suivantes et ainsi de suite.
Quelles conclusions peut-on en tirer en rapport avec la situation financière préoccupante de la branche «pensions» des Caisses?
1- L’équilibre financier d’un système de retraite par répartition dépend du rapport entre le nombre de cotisants et celui des retraités (des pensionnés pour être rigoureux). Ce rapport est appelé «rapport démographique». Evidemment, certaines évolutions démographiques comme la pyramide des âges ou l’espérance de vie à la naissance jouent défavorablement par rapport à l’équilibre financier de ce système, mais il n’y a pas que cette donne.
2- Les taux de croissance de la population active occupée et des revenus — ce dernier point n’étant jamais souligné — constituent deux facteurs agissant en faveur de l’équilibre ou du déséquilibre des systèmes de retraite par répartition. La hausse du chômage altère le rapport démographique en accentuant le différentiel entre les taux d’accroissement annuels moyens des cotisants d’une part, des retraités de l’autre. De même, la baisse relative des salaires et des revenus est de nature à aggraver les tensions qui s’exercent sur l’équilibre financier de ces systèmes comme le montrent toutes les études actuarielles réalisées à ce jour.
3- La préservation pérenne de l’équilibre financier d’un tel système de retraite commande d’écarter deux solutions qui n’ont jamais donné, partout dans le monde, des résultats probants (préretraite et baisse des revenus) et de mettre en œuvre deux solutions (création de plus d’emplois et hausse des revenus), certes plus difficiles, mais qui s’avèrent constituer les solutions ayant le plus d’impact sur cette préservation.
4- On peut naturellement recourir, dans le contexte tunisien actuel, à des solutions purement mécaniques comme la réduction des pensions ou la hausse des cotisations, mais ce ne sont là que des palliatifs sans beaucoup d’effet sur le long terme. Il n’en demeure pas moins urgentissime d’appliquer la loi et d’agir fermement contre les sous-déclarations d’effectifs et de revenus déclarés à la Cnss. Le taux de couverture par la Cnss des actifs occupés est manifestement amputé d’au moins 10% de la population cotisante de base. Quant aux sous- déclarations de salaire, elles concerneraient entre 20 et 30% de la masse des salaires déclarés à la Cnss.
5- La thèse selon laquelle notre système de retraite ne peut plus être sauvé et qu’il faut donc lui substituer, par étapes, un système de retraite par capitalisation est une thèse incongrue. D’abord parce qu’un système de retraite par capitalisation souffre de l’évolution défavorable des mêmes paramètres démographiques qu’un système de retraite par répartition. Ensuite parce que l’assise financière nécessaire à la survie d’un tel système n’existe pas en Tunisie. Enfin parce qu’un système de retraite par capitalisation est de nature à consacrer le chacun-pour- soi à la mode anglo-saxonne. Je doute que la société tunisienne en accepte la philosophie générale, les règles et les conséquences.
En tout état de cause, l’allongement des années de cotisation nécessaires pour bénéficier d’une retraite à taux plein ne doit plus constituer un tabou. En effet, l’entrée dans la vie active recule, en raison, notamment, du chômage et de la prolongation des années d’études et de formation. De son côté, l’espérance de vie à la naissance augmente. Elle atteindrait en 2024, demain en termes démographiques, 76 ans pour les hommes et 80 ans pour les femmes. Dix ans plus tard, les hommes gagneraient deux ans de plus, les femmes un an et demi de plus. Les soixante et plus atteindraient 16% de la population du pays en 2026 et plus de 20% dix ans plus tard. Quant au taux de dépendance, c’est-à-dire le rapport entre la population inactive et la population en âge de travailler susceptible de verser des cotisations sociales, il passera, selon l’hypothèse moyenne de l’INS, de 0.55% en 2014 à 0.71% en 2026.
Il serait irresponsable d’ignorer ou de sous-estimer ces faits.
Habib Touhami