Le climat à la COP 22… et le spectre de Donald Trump
Le spectre de Donald Trump a hanté les travaux de la conférence sur le climat(COP22)qui s’est tenue du 7 au 18 novembre à Marrakech, pour la première fois sur le sol africain. Elle aréuni 197 payset 30 000 participants, selon M. Abdelâdim Lhafi, commissaire général marocain de la COP22. Le but de cet évènement était de trouver les moyens de mettre en musique les règles de fonctionnementde l’accorddeParis de2015. Cetaccordvise àlimiter les émissions de gaz à effet de serre—voire à les éliminer à la fin du siècle— et à définir un programme de travail jusqu’en 2018; le but étantde permettre devoguervers un une économie décarbonée pour le plus grand bénéfice de la planète et de s’en tenir à une augmentation de la température du globe à 2°C— et idéalement à 1,5°C—par rapport à la Révolution industrielle.
L’Accord de Paris a été ratifié en un temps record par plus de cent dix Etats dont les Etats-Unis d’Amérique. Cet accord a nécessité deux décennies de négociations dont le moteur a été l’évolution des connaissances scientifiques au sujet de ces émissions anthropogéniques à l’origine des vagues de chaleur, des inondations, des phénomènes climatiques extrêmes, de la montée du niveau de la mer et de la salinisation de certaines nappes phréatiques.
Pas d’effet domino
La conférence a été tétanisée par l’annonce, mardi 8 novembre 2016, de l’élection de Donald Trump à la présidence américaine. L’arrivée à la Maison-Blanche d’un milliardaire égocentré climatosceptique a provoqué la stupéfaction des milliers de participants à la COP 22 qui y voyaient une victoire de «la passion de l’ignorance et de la haine du savoir», comme aurait dit le psychanalyste Jacques Lacan. Cette élection remettait en cause la stratégie d’engagement volontaire des Etats même s’il n’y a pas eu d’effet domino qui aurait conduit certains pays à se mettre en retrait du processus engagé dans la foulée de la puissance américaine. Cet effet n’a pas eu lieu, l’Inde allant jusqu’à déclarer qu’elle n’avait pas signé l’Accord de Paris pour faire plaisir à Obama! De son côté, le négociateur chinois Xie Zhenhua a insisté: «La volonté de la Chine de travailler avec les autres pays demeure». Quant à Cassie Flynn, du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), il a rappelé que «L’accord Chine-Etats-Unis sur le climat, autrement dit des deux pays les plus émetteurs de GES, a été un jalon essentiel vers Paris» (Le Monde, 20-21 novembre 2016, p.5) et l’Union européenne a pris l’engagement de rester sur le qui-vive. Pas d’effet domino donc puisqu’en outre, onze pays l’ont ratifié pendant la COP 22 dont le Japon et l’Australie, soutiens historiques traditionnels des Etats-Unis, et aucun pays n’a appuyé sur le frein. Mais, en vérité, la COP 22 a quand même traversé un vrai coup de mou. Pour le climatologue français Jean Jouzel, l’élection de Trump «a plombé l’ambiance» (in L’Express).
Il est en effet clair que Donald Trump peut quitter en un an la Convention—cadre des Nations unies sur le changement climatique (Ccnucc)—le nom officiel de l’Accord de Paris. Celui-ci pourtant vise plus à contenir qu’à réduire le gaz carbonique. Comme il l’a proclamé à cor et à cri lors de sa campagne électorale «Make America great again», le nouveau locataire de la Maison-Blanche pourrait non seulement se désengager de l’Accord de Paris, il peut même sortir des négociations multilatérales sur l’environnement initiées à Rio de Janeiro, au Brésil, depuis 1992 par les Nations unies.
Il peut aussi jeter à la poubelle l’engagement pris à Paris par Barack Obama de réduire de 26 à 28% les émissions de GES (CO2, NH4, N20, HFC, PFC, SF6) de son pays d’ici à 2030. Ainsi d’ailleurs est mis à nu un défaut majeur de l’accord peaufiné à Paris avec des trésors de diplomatie par Laurent Fabius, à l’époque ministre des Affaires étrangères français et président de la COP 21: n’imposer aucune contrainte internationale aux Etats et ne compter que sur le volontarisme des politiciens pour donner corps au processus global. Terrible ironie de l’Histoire: tout avait été conçu à Paris pour amener les Etats-Unis à adhérer alors qu’ils avaient refusé de ratifier le traité international de Kyoto de 1997. Ce dernier, aux engagements quantitatifs juridiquement contraignants sur les émissions de GES (stabiliser, entre 2008-2012, les émissions au niveau de 1990) et signé notamment par 38 Etats industrialisés, n’a pas eu l’heur de plaire aux Américains. Pourquoi? Il fallait préserver le fameux «american way of life» cher à Bill Clinton et George W. Bush et, évidemment, non négociable comme l’avait déclaré George Bush père à Rio en 1992! Faut-il rappeler ici que les Etats-Unis et les pays industrialisés portent la responsabilité de l’échec de la conférence de Copenhague sur le climat (COP 15) en 2009?
Personne ne peut arrêter l’Histoire
Cependant, comme le disait M. Ban Ki-moon à Paris à propos de l’action en faveur de l’environnement, «ce qui était auparavant impensable est devenu irrésistible, impossible à arrêter». A Marrakech, en réponse à une question à propos de M. Trump, M. Slaheddine Mezouar, ministre marocain des Affaires étrangères et de la Coopération, président de la COP 22, devait déclarer: «Nul ne peut arrêter l’Histoire». De son côté, le secrétaire général de l’ONU a dit qu’il espérait que M. Trump ne donnera pas suite aux idées avancées lors de sa campagne. Il affirmait notamment que le changement climatique était tout simplement «un canular et une mystification» et qu’une fois élu, il retirerait son pays de l’Accord de Paris. Et M. Ban Ki-moon de poursuivre: «Je suis sûr qu’il va prendre une décision rapide et avisée» car le changement climatique a des effets sévères de l’Arctique à l’Antarctique, notant au passage que 2016 est en voie de devenir l’année la plus chaude depuis que les relevés météorologiques ont vu le jour au XIXème siècle et d’ajouter: «J’espère qu’il entendra et comprendra réellement la sévérité et l’urgence du changement climatique et qu’il le combattra. En sa qualité de président des Etats-Unis, j’espère…qu’il réévaluera les remarques faites lors de sa campagne.» En concluant, M. Ban Ki-moon mettait en exergue le fait que, aux Etats-Unis mêmes, de grandes firmes comme General Mills et Kellogg ainsi que des Etats et des villes comme Washington, Nashville et Las Vegas ont décidé de réduire leurs émissions de GES (The Guardian, 15 novembre 2016).
Rappelons ici que M. Erik Solheim, chef du programme de l’ONU pour l’environnement et ancien ministre norvégien, plaide pour une conversion rapide du charbon vers les énergies renouvelables car «la pollution tue plus que le cancer» et rien qu’en Europe, la pollution au charbon causerait 23 000 décès annuellement. De son côté, le Premier ministre des îles Fidji - petit Etat de l’océan Pacifique- a invité le président américain à se rendre dans le Pacifique pour constater de visu la réalité du réchauffement climatique, là où la montée du niveau de la mer a déjà submergé la terre ferme dans plusieurs îles et contraint les populations à émigrer. Du fait du réchauffement (et de l’effet El Niño), La Paz vit une crise sanitaire actuellement: la disparition d’un glacier rend problématique l’alimentation en eau de la capitale bolivienne (RFI, le 22 novembre 2016).
Les mains vides des riches et la justice climatique
Indécision et incertitude auront caractérisé, aux dires de la société civile, la COP 22 car beaucoup d’énergie a été dépensée pour contenir l’effet de sidération provoqué par l’élection de Donald Trump. L’Accord de Paris laisse beaucoup bien des questions en suspens. Les décisions sont reportées en 2017. 2018 verra-t-elle s’éloigner de plus en plus les ambitions en faveur du climat et d’un monde moins caniculaire? C’est à craindre car nombreux sont les pays développés qui sont arrivés dans la Ville Ocre les mains vides, sans annonces concrètes ni financement pour aider les populations les plus démunies à s’adapter un tant soit peu aux conséquences du changement climatique qui les frappent de plein fouet. Pour l’heure, les gouvernements de ces pays se déchargent sur les entreprises, les villes et les associations. Ce qui est loin de permettre d’atteindre les objectifs car seuls les Etats sont en mesure de définir le cadre réglementaire pour réaliser ces derniers. A Marrakech, la société civile proteste contre «ce désengagement de l’Etat et au transfert de charge de l’action aux marchés et acteurs privés et appelle à un urgent et nécessaire sursaut politique».
Dans une lettre aux dirigeants du monde entier, 400 organisations de la société civile réclament l’arrêt des investissements dans les énergies fossiles et demandent «une transition fluide et juste vers une économie de l’énergie plus sûre…un accès à l’énergie aux plus pauvres et un développement rapide des renouvelables.…»
A Marrakech, John Kerry a répété à l’envi ce mot de Winston Churchill: «Il ne s’agit pas seulement de faire de notre mieux, il s’agit de faire ce qui est requis». Il n’en demeure pas moins vrai que les Etats-Unis refusent toute limitation aux énergies fossiles, niant l’urgence et la nécessité d’une programmation organisée de l’abandon des énergies fossiles (gaz de schiste, houille, pétrole, sables bitumineux…): l’élection de Donald Trump porte ce message politique qui met en danger les générations futures et l’habitabilité de la terre. Mais il faut ajouter que des moyens juridiques, politiques, sociaux doivent être mis en œuvre pour empêcher les décisions climaticides aux effets irréversibles. L’indécision de la COP 22 facilite les atteintes futures au climat.
La «Déclaration finale des chefs d’Etat», lue le 18 novembre 2016 par M. Aziz Mekaour, ambassadeur marocain pour la négociation multilatérale, signale «une nouvelle ère de mise en œuvre et d’action en faveur du climat et du développement durable.» Elle relève que «notre climat se réchauffe à un rythme alarmant et sans précédent et que nous avons le devoir urgent de répondre.»
Par ailleurs, c’est confirmé: 2018 sera le prochain moment fort des négociations climatiques singulièrement pour la transparence et la comptabilisation des émissions de GES des Etats. Ce qui permettra de commencer à renforcer les objectifs de réduction de CO2. Reste que la question du financement pour permettre aux pays du Sud de s’adapter au changement climatique et à ses aléas n’a pas connu d’avancée significative à Marrakech. 8% seulement du financement pour le climat ont été distribués et les Etats-Unis n’ont déboursé que 500 millions de dollars au fonds pour le climat sur les deux milliards promis.
Le doute plane sur les intentions de l’Administration Trump à cet égard (The Guardian, 18 novembre 2016). Les projections de l’Ocde montrent que des 100 milliards de dollars promis pour le climat, en 2020, un cinquième seulement sera effectivement versé. Ce qui n’a pas empêché 48 pays parmi les moins émetteurs de CO2 (Ethiopie, Bangladesh, Philippines…) d’adopter un objectif commun de s’approvisionner à 100% à partir d’énergies renouvelables d’ici 2050, prenant ainsi les devants de l’action climatique.
Les mouvements sociaux marocains, maghrébins, africains et internationaux à la COP 22 ont affirmé dans leur «Déclaration de Marrakech» du 17 novembre 2017 «leur détermination à construire et à défendre la justice climatique….les conséquences du changement climatique étant particulièrement fortes en Afrique et dans les pays du Sud.» Ces mouvements se fixent «un horizon et une lutte: zéro fossile, 100% renouvelables». Ils dénoncent la présence des multinationales polluantes et affirment «leur solidarité avec ceux qui luttent contre l’extractivisme à Imider, Gabès, Aïn Salah, Standing Rock…» et concluent leur «Déclaration» ainsi: «Nous sommes solidaires de la lutte du peuple palestinien pour sa liberté et ses droits à la terre et à l’accès à ses ressources».
Mohamed Larbi Bouguerra