News - 01.11.2016

Ibrahim Letaïef fait Chevalier des Arts et des Lettres: le discours de l’Ambassadeur Olivier Poivre d’Arvor (Album photos)

Brahim Letaïf

On connaît ses talents littéraires depuis longtemps et surtout lorsqu’il officiait à France Culture, mais on attendait le nouvel ambassadeur de France à Tunis, Olivier Poivre d’Arvor dans le passionnant exercice d’une remise de décoration à un homme de culture, tunisien. C’est chose faite. Dimanche, le cinéaste. Ibrahim Letaief, par ailleurs directeur de la 50ème sessions des JCC, recevait de ses mains les insignes de Chevalier des Arts et des Lettres. Dans les magnifiques jardins de la Résidence de France, Dar El Kamila à la Marsa, de nombreuses figures de la Culture étaient conviées à cette cérémonie. 

L’Ambassadeur Poivre d’Arvor en était visiblement doublement ravi. D’abord, s’agissant de la première remise de décoration à laquelle il procède depuis son arrivée, en septembre dernier à Tunis. Mais, aussi, c’est un ami de longue date qu’il décore. Au-delà des hommages rituels dans pareilles cérémonies, son discours porte un regard qui dépasse le simple portrait. 

Discours

Nous célébrons aujourd’hui la double passion d’un homme dont le parcours témoigne d’intérêts qui nous sont naturellement chers : le cinéma et la culture française. 

Je me dois de souligner l’importance de la présence des proches et de la famille d’Ibrahim Letaïef, mais également d’un public exceptionnellement réuni à l’occasion du cinquantième anniversaire du plus grand festival de cinéma sur le continent africain.

Je tiens également à exprimer la reconnaissance de la France pour les liens très forts qu’Ibrahim Letaïef a su tisser entre ces deux mondes par sa création cinématographique et son rayonnement en Tunisie, en France et dans le monde. 

Né à Kairouan, Cher Ibrahim, où vous avez grandi, vous y êtes resté jusqu’au Baccalauréat. Kairouan, ville fortement spirituelle, a sans doute été un terreau idéal pour le jeune cinéphile que vous étiez, élevé dans la littérature et l’engagement. Comme l’a dit Eugène Green, auteur protéiforme et familier de plusieurs cultures, « la mystique et le cinématographe ont comme vocation la connaissance de ce qui est caché dans le visible » : cela pourrait être une définition pour votre Kairouan, la Rome africaine du mystique et du cinématographe.

Vous fréquentiez alors les cinéclubs qui, dans les années 70, étaient des écoles de la pensée autant que du goût. Et ce n’est pas seulement le cinéma français qui vous parvient alors, mais le néoréalisme italien qui laissera longtemps des traces sur votre regard et dans vos œuvres. Rome encore, sur les écrans de Kairouan. Sans doute la force de l’engagement artistique des modèles que vous découvrez ira-t-il jusqu’à une conception de l’art comme œuvre de courage. A l’heure de l’action, vous saurez consentir les sacrifices que demande la réalisation d’un film et irez jusqu’à vous séparer de vos biens pour achever l’œuvre nécessaire.

Au-delà de vos origines qui vous ont forgé, vous avez contribué tout au long de votre carrière à l’activité culturelle nationale tunisienne et aux échanges entre nos deux pays. 

En effet, après une dizaine d’années passées en France, de retour de vos études en Sciences de la Communication à Paris, vous avez activement participé au démarrage de Canal+ Horizon dont le succès est fulgurant dans la Tunisie du milieu des années 1990. 

Vous jouez également un rôle actif dès 1992, avec Dora Bouchoucha, sur ce qui sera le plus grand Marché du film des JCC renouvelé en 1994. 

Un an plus tard, en 1995, vous entamez une carrière de producteur en fondant avec la même Dora, Nomadis Images. Une collaboration dans cette maison m’est particulièrement chère, car elle concerne la réalisation de Sabriya, premier court-métrage de mon ami Abderrahman Sissako, à partir d’une nouvelle tunisienne et tourné en Tunisie. Abderrahmane est d’ailleurs invité cette année, pour le cinquantième anniversaire du festival, avec le titre de Président du Jury et sa présence nous honore encore davantage. 

La fréquentation des cinéastes vous a-t-elle conduit à vous exprimer à votre tour par le 7e art ? Les titres de vos courts et longs métrages parlent pour vous avec humour et poésie. Sans doute révèlent-ils ce que le parcours professionnel ne dit pas : Affreux, cupides et stupides (2013) et Cinecittà (2008), Demain je brûle (1998), Visa (court-métrage qui a obtenu le Tanit d’Or aux JCC 2004) Lazher (2008) et Je vous ai à l’œil (2006). Nous savons que vous avez d’autres projets très prometteurs en cours mais n’en dirons pas plus ce jour (comédie dramatique pré-préparation, Deux mariages et une révolution). 

Votre parcours, cher Ibrahim, c’est le parcours d’un homme aux langues et aux cultures solidaires, enracinées dans nos deux pays, que la République Française décore aujourd’hui : 

  • le réalisateur de film, l’homme de médias et de débat, le producteur et enfin, le directeur des Journées cinématographiques de Carthage en 2015 et 2016.
  • Pour l’ensemble de votre œuvre, pour votre contribution au rayonnement des arts et des lettres en Tunisie, en France et dans le monde, pour la foi artistique qui vous anime, et qui est sans doute une réponse majeure aux mots des sociétés contemporaines.

Pour toute cette amitié qui vous lie à mon pays, au nom de la Ministre de la Culture, je vous fais Chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres.