L'art de vieillir dans la vitalité et la joie
Journaliste tunisien établi depuis longtemps en France, Ezzedine El Mestiri, originaire de Ksour-Essaf, fait une courte pause de sa marche matinale au Jardin du Luxembourg, en plein cœur de Paris, le jour de ses 60 printemps. Assis sur un banc, il commence à réfléchir sur la nouvelle vie qui l’attend. Comment s’y organiser, comment en profiter, comment rattraper dans la vitalité et la joie tout le temps passé? Naîtra alors en lui l’idée d’un merveilleux livre qu’il vient de publier aux éditions Eyrolessousletitrede L’artde vieillir dans la joie.
Ni un ouvrage de gérontologie, ni une réflexion philosophique, Ezzedine El Mestiri aide le lecteur à passer de la flamme à la lumière durant ce second âge, un cadeau en supplément d’âge. Victor Hugo lui vient en rescousse : «Et l’on voit de la flamme aux yeux des jeunes gens, mais dans l’œil du vieillard on voit de la lumière». Sa grand-mère à Ksour-Essaf le lui expliquera. Une écrivaine russe, Sophie Swetchine, annonce le verdict: «Si la jeuness est la plus belle des fleurs,la vieillesse est le plus savoureux des fruits».
«Un milliard, c’est le nombre des personnes de plus de 50 ans dans le monde, rappelle El Mestiri. Les plus de 60 ans représentent aujourd’hui 11% de la population de la planète. Ils seront 21 % en 2040. Les plus de 60 ans, 14,5 millions de personnes aujourd’hui, soit 23 % de la population française, seront 17 millions en 2020. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), un enfant sur quatre né aujourd’hui pourra célébrer son anniversaire dans l’année 2100. Un quart des enfants nés aujourd’huivivrontcentenaires». Toutestsur une note d’espoir dans ce livre très agréable à lire, avec des conseils pratiques, des exercices et des évocations personnelles. Ezzedine El Mestiri reste très attaché à sa terre natale où il continue à puiser souvenirs d’enfance et enseignements de la vie. Cette souche tunisienne confère à son livre une note bien de chez nous.
Leur vieillesse: regarder la lumière du phare, même éteint!
En Tunisie, le pays de mon enfance, j’ai encore le souvenir de ma grand-mère qui perdait la vue et ne se lassait pas de regarder la nuit, de notre véranda, au loin, la lumière rouge et clignotante du phare. Un soir, la lumière du phare s’était éteinte! Une panne d’électricité Un supplément de vie pour agrandir notre maison suite à un grand orage. Ma grand-mère, presque aveugle, continuait à nous affirmer que la lumière du phare clignotait encore! L’optimisme et la sagesse de la vieille dame ne résident-ils pas, en réalité, dans le fait de regarder la lumière d’un phare même éteint?
Prévoir les petits ennuis et les renoncements
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cet exercice est assez amusant! Il s’agit de dresser sur une feuille de papier la liste des petits ennuis et des renoncements qui se succèdent dans notre vie quotidienne pour notre corps vieillissant. L’objectif est de mieux prévenir avant que le corps ne suive plus. Cette liste nous aidera à prendre conscience de ce qui nous arrive et à accepter tout simplement ce que nous ne savons plus faire. Accepter une certaine lenteur du mouvement et ajuster tout son être pour que tout fonctionne bien. Exemples:
- Lesescaliersàmontermoinsfacilement
- Les sacs trop lourds à ne plus porter
- Lesgroslivresdifficilesàfeuilleter
- Faire moins de vélo
- Courir cinq kilomètres sans interruption
- Nager vingt longueurs du grand bassin
- S’asseoir en tailleur le dos droit
- Marcher dix kilomètres sans interruption...
Les premières suppressions d’activités sont facilement acceptables, car on peut les remplacer par d’autres... Mais au fur et à mesure que le temps passe, les suppressions deviennent irremplaçables et creusent des vides que nous devons accepter. Personnellement, ce nouveau rythme a fini par me convenir. Je savoure ce nouveau bien-être ressenti à ne plus courir, à cesser d’aller vite pour gagner du temps... Et quel plaisir de voir, d’entendre et d’exister autrement grâce à ce rythme lent.
Organiser sa journée
Vieillir, c’est organiser son temps pour éviter de se retrouver à la fin de la journée en se disant: aujourd’hui, je n’ai pas fait grand-chose ! Pour ne pas éprouver un sentiment de vide et d’inutilité, mieux vaut agencer son temps. Chaque jour, faites une liste de ce que vous voulez faire le lendemain. Quelques notes jetées sur un papier suffisent à donner un sentiment de sécurité. S’appliquer à faire ce que l’on a prévu apporte un sentiment d’accomplissement, et donne un sens à sa journée. Et c’est amusant de cocher ensuite au fur et à mesure ce qui a été réalisé. Ce qui est important, c’est le sentiment de bien-être ressenti à la fin de la journée... Et cette petite voix intérieure qui nous dit que cette journée a été riche de plaisirs et de sens.
Quelques conseils pour ce supplément de vie
- Ne pas se plaindre au réveil d’avoir mal partout car, certes, on peut avoir mal quelque part mais jamais partout et tout le temps!
- Consigner par écrit ce que, chaque jour, vous apporte a vie: les joies, les peines, les petits riens, l’important... Et aux moments indécis, relire ce que vous avez griffonné en le complétant et en le partageant avec les êtres que vous aimez.
- Rester curieux, cultiver ses envies, s’intéresser à la vie et aux autres, ne pas se replier paresseusement dans son coin.
- Prendre du temps pour ce qui vous plaît, pour ce que vous aimez et avec ceux que vous aimez. -Continuer à avoir le sourire aux lèvres, vous êtes filmé!
- S’habiller avec des tissus souples et doux dans une teinte rappelant la saison.
- De la légèreté en tout: éviter le vocabulaire sentencieux et savoir surtout se moquer de soi.
- Apprendre des poésies par cœur pour les partager avec l’inconnu(e) rencontré(e) dans le bus ou au square de votre quartier.
- Garder une activité intellectuelle pour éviter de vous lamenter sur vos petites misères physiques et vous aider à entretenir la mémoire, la réflexion et un esprit éveillé.
- Aimer les autres autour de vous et savoir les aimer tels qu’ils sont.
- Vivre poétiquement sa retraite: une respiration bien maîtrisée, une bonne alimentation, une activité physique quotidienne, la poursuite d’une activité intellectuelle, la confiance en soi, l’émerveillement, de nouvelles relations avec les autres et le monde, adopter une vue d’ensemble qui dépasse notre personne...
- Devant la complexité de la vie, prendre conscience à chaque instant de la chance inouïe qui vous est échue: avoir été présent dans la lumière de ce monde.
Se plonger dans son vieux courrier
Nous trimballons tous des archives d’un vieux courrier dans des boîtes à chaussures. Nous regardons ce trésor et, souvent, nous n’osons pas succomber à l’envie de nous y plonger, par peur de chatouiller les cicatrices d’un passé qui a du mal «à passer». Et un jour, on décide de caresser la boîte pour enlever la poussière et en sortir quelques lettres jaunies, des cartes postales d’un autre temps, des petits mots perdus et jetés dans la consigne de la mémoire... Alors, nous relisons ! Nous avons tous fait l’expérience de relire notre vieux courrier...Oui, ces anciennes lettres n’ont pas pu nous révéler à l’instant les sentiments qu’elles exprimaient. Elles ont du neuf comme si le facteur les avait déposées aujourd’hui. Oui, avec le temps, nous devenons experts en quelque chose qui nous concerne de près, et même expert de notre passé, un passé présent.
Un pèlerinage sur le lieu de l’enfance
Mai 2014: me voilà de retour dans mon pays natal après de longues décennies d’exil et d’absence...Durant un court voyage magique en Tunisie, j’ai retrouvé la lumière dans les yeux de ma mère, la bienveillance innée de ma grande famille, la beauté et la bonté des êtres chers, l’esprit des lieux de mon enfance... Dans ma poche, ma première photo de classe en 1960... Et aujourd’hui face à l’objectif pour une photo à la même école à Ksour-Essaf construite en 1889... Devant le même préau et imprégné par le même parfum du jasmin de la cour de récréation... Rien n’a changé, ou presque : une cinquantaine d’années en plus. Revenir me reconnecter dans ce lieu est la plus magnifique des leçons de choses de l’enfance...C’est ici, dans cette école, que les maîtres m’ont offert ce premier cadeau – aimer le vivant –, m’ont appris le sens de la justice, le respect de l’Autre, la bienveillance, tout ce qui est beau et généreux dans une vie passagère... Ce genre de pèlerinage fait du bien, il nous incite à célébrer la vie à tout instant!
Ezzedine El Mestiri